| METAMORPHOSES | |||||||
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J'aimerais savoir vous dessiner ce corps hier si fier, élancé sur la pente fragile du bonheur. Je ne saurai que l' écrire, en un cri désespéré de rencontrer un quelconque écho à sa douleur.
Il était grand, droit et tonique. Il défiait les difficultés d'un regard serein, savait qui il était et ce qu'il voulait. Il s'est replié sur l'attente des matins désertiques, s'est recroquevillé sur le manque de moments partagés. Serrer ses genoux dans ses bras, pour se donner l'illusion d'un autre corps à serrer contre soi.
Il donnait sans compter: son amour, sa confiance, ses rêves, son temps. Il s'est vidé de sa substance, devenant aussi vide que l'absence. Poser sa tête sur ses genoux, pour garder au creux de soi un peu de chaleur.
Il se perdait à tant aimer: sa patience offerte au delà des limites de l'abandon. A être si léger il a su disparaître. A force d'être sans droit, il apprit à ne plus être. Se rouler en boule contre l'adversité, pour refuser hier et ignorer demain, se centrer sur l'instant comme l'enfant à naître.
J'aimerais vous dessiner cette larme dorée, qui coule lentement sa dernière douleur sur un visage éprouvé. Saurai-je vous décrire cet ultime sursaut d'espoir qu'est la goutte d'eau irisée du désir de vivre? N'être plus qu'une larme quand on ne veut plus souffrir, pour retrouver bientôt le chemin du sourire.
Cl, 19 janvier 2008.
Les autres enfants naissent dans la sécurité aseptisée du CHU ou dans
l'originalité de l' Hôpital du coin, cet enfant nul ne savait où il
était né, pas même sa mère. Sur un coup de tête irraisonné, sa mère
était partie, sentant l'heure arriver, malgré les cris de sa propre
mère:
-Mais où vas tu? Si proche du terme, c'est de la folie! Ne pars pas
seule!
-J'ai besoin d'être moi même, avait répondu la future accouchée, je ne
vais pas loin, juste le week end à la campagne, j'emmène le portable ne
t'inquiète pas!
Elle était partie.
***
C'est une fois installée dans le silence que j'ai perdu contact avec la
réalité. Tout ce qui suit me semble rêvé, irrationnel, vécu dans une
brume d'irréalité, et pourtant, il est là près de moi, mon enfant, il
est né! Je venais d'arriver, de poser ma valise, mes provisions, de
faire un feu dans la cheminée, lorsque Lucienne, la vieille voisine est
venue cogner au carreau.
-Qu'est ce tu fais là ma belle? T'es pas dans de beaux draps à Toulouse?
T'as pas peur qu'il vienne avant l'heure ton petitout?
J'étais debout devant la cheminée, je l'écoutais en souriant, j'allais
lui proposer du thé quand... dans une seconde accélérée du temps tout a
basculé. Un éclair de douleur m'a parcouru
le ventre, puis s'écoulèrent les eaux de la vie. Lucienne comprit
de suite.
-Comment ça marche cet engin? Elle s'énervait sur le téléphone portable.
-Pas de réseau... Pas de voisin, à part toi, tu n'as pas de voiture, et
la batterie de la mienne est à plat.
-Tu savais?
Oui, je savais le passé de Lucienne, son expérience et sa réputation, de
fée, de sorcière, c'était selon.
-Mais... je suis presque centenaire, j'y vois plus rien, et mes mains...
-Je sais, tu me guideras.
Elle m'a conduite à travers la nuit enlunée d'un fin croissant. A chaque
pas je sentais descendre un peu plus l'enfant.
-Tu sais?
-Quoi?
-Le sexe de l'enfant?
-Non, on verra.
Elle m'a menée à travers la forêt de lierre, me faisant boire
régulièrement une tisane de sa composition, jusqu'à ce que je tombe à
genoux l'implorant.
-Je ne peux plus Lucienne, je ne peux plus!
-Tu veux oui ou non qu'il soit prince de ces lieux?
-Oui.
-Alors il faut qu'il y naisse, avance ma belle, courage, la clairière
n'est plus loin.
Dans
la clairière étoilée elle m'a fait agenouiller, a posé ses mains
sur mon ventre, tandis que des miennes je tirais la tête de l'enfant.
-Une fille! ai-je dis épuisée, elle s'appellera Emma.
-Une fille... l'amour sera sa vie, elle aimera comme on n'a jamais aimé
mais comme aiment toutes les femmes. Capables de nourrir un amour au
creux de leur vie des années durant, puis d'ouvrir leurs bras pour qu'il
vive sans elles. Elle aimera comme on met au monde.
Je me suis réveillée dans la grande chambre, sous le gros édredon rouge
en plumes, Emma près de moi. Lucienne près du feu souriait. Elle
s'approcha, pris ma main puis celle d'Emma.
-Ca a été très dur pour toi, mais tu as réussi et regarde comme elle est
belle, on dirait une fée. Tiens, rassures tes parents et donne leur la
bonne nouvelle.
-Mais... le réseau?
-Il passe ce matin, j'ai vérifié.
La voiture a démarré, elle est partie dans la soirée avec son bébé.
Lucienne a répondu par un clin d'oeil à son geste de la main, avant de
murmurer quand la voiture
disparut
au loin:
-Longue vie petite fée, à bientôt!
Claire, 12 janvier 2008 Pour Emma , née le 8 janvier 2008.
Réunion Extraordinaire au Soleil de Février
J'écoutais d'une oreille distraite les leitmotivs qu'échangeaient les
copains:
- on va dans le mur, c'est certain, ça va se casser la gueule...
-mais non! s'ils perdent quelques millions dans les crises financières,
il leur reste les milliards...
Moi je me trouvais bien là, je n'avais besoin de rien d'autre que de
quelques copains, un doux
soleil d'hiver, et ce chemin avec les champs d'un coté et la forêt de
l'autre. A l'automne nous étions venus y chercher châtaignes et
champignons, heureux de vivre si bien avec notre si peu. Peut-être était
ce le vin du repas qui me réchauffait plus que le soleil, mais ma
mémoire avait raison: février est un beau mois dans notre région.
La vue d'un camion garé en bordure de champs, planté là comme au milieu
de nulle part, inquiétant, m'arracha à ma rêverie. Il n'était que le
banal outil de travail d'un routier en week end, mais il m'évoqua les
clandestins entassés qui tentent tout pour passer les frontières,
et les raisons douloureuses qui nous regroupaient aujourd'hui.
Les autres étaient restés jouer à la pétanque dans la cour de la ferme.
Léo et Amina jouaient au rugby, se disputaient le ballon. Des conflits
de territoires à propos des cabanes opposaient Gaël et Margaux à Nora et
Nadia: « quand même, on était là avant ! ». Les enfants rejouaient
l'histoire des grands.
Pour détendre l'atmosphère nous avions proposé cette balade que
certains avaient refusée par sécurité.
Durant tout ce temps, comme pour nous rappeler que février n'était pas
encore le printemps, le père de famille menacé d'expulsion était resté
maussade. L'objectif de cette fête, lui changer les idées avait
visiblement échoué. Il était resté à l'écart de nos rires et de nos
petits plaisirs partagés. Les yeux rivés sur les champs et les montagnes
enneigées, pensait-il à cet Atlas où la France voulait le renvoyer? Ses
pensées étaient-elles craintes, regrets, nostalgie? Si sa femme et ses
filles exprimaient reconnaissance et bonheur, lui, en retrait, n'avait
fait qu'observer les émotions de cette journée en demi-teintes comme les
couleurs de février. Qu'espèrait-il de ce pays qui venait de le
déposséder de tout? Privé du droit de nourrir et de diriger sa famille,
rêvait-il de pareille fête en un lieu où il ne serait pas dépendant du
soutien des autres et sans droits? Avait-il ressenti sa différence dans
nos maladresses et nos blagues innocentes?
Au fil du repas je l'avais compris et compati à son malaise. Ces
quelques kilomètres de
promenade avaient été l'occasion de retrouver ma tranquillité d'esprit:
nous avions fait ce que nous pensions bien, comme nous pouvions. Nous
n'étions pas responsables de la façon dont lui prenait nos offres qui se
voulaient généreuses. Il avait aussi eu la liberté de dire non, ou de
participer, prendre la parole, nous offrir bonne humeur, gentillesse.
S'il était libre, ultime liberté, d'être d'humeur maussade, nous
l'étions de n'en pas culpabiliser.
A notre retour à la ferme, ceux qui étaient restés m'avaient préparé une
surprise: une bougie sur un des gâteaux du goûter. J'ai d'abord été
contrariée d'être ainsi l'objet momentané de toutes les attentions, puis
j'ai trouvé que ça tombait bien. Ainsi mes voisins jaseraient moins
d'avoir été dérangés par tous ces inconnus qui cherchaient ma maison.
Peut-être seraient-ils vexés de n'avoir pas été de la fête, mais la
discrétion du réseau était préservée, pour cette fois. Le soir venu,
l'ombre et le froid sont vite redescendus sur la campagne. Fatiguée,
émue, au bord d'un sentiment qui glissait comme les derniers rayons du
soleil vers la tristesse, en rangeant les derniers restes de la fête,
j'ai pensé que je
n'étais pas prête d' oublier un anniversaire si peu ordinaire.
Sarremezan
10 février 2008 (les prénoms ont été changés)
Autour de l'une d'elles un groupe bruyant
encourage deux jeunes hommes dans leur partie de bras de fer. L'un d'eux
porte enroulé autour du poignet, tatoué très finement, le dessin d'une
scolopendre aux feuilles dentelées. C'est un assisté, un vaurien, un
raté. Du moins c'est ce qu'en disent ses bien-pensant voisins, et ce que
son allure démontre avec ses deux dents en moins.
Ce n'est pas qu'il soit rétif au travail, mais tant qu’il se débrouille
il refuse d'entrer dans la bataille. -Mais que pensais tu de toi-même à son
âge? Nous, nous sommes nés avec le chômage, cette crise est notre norme,
et si nous refusons de battre notre voisin pour conquérir notre place
sur le marché, c'est notre résistance, notre révolution. Comme vous
lorsque vous partiez sur les routes ou lanciez des pavés, nous aussi
voulons prouver que nous sommes capables de vivre nos vies, avec nos
réalités, nous aussi avons nos batailles à gagner! Le jeune homme a gagné la partie, se lève
et voit son père assis.
16-17
février 2008,
avec l'aide de Caillou.
Et si... Et si les hommes n'avaient plus peur des pannes du corps des peines du cœur Si les femmes ne craignaient plus la douleur des remords le froid des jalousies Si chacun osait se dire Jusqu'en ses pleurs et ses désirs Si leurs chemins pouvaient courir aussi bien sans lendemain que vers l'avenir en un commun et sincère accord pour le partage de quelques mots d'un unique corps à corps ou d'un plus long chemin.
Si tout cela pouvait se faire sans jamais faire de mal à personne sans larmes, sans drames sans deuil ni épines aux couronnes sans ruptures, sans déchirements Si chacun pouvait donner son amour comme une mère le multiplie pour ses enfants ne volant rien à l'aîné en aimant le puîné.
Et si selon une autre morale, sans droit ni possession dans la liberté totale et le bonheur du moment partagé, pouvait se vivre sans crainte fatale le désir d'un instant particulier. S'il n'était pas trahir que d'aimer au pluriel... La vie serait-elle plus compliquée ou plus belle?
29 février 2008
La ville en ce 8 mars était comme ma vie: pratiquement désertée par les
hommes. En regardant les passants comment croire que les femmes ne
représentent que la moitié de l'humanité? Je m'en étais interrogée
ouvertement à ma voisine dans le petit train. Elle me répondit d'un air
complice:
-y'a un match!
Solidarité de genre bienvenue en ce jour, quand elle m'avait vu errer
désemparée, sans savoir où aller pour échapper au supplice des gouttes
d'eau qui rythmaient ma déveine, elle m'avait invitée à me joindre à
leur joyeux pique nique sur la place.
-Il ne pleut que sur les gens mouillés, me disait l'ami Paul dans le
temps. C'était l'époque où je pouvais encore chanter à tue tête cette
chansonnette pour motiver mes enfants à mettre leur parapluie dehors:
«il pleut dehors il pleut, et c'est tant mieux... -petit silence, le
temps qu'ils protestent... - Car s'il pleuvait dedans je ne s'rais pas
content!!»*. Rires, soulagement apporté par cette chute qui les faisait
relativiser.
Mais à ce moment de ma vie, il pleuvait aussi dedans.
L’incessant plic-ploc des gouttes sur la bâche protégeant ce qui me
restait après le partage des biens du ménage,
m’était devenu insupportable. Même sans la voir, je ne pouvais plus
penser qu'à l'eau sale qui s'immisçait partout, souillait les meubles,
les murs, le sol. Alors, au mépris du froid et du vent, j'étais sortie.
J'aurais pu aller prendre un sandwich au bistrot avenue des amis. Mais
il était impossible de se mettre en terrasse. Alors j'avais préféré
garder à ce lieu le souvenir d'un bon moment au soleil avec un ami, un
lendemain de Saint Valentin. Puis j'ai vu des femmes en sortir avec une
rose à la main. Étonnée, je fouillais dans la mémoire de mes jours
accidentés à la recherche d’un repère temporel, quand elle m'avait
interpellée:
-Viens! Qu'est ce que tu fais là toute seule? Viens manger avec nous!
Tout ce que la ville comptait de militantes pour les droits des femmes
était réuni sous un chapiteau. Toutes vêtues de rouge elles
pique-niquaient ensemble.
-Je ne savais pas, je n'ai rien prévu, rien porté à partager...
-Pas grave, y'a assez, allez viens!
La journée avait suivi le cours prévu par les associations: je m'étais
jointe au train des femmes qui sillonnait la ville. Aux escales les
chants, les danses, les contes
interpellaient les passants.
Un slam aux mots très crus avait déclenché des réactions parmi les
auditrices:
-Ce sont des mots d'hommes, la poésie en plus! Avait dit l'une.
-Si encore les hommes étaient poètes... avait soupiré sa voisine.
J’avais eu une pensée émue pour l'homme, qui sans partager mes jours ni
m'offrir de parapluie contre les déboires de l'existence, enchantait
cependant ma vie des mots doux de notre histoire.
L'après midi était bien avancée, il allait bientôt être l'heure de
rentrer ouvrir ma porte aux besoins d'hygiène des locataires embarqués
dans la même galère sanitaire que moi. J'avais quand même de la chance,
on la trouve où l'on peut! Si toutes les eaux usées de l'immeuble
tombaient dans ma cuisine, étant sous la fuite j'étais la seule à
pouvoir me servir de l'eau. Luxe que j'appréciais au point de le
partager. Avec les autres locataires nous avions découvert les
contraintes de la vie en communauté: horaires affichés sur ma porte et
tour de rôle pour les douches. Certains avaient pris la situation avec
le sourire, d'autres se plaignaient du dérangement et de tout. D'autres
encore, découragés par le froid qui règne dans mon appartement avaient
trouvé d'autres solutions pour leurs ablutions.
Il était donc temps de rentrer à l'abri des giboulées, affronter la
soirée et toutes mes pluies intérieures.
Claire, 10-15 mars 2008
*chanson d'Henri Dès Que restera t-il de ce mois Pour toi, lointain généalogiste Lorsque tu éplucheras Méthodiquement toute ta liste? Pour te raccrocher aux branches.
De tout le fil d'une vie Rien que des mentions marginales Et rien de ce qui fit Toutes les petites souffrances banales De ce mois des fous, les soucis en avalanche.
Quelques dates sous ta loupe Pour inventer tout un chemin De chagrins remplir la coupe Et penser l'espoir des lendemains. Mais de mon salut tu ignoreras la planche.
État civil muet sur celui qui aima ma douceur Et fut le fil rouge de ma vie. Celui qui redonna des couleurs A mes désirs, à mes envies, En posant ses mains au creux de mes hanches.
De tout ce qui fait la vie Et que taisent les registres Tu ne sauras malgré ton envie Que deux trois dates tristes.
Impossible d'être plus franche.
Claire, 24 mars 2008
Je porte l'enfant de mon amant, en toute légalité et avec l'approbation des autorités. Mon union, hier montrée du doigt, avec un homme qui n'est plus en âge d'être soldat, est aujourd'hui valorisée, exemple à suivre pour le bien de la nation.
La question s'est bien sur posée, pour la militante que je suis, de contribuer à repeupler la planète alors qu'elle crève de porter notre espèce. Certaines femmes, certaines d'entre vous, ont choisi de se cacher pour échapper au contrôle mensuel suite auquel toute femme « négative » doit se soumettre à l'insémination. La bombe ayant tué presque tous les hommes dans la zone des combats, si nous refusons de porter les enfants de demain, l'humanité s'éteindra. Bon débarras disent certains, sans notre espèce la terre se reposera, retrouvera un équilibre, peut être, ce n'est même pas certain.
De tous temps le corps des femmes a été instrumentalisé, de tous temps nous avons du ruser, nous soustraire, résister. De là vient notre force physique et morale, de cette mémoire ancestrale de nos corps. Moi je ne suis pas réfractaire, je suis libre. J'ai eu assez de bonheur dans ma vie pour croire encore en l'humain et avoir envie de lui laisser une seconde chance. C'est pourquoi je ne me suis pas cachée. Peut être aussi, il me faut bien l'avouer, est ce ma peur de l'obscurité et de la clandestinité qui ont agi comme frein. Peur aussi de ce qu'ils font aux réfractaires lorsqu'ils les attrapent, une insémination « à l'ancienne », par les policiers eux mêmes.
Quitte à être fécondée, autant que ce le soit par l'homme que j'aime depuis si longtemps. Alors je me suis présentée au premier contrôle auquel j'ai été convoquée: positive. L'administration a même apprécié que j'ai trouvé de moi-même un donneur. « L'insémination artificielle a un coût, et réussi moins souvent, en cette période de restrictions budgétaires, nous apprécions les gens comme vous », m'a dit la fonctionnaire avant de me tendre une fiche d'identification.
Quitte à donner un enfant à cette terre dévastée, j'ai choisi qu'il ait un père pour le relier à l'histoire de l'humanité plutôt que d'être la génitrice d'un énième demi-clone du chef autoproclamé. J'espère, en élevant une graine de militants, plutôt que le patrimoine génétique du dirigeant suprême, donner à la terre un être conscient, un contestataire éclairé.
Je suis là ce soir pour vous présenter notre association: les enfants de l'utopie. Nous nous sommes regroupées, toutes les porteuses d'enfants naturels, pour élaborer les lignes d'une nouvelle éducation. Nous lisons les penseurs, pédagogues, psychologues, et nous en discutons. Afin que nos enfants puissent porter les espoirs d'un nouveau monde face à l'armée consanguine de la puissance.
Souhaitons ce soir bonne chance aux enfants de l'utopie.
Discours de présentation au 1er congrès des femmes libres et réfractaires.
Feuillets retrouvés dans le carnet de suivi de maternité de Milieuka
Freemam, morte en détention au cours de son 8ème mois de grossesse.
14 avril 2008
C'est lorsqu'il la vit comme ça, de dos, agenouillée au pied du lit, les
fesses sur les talons, ses cheveux relevés en chignons, entièrement nue,
qu'il eut cette pensée: une geisha en prière. Il s'approcha d'elle,
l'enveloppa tendrement de ses bras, puis caressa son visage et y trouva
une larme. Pourquoi? Pensa t'il inquiet.
Il essuya la larme d'un baiser, souleva la femme sous les bras, la leva
et l'allongea du même geste sur le lit. Il aimait la regarder. Ce qu'il
fit longuement, aujourd'hui il avait le temps, tout en promenant ses
mains sur son corps trop blanc. Malgré le froid vif qui régnait dans le
grand appartement, elle ne bougeait pas, offerte.
Il savait lui donner du plaisir, non que ce soit le but, pensait il,
mais parce qu'il avait besoin de sa jouissance à elle pour en ressentir
lui-même. Et le bonheur de son corps semblait sincère. Elle était
experte aussi et savait très bien, trop bien même parfois, depuis le
temps, les caresses qu'il aimait.
Ce n'est que lorsqu'il fut rassasié, que se rallongeant près de lui,
elle ferma les yeux et dit: je t'aime.
Surpris il répondit: il ne faut pas!
-qu'est ce que je peux y faire?
-faire ton travail, c'est tout. Et puis.... tu as tes autres clients...
-Non, je n'ai plus aucun clients, je ne reçois plus que toi, et... ce
n'est plus un travail.
-Mais comment vis tu?
-Bien, depuis que je vis selon mon cœur, et que je sais que tu m'aimes
aussi.
-Pourquoi tu dis ça?
-Parce que depuis quelques temps tu oublies le paiement, c'est normal,
on ne paye pas l'amour de la femme qu'on aime et qui vous aime.
C'est lui qui s'allongea, abasourdi. C'était vrai, il cherchait dans sa
mémoire, cela faisait pas mal de temps qu'il quittait l'appartement dans
un tel sentiment de bien être et de bonheur, qu'absorbé par ses rêves il
en oubliait de laisser le billet sur la commode de l'entrée. Il ne
savait pas encore s'il devait donner à son geste la même analyse
qu'elle, ou s'il devait de ce pas aller faire des tests de mémoire, mais
cela l'interrogeait.
Il répondit: peut-être...
-Tu veux le savoir? J'ai un test pour ça.
L'idée d'un test d'amour, alors qu'il venait de penser à faire tester
ses fonctions cognitives l'amusa, il acquiesça.
-Alors caresse-moi encore, une fois ton désir comblé, le mien n'est pas
encore rassasié.
Et c'est dans ce don qu'il lui fit d'un plaisir rien que pour elle,
qu'il prononça ces mots si longtemps retenus: je t'aime, j'aimerais
vivre avec toi.
Elle défit alors son chignon de geisha, et pour lui libéra ses longs
cheveux bruns et lisses.
19 avril 2008, cabane de l'Escalette
Photo: Gwénaël
Pic de l'Escalette, 2 mai 2008
Tu n'es pas là, je ne pleure pas. Ton absence est doux manque, pleur intérieur, ruisseau qui se creuse en moi, en silence.
Toutes les douleurs de ma vie, toutes les couleurs de ma nuit, tu es tout pour moi. Et ma fatigue grandit loin de toi.
Tu es l'élan de mes pas pour marcher jusqu'à tes bras ouverts l'énergie de mes combats dans l'attente de tes baisers, offerts.
Tu es le calme de mon cœur quand il s'emballe craignant l'avenir tu apaises aussi mes peurs quand l'angoisse m'empêche de sourire
Équilibre de mes jours, tu fais l'arc en ciel d'une pluie ton fatalisme à mon secours quand pour moi tout se fait nuit.
Voilà pourquoi aux heures d'espoir j'ai à cœur de te parler voilà pourquoi aux instants noirs j'ai besoin de t'appeler
Mais apprends moi à accepter l'incertitude à y voir la chance de pouvoir choisir montre moi aussi à peupler la solitude de silences, de rêves, et de désirs.
Claire, 19 mai 2008
Dans l'éclat sans soleil d'un soir de juin blafard tombée sur le versant douloureux de l'amour absente d'une vie où je ne serai jamais tienne je n'existe plus, je traîne mon cafard.
Ma vie est ailleurs, où je ne suis pas et te rêve mon calendrier s'en veut d'avoir eu trop de jours d'en tenir compte comme un comptable mesquin et de remettre chaque soir mon espoir en demain.
Il me faudra ce soir les mots d'un inconnu * sa poésie, pour porter mon cri et le tien entendre ton silence, mot à mot te rejoindre et savoir exister au cœur de ton absence.
Puisque tu ne peux crier ton amour au grand jour, ni le vivre, ni le dire, il me faut exister pour être bien vivante au jour où tu viendras.
Même masqué de nuage et de pluie ciel de juin reste lumineux je m'en fis la remarque ce midi quand mon espoir était au mieux
Même traversées d'orages et d'averses journées de juin restent d'été les plus longues et plus belles de l'année même dans l'adversité
Même marqué de tes silences ton amour est mon ancrage comme il n'y a pas d'été sans orage... ma vie tempête ton absence.
Bon été mon amour...
16 juin 2008
*les poésies de l'inconnu sont là: http://liedich.over-blog.com/
dans votre accord parfait discorde et dénote, si je ne reprends en cœur mélodie andalouse, et n'ai en mon esprit que poignées de fausses notes?
M'excuserez vous quand même de n'être au diapason de cette fête urbaine fidèle à la saison de ne pas avec vous honorer le solstice et de ne vouloir que solitude comme complice?
Je ne saurais, lasse, que faire pleurer vos violons changer en lamento vos plus joyeux refrains et crier ma passion au cœur de vos chansons aux moments ou pour vous la fête bat son plein
Je resterai chez moi, sans jouer les clowns tristes j' écouterai résonner l' hymne de la solitude non, je veux que personne ne m'invite sur la piste je ne changerai pas en fugue mon sauvage prélude
Je me coucherai tôt, bercée par vos flons-flons me rêverai ailleurs, en compagnie aimée je me dirai ses mots, lui donnerai une chanson et saluerons ensemble premier matin d'été
Claire, 21 juin 2008, 22h
Et comment taire la beauté? En faire une fresque où je ne dirai pas je, pour une fois? Comment taire cette beauté des mots et des vies? Je reprends tes héros, quarante ans plus tard, même lieu, ce qui me dispense d'avoir à planter le décor, je garde même le soleil qui ne l'aplatit pas encore.
On dirait qu'ils n'ont pas bougé, tendrement il l'enlace, elle laisse tomber sa tête contre son épaule, confiante, ils regardent les grandes ondulations, les hauts et les bas de la mer. Comme en eu tant leur vie.
Un parcours accidenté, fait pour elle de refus et de fierté, pour lui de rejets et d'absences mal comblés. Ils contemplent l'horizon, et avant lui, pas si loin, l'écueil de la retraite, de la vieillesse qui annonce la solitude. Ils n'échangent aucun mot. Tous deux mesurent les dix années d'errances qui les ont séparés, dix ans à se chercher, à s'attendre, des kilomètres de chemins à explorer, avant de comprendre qu'ils n'auraient de tendresse que partagée.
Elle repense à ces années où seule dans sa douleur elle en a éconduit pourtant, des prétendants! Aucun n'était à la hauteur, car elle ne voulait par aucun le remplacer. Elle détache ses yeux des flots, et son regard dit qu'elle se gardait pour lui.
Il pense à la distance qu'elle avait mise entre eux, lui imposant de chercher au bout du monde un semblant de réconfort. Il revoit ses efforts pour la ramener à lui, la folie au bout de tant de temps d'espérer encore. Puis ses mots, la lettre où enfin elle écrit qu'elle l'aime, que depuis tout ce temps, elle n'est qu'à lui.
En remontant de la balustrade, peut être penseront ils ensemble au jour où il avait demandé au dessinateur de leur montrer son dessin, ce jour où pour la première fois ils s'étaient dit leur amour, et le long silence qui avait suivi.
Pour K. et son homme, bonne chance...
Claire, 25-27 mars 2008
J'aime tout
de toi.
Variations autour d'une parenthèse
variation 1
Il
marche dans un désert de neige où ne souffle nul vent.
Pas un mot, pas une couleur pour accrocher son regard, il voyage dans un
cliché en noir et blanc.
Ignorant le bonheur qu'elle était censé garder au chaud, la parenthèse,
en se fermant net comme un couvercle lui a fait mal, trop mal. Il s'en
veut de souffrir autant. Elle se referme pourtant en sourire de smiley,
bombée vers l'avenir comme un barrage prêt à céder, elle devrait lui
réchauffer le cœur, être son feu de cheminée, son ivresse de
vin chaud. Mais non. Usant de sa courbure comme d'un vulgaire
crochet de pirate, elle le plante en sa chair. Ne voulant de témoin à
son inexplicable détresse, il a découragé toute amitié, la
solitude est sa douleur.
Elle fait de ce jour un jour à part, un jour brouillard. Un jour qui ne
compte pas. On l'effacera des archives! On le rayera des almanachs!
Jamais on n'en parlera. Il rêve de s'endormir, que ce jour
finisse et
que le soleil rejoigne l'arc de cercle du couchant.
Gare
à la chute mortelle dans l'univers glacé, il est en train de
sombrer.
Variation 2
Parenthèse ouverte doit un jour se fermer, tout a une fin m'as tu dit.
Après ces jours heureux, isolés du monde, rien que nous deux; après ces
heures passées en tête à tête devant le feu de cheminée, nos
ébats amoureux dans la neige, stimulés par le vin chaud;
et nos confidences sans fin à
ne
s'endormir qu' au matin; qu'il fut difficile notre au revoir ou ne
laissâmes transparaître qu'une stricte amitié à la gare
de notre ville ce soir.
Je n'ai même pas pu attendre le départ de ton train avant de
retourner à ma solitude, moi aussi ma vie réelle m'attendait, me
rappelait à l'ordre.
J'ai dû louper une marche, le bonheur ne me rendra-t-il toujours
visite qu'en coup de vent?
Variation 3
Et si l'on inversait les parenthèses? Si l'on faisait notre ordinaire de
ce qu'elles doivent mettre à l'écart? Tu sais, comme ces boules magique
où il neige en les secouant, faire de cet univers réduit notre
présent.
Tout envoyer balader, les trains, les gares, les
solitudes
et même les amitiés. Nous nous endormirions tendrement
enlacés, devant le feu de cheminée, après un repas de soupe et de
vin chaud. Ferme les yeux, pose ta main sur mon cœur, tu vois, ça
marche, déjà souffle sur nous
un vent de
liberté.
Variation 4
Il a ouvert la porte de la baraque tout doucement. Elle l'a entendu
pourtant. « Où tu vas? Dépense pas d'argent! » et son regard inquiet,
suppliant, des larmes même parfois. Qu'est ce qu'il y peut lui? Ça
changerait quoi s'il restait là tout le jour enfermé dans cette
solitude
surpeuplée, avec elle et les enfants?
Alors il marche, lentement, pour faire durer cette activité
gratuite, il marche. Mais il neige, il fait vent, avec son
maigre blouson il ne va pas tenir longtemps. Le café de la gare,
c'est bien tentant. Le bistrot: avec son feu de cheminée, lui qui
n'a pas de quoi payer le chauffage de son taudis, et son vin chaud
pour faire passer le goût persistant des pâtes à l'eau. C'est bien
tentant...
Assis sur la banquette, dos tourné au miroir, il regarde les trains.
Tous ces trains bariolés qui filent vers l'avenir, lui qui n'en attend
plus rien. Prendre un train, c'est bien tentant, s'offrir une
parenthèse, oui, il reviendra sûrement, plus fort et plus vaillant pour
affronter les tourmentes de sa vie. C'est bien tentant...
Bercé par la chaleur, il est bien, enfin il oublie l'heure et l'angoisse
des lendemains. S'endormir ainsi pour toujours, quand on ne se
croit plus bon à rien, c'est tentant...
Il se laisse sombrer, il est ailleurs, il est loin, c'est bien
tentant...
« Hé! Georges, réveille toi, je vais fermer, lui dit gentiment le barman
avec un regard d'amitié, faut tu y ailles maintenant, ta femme va
s'inquiéter! »
12 juillet 2008
Histoire de gare. (variation 5)
Un grand homme noir attendait au bord du quai lui aussi, en fumant,
assis sur ses talons, comme son ami n'aimait pas qu'elle fasse.
C'est vrai que ça évoquait un peu la folie, ou au moins le mal
être, et si ce n'était qu'une position d'attente héritée de la nuit des
temps? Quand le train était entré en gare, en amont du quai, elle
avait scruté les visages aux fenêtres, puis elle avait remonté la voie,
lentement. Au sifflet du départ, elle avait de nouveau examiné chaque
passager, même les silhouettes de l'autre coté en
cherchant son visage, ses cheveux ou son ombre,
mais elle était persuadée que s'il y était, il serait assis coté
ville, pour lui envoyer une pensée. En quittant la gare, un vieil homme
lui avait dit: "vous ne l'avez pas trouvé?", est ce bien ce qu'il
avait dit? ou autre chose? Et alors, pourquoi lui avait-il parlé? Elle
en avait été tellement étonnée qu'elle avait fuit.
Pourquoi cette rage de lui voler
quelques secondes, de vouloir son regard au plus près du départ?
Pourquoi cette angoisse démesurée pour un si petit trajet?
Pourquoi cette peur alors que passera l'été?
Elle se mit à chanter: mon été triste* pour ne pas laisser
pleurer son cœur boule de neige qui fond au soleil s'endormir
jusqu'à l'automne, pour oublier aussi l'orage qui tonne sa colère d'être
la délaissée.
Elle attendra l'hiver: la douceur des foyers, même équipés d'inserts, la
chaleur des feux de cheminée qui réconfortera leur cœur, et les
verres de vin chaud des fêtes militantes sur les places glacées.
Elle attend surtout la saison où aucun train ne viendra plus l'emporter.
14 juillet 2008
* Gabriel Yacoub: mon été triste
Un homme tendre près de moi, chaque heure, au quotidien
Qui effleure ma joue quand il n'a plus de mots doux
Qui écoute mes peurs les plus irrationnelles
Et calme mes angoisses de sa patience éternelle
Qui cueille enfin ma larme, et en fait sa rosée.
Cet homme je le connais
mais ce bonheur concret
jamais ne se verra
jamais ne se fera
Cet homme calme et serein, à écouter au long des nuits
dire sa sagesse, son acceptation de la vie
pouvoir lui donner en mille actes anodins
tout mon amour, sans en dire rien
oser la folie de la vie partagée
Cet homme je le connais
mais ce bonheur concret
jamais ne se verra
jamais ne se fera
Il marche son chemin, de crêtes montagneuses
et ne peut sans dégâts descendre vers la mer.
Il a croisé mes pas, et ne m'a rien promis
tant que je suis là, qu'il est près de moi,
la vie nous sourit.
Cet homme que je connais
est mon bonheur concret
et tant qu'il le voudra
chaque jour ce pourra
16 juillet 2008
Sur 10 mots de Caillou: lassitude, chomeur/euse/âge, culpabilité, honte, oisiveté, dérisoire, peur, tous ensemble, rire, métro. plus 10 autres: lune rousse, lauriers roses, colline de pierre, calanque, plage, pieds, rêves fous, éclairer, attendre, clair de l'aube.
-Excuse mon retard, je suis désolé, je t'ai encore fait attendre. -Peut-être que tu aimes ça? -Quoi? -Que je t'attende. -Non, pas particulièrement, j'en ai honte en fait, et j'ai peur que tu t'en ailles, alors que je me dis que tu devrais, mais je n'arrive pas à fonctionner autrement. -Ne t'inquiète pas, et n'aies pas de culpabilité, tu fais comme tu peux, je le sais, déjà, que tu sois là est un bonheur.
Elle était arrivée il a trois heures, après avoir parcouru la ville en métro, puis plusieurs kilomètres à pieds pour se rendre jusqu'à la plage. Elle l'attendait à l'ombre d'un laurier rose. Elle avait eu le temps de regretter de n'avoir emporté ni livre ni cahier. Pourtant, elle le connaissait. Puis l'oisiveté forcée avait fini de lui peser. Son esprit était parti au delà des collines de pierre, rejoindre les calanques . Là, le bruit de la mer annonçait la vague, et la vague emporterait toute lassitude, elle le savait, c'était toujours comme ça. Dans l'attente, elle apprenait à lui ressembler, elle comprenait son calme, sa sérénité, son acceptation de la vie, elle se sentait devenir lui: méditerranéen. Qu'il soit au chômage, libre de son temps, et que perpétuellement il la fasse attendre des heures dans les endroits les plus improbables, qu'il la bloque près d'un téléphone ou la cloître chez elle dans l'espoir d'une visite imprévisible, tout cela lui paraissait dérisoire maintenant. Elle ne vivait que pour ces moments pour lesquels elle avait attendu, qu'ils soient seuls, ou tous ensemble, avec les rires et les copains. Elle savait qu'il arriverait avant que la lune rousse n'éclaire cette plage, qu'il lui rendrait le temps passé à l'aimer en silence, il lui offrirait alors comme présent le clair de l'aube et leurs rêves les plus fous.
Elle reprit la parole et ajouta doucement: -Je peux bien t'attendre, tant que ce n'est pas en vain...
Mardi 5 août 2008, 14h-17h
Saint émilion, le 15 août 2008
Cher Alain,
tu excuseras mon écriture maladroite s'il te plait, mais tu ne me
croiras peut être pas, je me suis cassé hier le bras droit en
transportant un lit. Voilà pourquoi j'écris comme un gaucher,
bien que certains écrivent fort bien.
Qu'est ce que je faisais avec ce lit me diras tu ? Et bien figure toi
que j'ai dû dans l'urgence déménager la petite voisine du
premier, tu sais, celle qui bizarrement m'avait aidé à emménager après
ma séparation
d'avec Béatrice, en débarquant dans mes cartons alors que je ne l'avais
jamais vue, Framboise qu'elle s'appelle.
Elle avait ouvert sa porte, les yeux rouges et gonflés, elle
m'avait demandé si elle pouvait m'aider, et pendant deux heures elle
avait monté tout mon bardas sur les deux étages. À la fin elle m'avait
dit en plaisantant qu'elle partait dans huit jours et qu'elle avait un
piano à déménager. Bref, on peut s'entraider, je lui devais un
retour d'ascenseur, (qui fait d'ailleurs défaut dans cet immeuble),
surtout quand on est comme cette pauvre fille frappé par un tel coup
du sort. Tu devineras jamais ce qui lui arrive!!
C'est une drôle d'écolo, elle mange bio, n'achète qu'au marché, se
déplace à pied, etc. Même que pour ne pas faire trop de poubelles, elle
trie, ça ok, mais aussi elle fait son compost avec des vers de terre sur
sa terrasse!!
Bon, tu vas me dire trêve de détails, mais justement, celui là est
capital. Elle m'a tout expliqué, car elle essayait de me convertir. Moi
je lui avait répondu en rigolant qu'elle avait qu'à tuer tous les cons,
elle aurait des asticots pour son tas de fumier! Mais bon, donc
Framboise avait un bon kilo de ces bestioles dans un bac troué où elle
jetait ses épluchures.
Puis elle est partie huit jours en vacances, elle ne partait jamais
plus, et toujours aux mêmes dates, début août. Il a fait chaud tu te
souviens? Et quand elle est rentrée, sa terrasse, et même sa maison
était envahie de vermine, ils avaient proliférés, mille fois plus et
plus vite que prévu, étaient énormes et s'attaquaient aux meubles, au
plancher... l'horreur! À croire que les bestioles avaient bouffé de
l'OGM ultra nutritif qu'on envoie aux populations affamées et qui te
font grossir avec un minimum de calories.
Elle a appelé les pompiers, puis un dératiseur, mais en attendant que
son logement soit nettoyé... voilà pourquoi je l'ai déménagée. J'ai eu
pitié tu comprends!!
Bon tout ça pour te dire, qu'avec mon bras dans le plâtre, la fête des
pêcheurs
sur le lac samedi, c'est un peu compromis, tu comprends? Dommage,
parce qu'avec tous ces appâts géants, quelle bonne pêche on aurait
faite!!
J'espère que tu m'en voudras pas de te faire faux bonds. Promis,
dès que je suis guéri je t'appelle.
Allez, à un de ces jours, vieux pote!
Amitiés,
Roger
Encore une fois j'allais être en retard, comme si, quand on a un
travail salarié on pouvait se le permettre. Au restau, c'est pas moi
le patron, pas moyen qu'elle comprenne ça. Alors elle accélère,
elle fait le détour par la route sinueuse, elle sait bien que
j'ai horreur de ça, tous ces lacets qui nous balancent un coup
trop près du vide, un coup frôlant les arbres. Sur, à ce rythme
là, on va finir sur un lit d'hôpital, ou pire...
-Pas si vite!
-Faut savoir ce que tu veux, t'as peur d'être à labour ou de tomber dans
le fossé?
-les deux, mon cœur, les deux...
-oui, t'as peur de tout tout' façon, alors... autant que je fasse c'que
je veux!
-oui mon cœur, tu as raison.
-et m'appelle pas mon cœur!! accroche plutôt le tien ça tourne, t'as
rien mangé
j'espère!!
C'est plus sa rebuffade qui me fait transpirer que la peur, depuis
quelques temps elle me rabroue sans cesse, je ne sais plus quoi dire,
quoi faire. Je ne la reconnais plus, même son odeur a changée. Si je me
fais tout petit, elle me traite de pleutre, mais dès que je l'ouvre...
elle me la ferme. Après tout... elle n'a qu'à y foncer dans les arbres,
mais pas nous rater alors...
On arrive, sains et saufs, enfin saufs, parce que sains... mon patron va
encore me reprocher mon odeur d'aisselles, j'y peux rien, ça ne
m'arrivait pas avant, mais maintenant, dès que je suis contrarié, je
transpire. C'est vrai que c'est gênant pour les clients. Ils commandent,
distingués, un diabolo-menthe et le serveur empeste comme un
forçat.
C'est chaque matin plus dur de me lever pour affronter cette vie,
ma douce qui s'est muée en furie sans que je comprenne comment.
-Si c'est le trajet votre problème, me dit le patron, j'ai une petite
maison au bout du lac, les locataires l'ont laissée récemment, vous
pouvez y loger, gratuitement, du moment que vous faites votre boulot
correctement... et proprement.
J'ai accepté, elle n'a pas dit non. Peut être que ça l'arrange après
tout, peut être qu'elle a un amant? Je la rejoints mes jours de congés,
qui sont pour elle travaillés. Seul à la maison, je range le bazar, je
fais le ménage qu'elle ne fait plus. Elle apprécie, me regarde
autrement, peu à peu se radoucit. Puis un jour, en me reconduisant au
travail très calmement elle me dit: « C'était vraiment une très bonne
idée que tu as eue, de prendre un peu de large pendant qu'on essayait
tous les deux d'arrêter de fumer. »
Lac de Géry 17-18 juillet 2008
L'histoire prend départ sur un chemin de mots, dans une cuisine un soir,
puis, sans détour
aucun, débouche en pleine clarté, sur la place au soleil, boulevard de
l'amitié. Ils ont pris décision de n'y partager que leurs mots, autour
d'un café ou d'un diabolo
menthe.
Chaque jour elle se lève et rend visite à ses
écrits, guette les nouveaux, cherche à y lire son humeur, ses états
d'âmes.
Travail
d'écriture n'est pas salarié,
mais pourtant vital autant que de
manger. Il leur est
indispensable, pour garder foi en cette vie et aller au bout des
sentiers entrevus, même lorsque les cachent les
arbres
majestueux et les ronciers de leurs vies. Il leur arrive encore, de temps
en temps, de se dire: est-ce
elle? Est-ce lui?
Quand il est en retard,
en panne d'inspiration, ou retenu auprès d'un
lit d'hôpital, il manque, elle
s'inquiète. Alors elle se
dit qu'ils ont pris la bonne décision, avec un lien plus fort, elle lui
en aurait voulu car ses silences auraient été douleur, et ça, elle ne
veut pas.
Samedi 19 juillet 2008
Pas si loin que ça des raisins de Steinbeck
face aux injustices dont nous sommes témoins
passer dans le pétrin la force de nos bras
y épuiser la douleur de toutes nos colères
à la psy qui me conseillait de frapper des coussins
je dédie le premier de ces pains
au levain de la confiance en moi
aux amis qui acceptèrent un temps
que je colle sans comprendre leurs slogans
j'offre ce pain, ma conscience
militante pour ferment
à l'homme qui croit en mon amour et mon désir
au delà de mes légitimes colères féminines
je donne ce pain à la levure de toutes mes envies
d'amour et d'eau fraîche tendrement pétri
9 juillet 2008
Malgré la présence attentive de mes amis, l'été m'est difficile. Privée
de mes cadres, des horaires et obligations qui me structurent, je erre,
comme un lynx dans une cage. J'ai soif de repères
temporels, de compagnie. Pendant les vacances, l'équilibre entre vie
sociale et solitude s'inverse, tout ce temps vide, qu'aucun
divertissement ne parvient à remplir, attente à
ma vie. Je n'y peux rien si me distraire m'ennuie. Aucun passe temps
n'apaise mon angoisse des temps morts. Jouer aux cartes ou aux
quilles
m'agace rapidement. Accrocher des guirlandes et décréter la fête
au village, non merci! Les voyages me direz vous? Faute
de moyens je n'y pense même pas. Mais quand bien même on m'offrirait de
découvrir La Paz ou le paradis, parviendrais-je à sortir de mon
désintérêt de tout? Je trimballe mon blues à longueur de congés.
J'ai envie d'agir, être utile me manque.
Au risque de choquer, j'ose l'avouer: je n'aime que le travail. 25 juillet 2008
Sur 10 mots: lynx, attentat, avoir soif, faute, La Paz, trimballer, non
merci, jouer aux quilles, fête de village, accrocher des guirlandes.
Pourquoi
La Paz?
J'ai mal à la tête à force de me poser la question! Ou alors c'est
l'altitude, ça va passer. Quand Josef, le Chef, m'a tendu mon passeport
en me disant:
- "Va te mettre au vert un moment, le temps qu'on t' oublie", j'ai juste
demandé:
-"je vais où?"
-"La Paz."
-"Pourquoi La Paz?"
-"C'est beau non?" fut sa seule réponse, sans que je puisse savoir si
c'était le mot qui était beau, ou le lieu. Depuis la question me lance
comme une douleur chronique. Pourquoi La Paz?
Fait chaud. J'ai soif, alors que cette nuit j'ai du me
recroqueviller dans un coin du lit tellement je grelottais. J'ai rien à
faire surtout. Rester bien planqué au début, jusqu'à ce qu'on oublie un
peu, même
ici. C'est pas que j'ai vraiment peur. Bien sur, après avoir
institué le fichage de tous les militants associatifs, le Président, de
lois liberticides en prétextes sécuritaires a rétabli la peine de mort.
Dans la population manipulée par les médias, le grand débat n'a même pas
été: référendum ou pas, peine de mort ou pas, mais: guillotine ou
injection létale? Mais au moins ici, dans ces contrées au contexte
politique instable, il pourra toujours me faire éliminer par ses agents
secrets et mettre ça sur le dos d'activistes armés. Pratique, ça évite
procès et débat. Voilà peut-être pourquoi La Paz? Non, je m'égare, cela
impliquerait une complicité de notre Chef, et la préméditation de mon
sacrifice, je ne peux pas penser ça. Alors pourquoi La Paz?
C'est pas ma faute. J'ai jamais su dire non. J'étais réticent à
l'utilisation de la violence, mais je n'ai pas su résister aux
arguments: « Il faut ça pour lancer la résistance », « c'est sans
danger, tu ne tueras personne », et le plus imparable de tous: « on a
besoin de toi ». J'aurais du aller au bout de mon geste, débarrasser le
pays de cette plaie, puis me suicider dans la foulée comme mon alter ego
israélien, mais avec un marteau c'est difficile! Au lieu de ça me voilà
à La Paz, dans ce quartier surpeuplé et pollué. Et pourquoi La Paz??
L'alternative c'était de rester sur place et de jouer la carte du
déséquilibré. Pour me retrouver à perpette dans un hôpital psy, drogué
et camisolé, non merci! Sans compter que c'était même pas une
garantie de sauver ma tête, l'argument de la folie ne dispense plus de
l'application de la peine. Mais même si le Chef m'a recommandé d'être
discret comme un lynx dans mes déplacements, je suis condamné à
me trimballer le restant de ma vie sur la planète, à ne jamais
rester longtemps au même endroit, pour ne pas donner prise. Sans cesse
déménager, avec un stock de faux passeports et de cartes d'identités
planqué dans une banale boite à chaussures. Alors pourquoi pas La Paz
comme premier port d'attache, c'est vrai.
Le Président s'est-il posé cette question en choisissant ce village pour
sa visite? Son prédécesseur déambulait aux salons de l'agriculture, un
autre s'invitait impromptu à dîner chez de pauvres gens qui n'avaient
rien demandé, rien prévu. Celui-ci a fait sa spécialité de débarquer
dans les fêtes des villages les plus reculés, les plus obscurs.
Alors le Président avait-il eu la migraine à force de se demander:
pourquoi Galié? Je ne le pense pas.
Dès que le nom du village élu avait été connu en haut lieu, et trahi par
une fuite, j' étais allé faire des repérages. J'avais trouvé le Maire en
haut d'une échelle occupé à accrocher des guirlandes. Je m'étais
présenté comme vacancier intéressé par la vie locale. Il m'avait
chaleureusement accueilli et invité. Il y aurait un bal, aussi une messe
le matin... ne me connaissant pas il voulait me montrer que
l'éventail étant large, je trouverai forcément une activité à mon
goût à leur fête. D'accord, à bientôt alors... j'étais parti.
J'avais choisi le jeu de quilles. Rien de plus facile que
d'éclater le crane
présidentiel avec le marteau dans un geste malheureux. Pas d'arme du
crime, pas de préméditation. Mais j'avais loupé mon coup. Il fut à
peine assommé et mon geste si peu naturel qu'il était impossible de
passer pour une maladresse. Un copain qui connaissait bien le coin
savait par où rapidement m'évacuer, et me cacher en attendant mon
départ. Mais pourquoi Josef avait-il choisi La Paz?
A bout de tergiversations, j'ai pensé à ma douce, abandonnée si loin
sous la lune de la Barousse. Peu a peu ses pas inscrits sur les sables
de
ma mémoire m'ont menés à ce refrain que nous avions tous écoutés le
dernier soir, la veille de l'attentat. Un tendre refrain en
musique de fond qui disait :« yo encontre la paz ». Apparemment, Josef
l'avait entendu aussi bien que moi.
Maintenant je sais pourquoi La Paz et pas Sucre.
Mercredi 23 juillet 2008
« yo encontre la
paz », Serge Lopez
Sur 10 mots de Gwénaël: mur, feuille, ordinateur, tapette à mouches,
fleur, dessous, pillage, chaise, cheminée, dehors.
-« Allez...
dehors... »
Le chat habitué à ses
caresses ne comprend pas et revient à nouveau se frotter contre ses
jambes.
-« j'ai dis dehors!! Tu n'as pas le droit d'être là, tu le sais»
Il l'attrape doucement et l'enferme hors de la pièce. Ensuite il éteint
l'ordinateur
dont le « ron-ron » infernal l'empêche de se concentrer. Il sort une
feuille, un crayon, une revue comme support, c'est encore un peu
mou, il rajoute un album, et s'installe sur une chaise, devant la
cheminée vide, c'est l'été.
Cette fois il doit vraiment s'y mettre, il est au pied du mur, le
rendu des textes est ce soir. Des mois qu'il connaît le thème, et il n'a
encore rien écrit. Il vient de tondre le terrain, de passer l'aspirateur
et de plier le linge. Il profite d'un moment calme, du vide momentané et
exceptionnel de la maison pour
essayer de se concentrer.
-« Il y a tant de choses dont j'ai envie de parler, il y a tant à dire,
à dénoncer, à expliquer: les changements induits par le système
capitaliste, le pillage
irréversible de la planète, la croissance des inégalités entre le nord et
le sud, le durcissement des expulsions... comment changer tout ça? »
Fatigué il revoit tous ces combats dont nous ne connaîtrons pas les
victoires, son esprit rôde et s'égare, allume à l'âtre la flamme qui
manque, invente la douceur qui fait défaut. Si l'inspiration militante
le lâche, peut-être l'amour lui rendra-t-il ses mots?
Il ferme les yeux, inspire lentement et pense à elle. Une odeur de
fleur et elle est là, près de lui. Son cœur s'apaise. Elle est à
l'aise, lui aussi. Beaucoup de respect, mais aucune fausse pudeur, ils
s'embrassent et c'est naturellement qu'il remonte un peu sa robe et
tendrement caresse sa cuisse, dessous. Il y aurait tant à écrire,
à avouer: la construction des relations, l'évolution des sentiments, les
transformations dans nos vies, les bouleversements que l'on nie, par
respect du passé.
La porte claque, il regarde l'heure, puis sa feuille blanche. Les
enfants
entrent les premiers en courant et en se chamaillant bruyamment. Sa
femme pose les courses et attrape la tapette à mouches
pour chasser le chat qui les a suivi.
Il aide à ranger les courses, il calme et occupe les enfants.
Cette nuit, le délai passé, il rallumera l'ordinateur, il ouvrira une
page de traitement de texte, et rapidement, sans attention aucune aux
fautes de frappe et à l'orthographe tapera d'un seul jet:
-« Allez... dehors... » ....
1er août 2008
C'est mon plus vif souvenir d'enfance, celui qui est à la fois le
symbole de ma condition de fils de pauvre et le témoin de l'émergence de
ma vie imaginaire que j'ai ensuite tournée vers l'écriture.
Ma mère, dont l'activité principale était depuis le départ de mon père
la recherche de nourriture, avait repéré une propriété délaissée à
l'écart du village. Le propriétaire n'y habitait pas, ne
venait que de temps en
temps, toujours aux mêmes horaires pour jardiner et nous pouvions
pénétrer très discrètement par un trou dans la haie. Une fois dedans,
c'était le paradis pour nos ventres d'enfants: mûres, fraises, tomates,
carottes, salades... Ma mère ne cessait de nous répéter que nous
n'étions pas des voleurs. Nous ne prenions que ce qui était très mûr,
menacé de pourrissement. Surtout, nous ne venions nous « servir » qu'en
cas d'extrême nécessité, affamés depuis plusieurs jours, et nous ne
prenions pas plus que nous ne pouvions manger, sauf les fruits tombés.
Ma récolte préférée c'était les prunes. Tout le mois d'août nous
passions la haie plusieurs fois par semaine, chaque enfant armée d'une
cagette, très tôt le matin ou à la lune, nous ramassions des quantités
de prunes tombées que nous ne disputions qu'aux guêpes. C'était
l'occasion de faire des stocks, sous forme de confiture, et de faire des
cadeaux aux voisins. Maman affirmait telle une maxime, que plus on est
pauvre plus on doit cultiver les relations de voisinage. Offrir une
cagette de prunes en août lui permettait d'oser demander un paquet de
nouilles une fin de novembre difficile. En ramassant j'étais partagé
entre deux sentiments aussi forts l'un que l'autre. D'un coté la peur
d'entendre retentir ce cri « au voleur » et d'être pourchassé, battu,
mordu, tué, peut-être même! De l'autre un ravissement d'enfant rêveur.
En ramassant ces dizaines de prunes, je m'imaginais trouver autant de
précieux oeufs de pâques dans l'herbe mouillée. Leur forme, leur
couleur, le sol jonché, tout m'y faisait penser. J'étais transporté dans
un pays féerique, où les enfants ne manquent de rien, et surtout pas de
nourriture, où leurs souhaits s'accomplissent à peine formulés. J'étais
le héros de fables merveilleuses, où tout un peuple imaginaire venait au
secours de mes tourments d'enfants. C'est ainsi absorbé dans ma rêverie
que j'étais le plus vulnérable, d'autant que mes sœurs savaient très
bien guetter ces instants pour me taquiner. L'une d'elle me fit ainsi la
peur de ma vie, lorsque , contrefaisant sa voix, elle cria « Vas t'en
sale petit voleur! » en appuyant l'extrémité d'un bâton entre mes
omoplates pour simuler un fusil. Ma frayeur fit rire aux éclats mes
trois grandes sœurs, pour
elles qui ramassaient sans états d'âme je n'étais plus qu'un petit
garçon poltron.
J'ai grandi, j'ai cherché du travail. Je ne suis pas riche, mais j'ai de
quoi manger. Je vends des légumes sur les marchés, l'été et sous la
pluie, de l'aube à l'hiver. Il m'arrive, du coin de l'œil, de surprendre
un larcin, de plus en plus souvent d'ailleurs, en ces temps de crise et
de chômage. Je connais bien la faim, la peur, et la honte qui tenaillent
le ventre de celui qui se risque à voler son repas. Alors mon esprit se
prend à rêver, comme lorsque j'étais enfant, à inventer de fabuleuses
histoires de princes justes et généreux. Le temps que je sorte de ma
rêverie... et c'est un fait étrange, mais
mon regard n'arrive plus à reconnaître l'auteur du délit dans la foule
du marché!
Août 2008, Sarremezan, sous les pruniers.
Bon, on y va. C'est parti pour 800 bornes dans cette boite sur roulettes
à avaler des kilomètres, solitaire. Alors quand je l'ai vu avec son sac
et sa pancarte sur le bord de la route... je n'ai réfléchi qu'après, une
fois qu'il était là, assis à ma droite.
J'ai beau me raisonner: tous les autostoppeurs ne sont pas agresseurs,
c'est même plutôt rare, leur but principal est quand même de se faire
transporter, pas de détrousser leur chauffeur, mais quand même, je ne
peux m'empêcher d'avoir peur de ce gars à qui pourtant j'ai ouvert la
porte de mon plein gré.
Tant que ça roule, ça va. Éviter les pauses. Mais quand je vais avoir
besoin d'essence? Et puis pour la compagnie, raté, sa présence n'empêche
pas le silence. Au contraire, il est pesant.
Il
sent ma gêne, et c'est lui qui gentiment se met à parler, de tout,
de rien, puis de sa vie, de ses passions. Puis, comme pour équilibrer la
situation, un point partout, de sa peur aussi. Lui aussi est à la mercie
de qui s'arrête, et il n'est pas à l'abri des frayeurs, des agressions.
Alors je me détends. On élargit le débat, on
parle de la confiance que les humains peuvent avoir ou non les uns
envers les autres, des rencontres, des hasards, et des difficultés de
chacun. Huits cents kilomètres, plus les pauses, ça en fait des heures,
des mots, des occasions...
Rien n'est simple, naturel, à chaque interaction je
m' interroge: pourquoi dit-il cela? A t-il une arrière pensée?
Pourquoi ce compliment trop gentil? Espère t-il y gagner quelque chose?
Et si je l'écoute et réponds gentiment -parce qu'après tout, je n'ai
aucune raison d'être cassante ni désagréable- ne risque t-il pas d'y
voir plus qu' un intérêt sincère mais désintéressé?
Je passe une vitesse au moment où il cherche un mouchoir dans la poche
de son blouson. Nos mains se touchent. Il s'excuse et rougit.
-« y'a pas d'mal. »
Zut! Ne va t-il pas voir une invitation dans ces mots? Non, ça va, il ne
donne pas de suite. Mais quelle est cette petite voix qui ajoute:
« dommage »?
Pause. Il m'offre un café. C'est sympa, mais ça peut être normal et ne
rien signifier, après tout je lui rends service.
-« C'est là que je m'arrête.... ». La journée tire à sa fin, je ne peux
pas m'empêcher d'ajouter: « Vous avez où loger? ».
Merde! Malgré le choix du mot, encore l'ambiguïté, dans ma question
et... dans ma tête! Jusqu'où va-t-il penser?
-« Laissez moi là, je continue vers l'Espagne, je voudrais trouver
un routier pour passer la frontière de nuit. Un grand merci à vous, pour
tout... »
Je n'insiste pas, soulagée. Consciente pourtant que j'aurais insisté
pour qu'une femme accepte
mon hospitalité et ne reparte que le lendemain.
Échange de mercis, de regards, et dans un dernier sourire, son départ.
Nous n'avons même pas échangé nos coordonnées, je n'étais qu'une étape
de son chemin, il prendra d'autres routes, d'autres voitures, des
camions, laissera à d'autres le souvenir lumineux d'un bout de route
commun.
30 août 2008
Sortir pour m'en sortir... Oui je sais, je connais la recette: pour lutter contre la solitude, la tristesse, il faut sortir...
Mais pour aller où? Marcher comme ça, sans but? Tourner en rond dans la ville?
À défaut de savoir où aller, je sais quels lieux éviter:
Eviter les ponts, les fleuves et les passages à niveaux. Et les cimetières? Non, pourquoi, c'est calme et pas dangereux, ce serait même un excellent endroit pour promener mon humeur sans attirer l'attention, s'il n'était pas fermé.
Eviter la voiture et les platanes tentants. Sans aller jusque là, je sais que le courage, si c'en est un, me manquerait pour acter mes pensées. Mais l'esprit embrouillé et les yeux voilés de larmes, l'accident est vite arrivé.
Alors aller où?
Si, il y a un endroit où j'aimerais aller, et ça va t'étonner: au bistrot sur la place. Tu y boirais un café, ou une bière si tu préfères, en terrasse, au soleil. Nous nous tiendrions la main sur la table, nous regarderions dans les yeux sans dissimuler, échangerions un baiser sans nous cacher.
Oui mais voilà... rien de tout ça n'est possible: y a pas de soleil.
et sans toi, je ne sais où aller...
samedi 13 septembre 2008, 17h22
Et ce matin je dis que la brume isole Le crachin circonscrit chacun dans son chagrin Perdus dans le brouillard, bruits de vies assourdis Nous n'osons plus crier, appeler au secours Les amis pourtant prêt à faire le détour
Chacun s'isole en soi et chéri ses fantômes Personne n'ose le pas qui éloigne du fleuve Créant brouillard tenace sur toute la vallée Car c'est voie navigable bien propice aux pensées Des routes d'eau et de bruine sur lesquelles peuvent glisser Les mots les plus doux, et remonter le fleuve
Fuir soleil des sommets et le ciel bleu des plaines Te rejoindre où tu es, pour y noyer ma peine Emprunter l'un des ponts qui mène à ta maison T'y trouver, être là, plonger dedans tes bras.
Encore une fois mes mots auront fait le chemin Du chagrin à douceur, ont sauvé mon matin En conduisant mon coeur, par brumes et par vallées Près de toi mon aimé, loin du soleil d'été.
Je chanterai l'automne qui par bonheur revient Compléter les années, me dire que tu vas bien Et j'aimerai les pommes, en ton jardin tombées Qui m'annoncent beaux jours: ta présence retrouvée
En attendant, patience il me faut cultiver Et les poires en semence écrasent les pensées De dépit, déception et amères frustrations Pour ne laisser venir, pousser en ton jardin Que celles douces et tendre d'un amour serein.
Bon Automne Mon Amour, Au retour des beaux jours... 27 septembre 2008
Cela fait des années que je m'applique à être légère pour mon compagnon de vie. Pas de jalousie, pas de contrôle, pas de possessivité. Je fais de sa liberté ma priorité. Surtout, jamais de: - tu rentres à quelle heure? Tu reviens quand? T'as une heure de retard, je me suis inquiétée... Je le veux libre de son emploi du temps. Pas non plus de: -tu devrais consulter le dermato, je m'inquiète pour ton dos. Il est libre aussi de sa santé, de son corps, de la façon de le soigner, ou non.
Vous me croyez insouciante, légère, prenant la vie de couple avec simplicité? Vous vous trompez.
Car si œuvrer au bonheur et à la liberté de celui qui partage ma vie est une ligne de conduite que je suis avec joie, je ne m'accorde malheureusement pas ce que je revendique pour lui.
Les épaules lourdes d'un invisible carcan, les poignets liés par mon propre pilori, je m'astreint à lui être disponible toujours, à chaque instant de son emploi du temps imprévisible. Je suis responsable des contraintes qui m'enferment, moi et moi seule m'y enjoints, lui ne me demande rien. Mais moi je veux être là, au moment où il aura besoin de moi. Sans bouger je l'attends. Sans rechigner je reste devant notre dîner qui refroidit, jusqu'à ce qu'il arrive pour le partager, et me dise tout contrit que j'aurais du manger, laisser sa part de coté. Aux amies je refuse visites et sorties, au cas où il aurait envie que j'accompagne sa soirée, il m'annonce tout penaud une importante réunion, et je reste seule, à pleurer.
D'où me vient cette contrainte? Cette incoercible manie de l'attente disponible? Que risquerais-je à parfois lui manquer, à lui dire un soir - »non, désolée, il fallait me prévenir avant, je sors au ciné avec les copines. »
Dans ma mémoire je vois ma mère et ma grand-mère, tablier en étendard, entre fourneau et pendule, attendre le retour de l'homme, chaque soir. Être là était leur premier mot d'amour, avant même le bonsoir et le rituel baiser sur les lèvres effleuré. C'était un autre temps. Trouver le dîner prêt, chaud, à point, était normal, et les hommes ne se posaient aucune question. Maison en ordre, femme présente, tout allait bien.
Il me dit: prends les choses simplement. Mais pourquoi sortir de cette habitude millénaire est il si difficile? Comprendre que mon aimé aime autant ma liberté que j'aime la sienne est il si compliqué? Cesser de le culpabiliser par toutes les occasions de vie que je laisse passer pour lui, est il impossible?
Si je m'y applique maintenant, il faut que ce soit légèrement, en m'accordant des rechutes de mémoire millénaire, en m'étant indulgente, et non comme une nouvelle ligne de conduite, sévère et lourde à suivre.
Être légère à moi-même aussi mon amour, pour supprimer ce dernier poids qui pèse sur notre couple, cette invisible cause de tensions dans nos relations. Pour qu'aucune douleur solitaire ne gâche plus mon bonheur, qu'aucune culpabilité n'entrave ton indépendance.
Apprendre que vivre ma liberté c'est respecter la tienne jusqu'au bout .
04 octobre 2008
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