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GR10

 

 

Billets d'humeur

 

 

Départ

 

Pourtant... l'un dans l'autre... j'aimais bien croquer des tartines, seule, dans le puits de lumière étroit et ensoleillé. Je me souviens... la dernière: pain de campagne, beurre salé, rondelles de carottes crues... me suis cassée une dent, pas cassée, non, elle est tombée, comme une dent de lait d'enfant... étrange sensation: la dent quittant son logement, sans douleur, racine grignotée... c'était une innocente petite incisive du bas, juste à coté de la canine...

Oui, et pourtant, partir... tourner le dos aux impossibles plages, aux immeubles lézardés... partir, à pied, le long de ce sentier... marcher, à pas lourds qui cognent sur les rochers, aussi... fort que mon coeur cogne en ma carcasse, contre mes os... battre la campagne, sans avoir peur d'occasionner des  tremblements ... de terre, avec les vibrations de mes pas rageurs...

Excusez-moi... ça grimpe fort. Suis essoufflée. Vais m'arrêter un peu... vous continuez? D'accord, merci pour... le bout de chemin, bonne route!

 

Croisement

 

Oui, seule. Je suis partie pour être, simplement être, sans adjectif. Savoir, une fois tous mes liens coupés, ce qu'il reste de moi, qui je suis. Ben, oui, j'ai tout laissé, tout et tous.

Mais non je n'ai pas peur! De quoi, de qui aurais-je peur? Des loups? Y'en a plus! J'ai peur des chiens, c'est vrai, mais dans ces pays de moutons, ils ne rodent pas, ou pas loin des marcheurs, qui les maîtrisent mieux que je ne maîtrise ma peur. L'ours? Je ne cherche que ses traces, j'éviterai sa tanière! Je dormirai plutôt sans toit, que de tenter l'asile d'une grotte. Les sangliers, ils ne sont pas carnivores... les...

Ah! Les hommes? Non, pourquoi? Je ne crains ni n'espère plus rien d'eux. Ah! Vous m'offrez l'hospitalité de votre tente pour la nuit, je ne dis pas non, cela m'évitera de m'enrhumer dans la rosée  au matin.

Quoi!! Si je suis disposée à vous « dédommager » de votre hospitalité?? J'aurais préféré que vous le proposiez comme un partage, je ne suis pas une monnaie!! Et je n'ai pas pour habitude de coucher avec qui je vouvoie! Je dormirai dans la rosée! Au revoir!  

Mante religieuse  

L'expérience de l'amie de passage m'interroge, m'angoisse, me donne envie de répondre oui aux mâles randonneurs qui me croisent, et une fois qu'ils seront arrivés à leur fin, décider de moi même qu'il n'y aura pas de suite: faire comme Katja sacrifiant Werner[1], alors même qu'il est le premier que son corps désire, qu'il l'aime et le lui dit.  La suite de l'Histoire impose qu'elle le tue, alors elle le laisse la prendre, pour elle, et le poignarde dans le dos, tandis qu'il est encore sur elle, pour l'Histoire. Ne pleure pas sur votre sort Katja, d'après l'amie, pour lui, votre histoire était bien arrivée à ses fins, pour toi, peut être, aurait commencé son lent déliement.

 

Bivouac

 

Ma destination? Je suis partie chercher les traces de l'ours, pour essayer de le comprendre, puis, je cherche aussi une source, celle d'une ancienne rivière presque tarie, et qui ne charrie plus que des blocs de colères.

Étincelles du repos, crépitent de ce feu de camps, à prendre comme telles, à respecter, à accueillir, sans rien forcer, ni réfléchir. Suivre mes pas, les laisser guider mes pensées, au delà de la réalité. Les montagnes sont jolies, aussi, me dit l'amie de passage, elles ne sont pas uniquement grises et pourvoyeuses d'ombre, d'humidité. J'approuve son point de vue, d'autant que depuis que je suis dessus, elles me rapprochent du soleil de mes rêves.

Merci pour ce partage, amie de passage, pour l'eau frémissante sur les flammes, pour l'entente au-delà des mots cachés. J'accepte l'éphémère en ces lieux de transits. Hier bout de chemin, aujourd'hui le silence, personne pour épauler mes pas, c'est comme ça, succession d'instants, de hasards, sans continuité, sans liens.

Peut être est il vain de chercher sa vie sur un chemin?

 

 

Nuits étoilées

 

Encore une nuit sans refuge, et personne pour m'offrir l'abri de sa tente. Je dors sous les étoiles, solidaire de tous les sans-toits de la planète. Les soirs sans étoiles, je refusais l'épreuve du dialogue, dans le ciel uniformément noir, il me manquait  un endroit où cacher le nuage blanc où je dissimulais cette petite partie de moi encore aimée et aimante.

La nuit d'avant mon départ, après m'être assurée, en fermant les volets, qu'il y avait au moins une étoile, j'ai dit la rupture, ma peur dépassée, et mon refus de renier mes rêves, aussi fous et fragiles soient ils, aussi compromis puissent ils être de par ma décision elle même. Le ciel alors, en pleine nuit s'est éclairci de mille étoiles nées de ma force, de ma renaissance. Enfin, j'étais unifiée et sincère,  étoile unique parmi les milliards d'autres.

Oui, la nuit on sait.[2] Rêves de mes nuits savent les désirs de mon corps, les sentiments de mon coeur, et les peurs de ma vie. Depuis quelques temps, j'apprends, le jour, à leur faire confiance.

J'apprends aussi à aimer  cette nuit qui m'avait toujours fait si peur.

 

 

Solitude

 

Aujourd'hui, anéantie de fatigue, chaque mouvement me coûtait, mon coeur cognait contre mes os, qui propageaient ses coups à toutes les chairs de mon corps. Je me suis allongée, ventre contre le sol, avec l'envie d'y poser mon coeur à nu, pour que la terre en absorbe les pulsations, les calme, les adapte à son rythme millénaire; ou bien, qu'elle me reprenne, toute entière, m'incorpore à son éco-système. À elle le choix.

Aujourd'hui... et pourtant, j'ai vu l'arc en ciel ce matin, comme ce jour où le haut de l'arbre s'était illuminé au dessus des toits de mon puits de lumière, illuminé sur le ciel gris, et où j'avais pensé l'arc en ciel avant même de le voir auréoler l'arbre. J'étais sortie ce jour là, à l'appel du soleil, et rentrée seule et triste, en manque de contacts, d'amis, de groupe.

Pareil, personne sur le chemin ce matin, ce vide soudain a ravivé ma douleur, mon angoisse. Personne pour un petit bout de chemin, me délester de quelques mots de trop, et en échange prendre quelques un des vôtres dans mon sac à dos...

Personne, c'est alors que j'ai vue la rivière, torrent rapide, et de rage, de dépit, j'y ai jeté, un à un, tous ces billets d'humeurs témoins, que patiemment je rédigeais pour toi, au fil du temps et de mes pas. Toi, parti sur ton fil, moi, en sens inverse, sur la crête des vagues de l'écorce terrestre.

 

Rencontre

 

-Bonjour, qu'est ce que vous faites?

-Oh! Pardon? Vous m'avez parlé?

-Oui, je vous ai demandé ce que vous faisiez.

-J'envoie des billets à la mer, c'est une idée volée [3] mais c'est vrai que ça soulage.

-Et... y'a quoi sur vos papiers?

-Mes humeurs, enfin contenues, contrôlées, captives du papier, qui voguent vers leur destinataire.

-Je comprends.

-Vraiment? Sans blague!

-Pourquoi cette ironie soudaine dans votre voix? Oui, je vous comprends.

-Et vous, qu'est ce que vous venez de jeter dans l'eau?

-Un caillou sculpté. Regardez...

-Ils sont jolis. Vous en avez beaucoup!

-C'est pour poser sur les repères des marcheurs.

-Vous n'y posez que des cailloux sculptés?

-Oui.

-Mais ... ça doit prendre beaucoup de temps de les faire!

-Oui, c'est pour ça que j'avance lentement.

-Mais celui là, pourquoi l'avoir jeté? Il est perdu, gâché!

-Lui aussi avait un destinataire, il rejoindra votre papier... je peux dire « tu »?

-Oui.

-Tu continues le chemin dans ce sens?

-Oui...  mais n'espérez rien!!

-J'ai dépassé l'espoir depuis longtemps... juste un bout de chemin... tu peux dire « tu » aussi...

 

Place de l'étoile

 

Étrange croisée des chemins, au col, sur les panneaux de bois,  les indications effacées, érodées par les temps, ne sont plus que  doutes, conditionnels, interrogations... Je le vois hésiter, son regard tourné vers une direction qui ne m'attire pas. J'ai envie de sa présence pour épauler mes pas, encore un temps. En contre-bas, il y a un ruisseau. Je lui demande:

-Donne moi un de tes cailloux s'il te plaît.

-Tiens, choisis.

Je me saisis de sa réserve.  Je me dirige vers le ruisseau.

-Non! Ne jette pas tout! S'il te plaît! J'en n'ai pas d'autres!

Trop tard...

-Désolée, excuse moi. Tu vas m'apprendre à graver, et je vais tous les refaire, d'accord?

-Mais... ça va prendre  du temps.

-Peut-être que j'avais envie de prolonger notre chemin commun? J'ai choisi celui qui va vers l'est... et toi?

-Comme toi. Pour l'instant...

 

Écriture 

 

-Pourquoi tu t'arrêtes, comme ça, pour écrire, tout le temps?

-Et toi? Pourquoi tu t'arrêtes pour sculpter des cailloux, au lieu de poser sur les cairns  la banale première pierre qui te tomberait sous la main?

-Une trace, personnelle, de mon passage.

-Ben moi, pareil, une trace, de mes pensées, de mon existence.

-Mais puisque tu les jettes!

-Je ne jette pas tout, regarde...

Mon sac est lourd, mais c'est de papier. Fait à la va vite, je l'ai empli de cahiers vierges et de livres phares qui guident mes pas, lorsque je me sens perdue, si loin de la mer, loin de cette plage où je rêvais de graver le sable de mes rêves. Chaque pas m'en éloigne et j'ignore où je vais. Partie sans carte, pour seuls repères des mots et des rencontres, je suis les chemins, je longe les rivières, j'accompagne l'un qui bifurque mais m'offre de l'eau et des mots, je rebrousse un temps avec un autre qui souhaite une oreille, une présence.

Souvent je m'assoie devant l'immensité montagneuse, ou le soir, dans un refuge solitaire, j'étale mon trésor: livres, papiers, journaux, crayons, et là, libre, dans un incessant va et vient des mots des autres aux miens, je construis, me re-construis.[4]

Pourrait on dire qu'un bon écriveur, loin d'écrire en vain, serait celui dont l'écho des mots fait naître en nous, lecteurs, l'envie d'écrire, et par là, celle de vivre?

Un jour, témoin de mon déballage, l'une me dit: « Mais t'as pas de vivres là dedans! Qu'est ce que tu manges? ». Des heures que la faim me mordait, mais jamais je ne m'étais sentie si vivante. J'ai hésité, j'ai pas osé ma réponse: « J'écris. Pour vivre. », je me la suis gardée.

Lire au soleil sans bouger, jusqu'à soutenir le regard du lézard. Noter le jour. Peut être est ce le dernier de la saison.

 

Pèlerinages

 

Mes chemins croisent aussi ceux des pèlerins, vers St Jacques ou vers Lourdes. Marcheurs pénitents m'interpellent parfois, m'acceptent un temps dans leurs rangs chaleureux, stimulent ma marche de leur chants. Mais mes pas à moi n'ont rien d'expiatoires. Je l'ai compris le soir d'après, le lendemain de mon départ, quand j'ai enfin pu soutenir l'accusation sans me sentir atteinte par son regard. J'abandonne les pèlerins à leur linéaires chemins, moi sans but, je divague sur les miens, me perds un moment, m'arrête, tourne les talons, hésite, aucune chapelle à l'arrivée ne m'attends, j'ai tout mon temps.

 

Traces d'ours

 

Au fil de quelques pas communs, l'une m'a parlé de sa bulle harcelée, et de son courage à la faire respecter, même au prix de la rupture.

Ce soir là, une lune pleine et basse éclairait de ses rayons rasants le sol blanc de la première gelée. C'est là que je les ai vu briller dans la terre: les traces de l'ours.

Je les avais suivies des années, immuablement identiques, me perdant dans leur pas silencieux, mais portée par mes espoirs de changements. Toutes ces années à traquer ses traces me sont renvoyées en pleine face, couvertes de la boue du déni. Ce soir la piste s' arrête là, l'ours a atteint une zone rocailleuse où ses pas ne s'impriment pas. Où il va, je ne peux le suivre, sa tanière, je ne veux y vivre.

 

Silences

 

Parfois se taisent toutes les voix du ruisseau. Je le longe, il reste muet des jours entiers. Pas un seul trèfle d'oxalis ne flotte entre ses eaux, pas un galet ne roule dans son court, pas un oiseau ne chante sur ses berges, rien. Ces jours là, je déserte ses rives, et me fie aux balises rouges et blanches des sentiers, là où j'aurai plus de chances de rencontrer une autre âme errante.

Chemins solitaires, nuits de silence, petit à petit, j'apprends que j'existe, moi. Chemins de douaniers passant sans cesse d'un pays à l'autre, bâtissent mes frontières. J'accepte l'éphémère du soleil levant, qui ne dure pas, mais reviendra. Je ne crie plus mes appels à l'aide à l'écho du silence. Moi seule peut m'aider à gravir ces montagnes, moi seule choisis le chemin, selon mes envies, mes forces du moment.

Mais je triche: au plus profond du silence je vous parle, mes amis, mes rencontres d'un jour, et toi surtout, je me berce de votre présence intériorisée. Vos mots, vos cris de désespoirs dépassés, surmontés, me prouvent que moi aussi j'atteindrai ce col qui paraît illusoire, si haut dans la brume, et qu'après j'aurai le repos d'une descente douce vers une verte vallée, ensoleillée. Je m'appuie sur vous autant que sur mon bâton de marche.

 

Arbre à choix

 

-Déjà levée?

-Oui, bonjour!

-Et que fais tu si tôt?

-Je dessine un arbre.

-???

- Le tronc, qui puise sa force dans les mots racines, c'est mon en-vie d'harmonie, ces branches, les possibles pour y arriver, et au pied de l'arbre, des herbes dialogues, communiquent, échangent.

-Et cette branche, au milieu?

-Celle-là c'est celle des rencontres, les greffons. Si l'un vient trouver l'autre, lui dire qu'il a rencontré quelqu'un, quelqu'une. L'autre pourrait répondre: j'en suis heureux(se) pour toi, mais triste si cela signe la fin de notre lien, souhaites tu continuer notre chemin commun?

-oui...

-merci pour nous, je vais essayer de dépasser l'inévitable jalousie; et la greffe rejoint la branche commune.

-non...

-j'en suis  triste, mais je respecte, et la greffe rejoint la branche séparation.

-Et ton arbre, tu vas aussi le jeter au ruisseau?

-Oui, sûrement.

-Donne le moi alors...

 

Feu de camps

 

Moi aussi j'ai une histoire à raconter:

C'est l'histoire d'un homme très dynamique, de son réveil matinal à son coucher tardif, il n'est qu'activité, toujours occupé sans jamais afficher ni fatigue, ni lassitude, ni tristesse. Parmi ses multiples réalisations, il soigne un très grand potager, arrache à la main l'oxalis au pied des tomatiers, sème, plante, cultive avec grand soin des heures durant. Comme il distribue généreusement sa production à tous, parents, amis, voisins,  toujours s'étonnent du goût  de ses légumes naturellement si agréablement salés.

 

Ascension

 

Peut-être ai je choisi une pente trop rude pour moi? Je m'essouffle, je lutte contre le vent, mon pas est lent, mes muscles douloureux, mais j'avance. Il eut été si confortable d'être sans tâche à l'heure des règlements de comptes! Mais ce qu'il dit vivre, subir, ressentir, ce dont il dit prendre conscience d'un seul coup, en une énorme vague cinglante, ce n'est QUE ce que j'ai vécu, ressenti, subi, des années durant: l'impression de n'être pas aimé(e).

De cette culpabilité là aussi me défaire, pour avancer malgré ce vent glacé, ces bourrasques de novembre flagellant ma conscience. Accepter, oui, de n'être pas toujours bonne et douce, et de parfois faire mal .

 

Envol

 

Au bord extrême d'une falaise, je contemple le vide, fascinée. Pourrais-je une fois seulement m'élancer et glisser sur les vagues d'air chaud? C'est dangereux, parfois je rêve trop fort, et je suis capable un jour de me jeter à l'eau. À l'eau? Non! À l'air! Sentir sa caresse immatérielle sur tout mon corps. Planer. Voler seule, de mes propres ailes, enfin. Ne rien devoir à personne, ne rien attendre non plus, seulement du vent et des courants ascendants. Être maître, une fois, au moins, de moi, de ma vie et de son bris, là, en bas de la falaise.

 

Le roncier

 

Bourrasque un peu plus forte, vertige soudain de cette faim qui m'allège, je suis tombée. Je n'ai pas su voler, j'ai dévalée la pente, roulé sur des mètres, avant d'être arrêtée par un roncier inextricable. Là j'ai appelé à l'aide, mais personne à l'horizon de ce jour là, faudra t'en sortir seule ma grande, personne ne peut choisir ni décider à ta place.  Bonheur, la première fois que je me suis invectivée en ces termes, laissant tomber l'obsolète petite fille. Pourtant, quelles souffrances évitées, si quelqu'un doucement avait pu écarter de moi les branches du roncier. Mais non, je bouge, je me débats, je ne fais que m'y enchevêtrer encore plus, les épines déchirent ma peau. Tout mouvement est douleur, et pourtant, il faudra bien bouger!

J'y suis arrivée. Seule. Finalement, c'est ce que je voulais. C'est plus dur, plus sanglant, mais plus formateur et satisfaisant. Maintenant, je sais faire. Maintenant j'ai une réponse à mon cri frénétique: qui, qui pour m'aider? Soudain j'ai pensé: ben, et pourquoi pas moi?

J'en suis capable. J'ai moins peur de vos silences, je suis moins vulnérable.

 

Chemin militant

 

Un groupe de militantes, je les suis quelques jours,  je me joins à leur débat: violences conjugales, violence de genre ou loi du plus fort?  J'écoute, je pense, les femmes plus fortes que les hommes, leur capacité d'endurance, d'adaptation. Généralisation du débat m'aide à comprendre, à déculpabiliser. J'aime particulièrement l'histoire de cette militante des droits humains qui emprisonnée trouve quand même à écrire un bouquin, sur du papier toilette. Extraordinaire ressources de l'esprit féminin, ou effet salvateur de l'écriture?

Oui, quand j'en peux plus d'entendre ses cris d'amour dans la nuit, je fuis sur mon sentier de mots, et le quotidien m'y rejoint toujours, il faut bien vivre, ne serait ce que pour faire vivre autour de soi. Corvées et servitudes des femmes leur sont, parfois, salvateur soutien. Mais l'une marche et s'écroule, à genoux. Ses amies la relèvent, fraternité féminine, l'aident et l'encouragent. Pas moyen de faire autrement, avancer, on ne peut pas en rester là.

 

Enterrement

 

Impossible de remonter le court. Il le souhaite, pourtant. Il se perd dans ses illusions. S'il m'était donné de revenir à l'heure des choix, forte de ce que je sais maintenant, ce ne serait pas pour lui donner mon assentiment. Qu'il prenne l'acquis, le garde  précieusement. Les douleurs du passé sont mortes, enterrées, je ne pense qu'au présent, et à ce chemin qui se perd dans son brouillard. Il se peut que j'effraye quelque passant pressé, dans mes vêtements noirs, mais si je suis en deuil, ne vous méprenez pas, ce n'est que de mes illusions.

Symphonie

 

-Qui d'autre à une histoire pour égayer notre feu de camps?

-Moi, j'en ai une, griffonnée au verso d'une construction en court, incompréhensible écho. Écoutez:

La musique portait mes pensées vers toi, mais  c'est d'abord sur elle que se porta  mon regard. Son visage fin, sans fard, encadré de ses longs cheveux noirs, à la tristesse  démentie par la danse que son jeu imprimait à son corps. Lui, sérieux, concentré, mais tout aussi expressif lorsqu'il enserrait sa contrebasse. Puis j'ai surpris leur échange de regards. Son sourire! Cette fille savait sourire! Mieux, il savait, lui, la faire sourire. Et le mien ne les a plus quitté, jusqu'aux rappels, où eux seuls, j'ai vérifié, à l'abri du brouhaha des applaudissements, et sous l'alibi des centaines de regards, osaient l'inconvenance d'à-partés dissipés. En mineur comme en majeur, du début à la fin, ils avaient joué leur connivence en un accord parfait.

 

Froid

 

Le seul ennemi, le froid. Il m'a d'abord attaqué les mains, les pieds. La chaleur fuyait,  refluait au centre de moi, avec mes rêves, mes souvenirs. Alors il m'est arrivé, même en plein jour, de me blottir dans mon sac de couchage, m'y réchauffer, m' y  consoler du manque de toi.

Lorsqu'on n'a rien à se dire, ou pour nouer connaissance, on parle beaucoup du temps. Chacun annonçait l'hiver rude cette année, alors j'ai pris peur. Après ce dur été, cet automne de deuils, peur qu'un matin, on me retrouve gelée derrière un rocher bleu prêt à se fendre.

C'est là que j'ai ressentie l'urgence. Celle de vivre, nous. À mesure que la chaleur réintégrait mon corps, j'ai été tenté aussi, forces de mes bras retrouvées, de partir en colère, de celle qui me faisait battre ainsi les chemins. Puis j'ai trouvé l'apaisement d' une autre voix, celle de laisser une trace de nous, de notre lumineuse existence.

 

Vagues

 

En arpentant ces sentiers montagneux, j'ai cru me hisser hors de portée des vagues. Je me trompais. Les vagues me suivent, ou peut être suis-je aussi sensible aux marées pétrifiées?

 

Traces d'ours à nouveau

 

Le concret rattrape mes pensées, me voilà contrainte à re-penser ce que j'ai fuit. Chaque jour avancer, une pensée pour chaque pas.

Peut-être est il dangereux de trop lire? À force de côtoyer l'extrême rêvé de la vie, on se prépare à sortir des sentiers battus! On n'est pas dans un roman me dit il, marre de tes exemples romanesques! C'est vrai que la « vraie vie » lui se la coltine à longueur de journées, avec les vrais drames nés des inconduites (féminines? les hommes qui s'autorisent sans y accorder grande importance, des entorses à la conjugalité, sont pourtant bien contents de trouver des fautives pour les combler!!) . N'y a t'il que dans les romans qu'on rencontre la compréhension, l'acceptation des chemins divergents? Je suis forte de milliers d'histoires d'amours inconventionnelles et farfelues, j'en connais les revirements, les tournants et les tourments, les chutes et les fins, alors que dans son quotidien il ne voit que  les tranches les plus sombres de la vie de nos voisins. Si nous avions pu parler, si j'avais su insuffler un peu de poésie, de romanesque dans ses sombres projections...

 

Repli

 

Marteler la terre de ma colère, surtout ne pas la nourrir, pour redevenir douce et calme, pour retrouver en mon coeur la douceur de l'amour, même de loin en loin, pour retrouver les couleur d'un éclairage bienveillant sur la vie, la résignation.

Un pas, puis encore un, à chaque pas une douleur, à chacun un deuil de vie, une résignation. Qu'advient il de nous quand on est enfin résignée à tout? Est on encore humain?

J'ai marché trop longtemps, ou trop vite. J'ai trop reçu, trop accepté, j'ai trop donné à tous, je ne sais plus qui je suis, moi qui suis partie sur ce chemin pour me retrouver, j'ai réussi à me perdre. Une immense fatigue me tombe dessus, tout me paraît vain, la vie trop dure. Je m'écroule. Ne pas rester là, je ne veux pas qu'on me voit, qu'on me questionne, je ne veux pas avoir à expliquer, à parler, je veux pleurer en paix. Je me traîne, comme je peux, sur quelques mètres encore, en quête d'un abri. Là, entre un arbre et un rocher, sous les fougères, cachée, ça ira, ça passera...

Quand la vie est trop dure, se mettre en retrait, entre parenthèse, inutile de faire, en plus, souffrir les autres, leur chemin leur suffit, chacun sur le sien... t'as pas encore compris la leçon?

T'as le droit à rien, c'est marche ou crève. Ben oui, si j'ai envie de crever, un peu, de temps en temps?

 

Contes

 

Au fil des soirées animées de contes et de chansons, au hasard des rencontres, une petite réputation me suit, ou me précède, ça dépend de quel coté  vont les marcheurs, et parfois on m'aborde en disant ah! C'est toi la conteuse! Tu restes avec nous ce soir?

Au début j'avais du mal à conter les histoires qui flottent dans ma tête, alors aux moments de repos, je les écrivais, et le soir, je les lisais. Puis avec l'entraînement, m'est venue la capacité de conter de mémoire les histoires concoctées durant mes heures de marche.

Parfois, en panne d'inspiration, ou parce qu'elles me paraissaient jolies, je disais les histoires des autres, lues ou entendues, toujours en citant mes sources bien sur, mais ne se dit on pas autant dans sa façon de conter?

Voici l'une d'elles:

 

Déshabillage

 

J'emprunte cette histoire à Tahar Ben Jelloun, dans son livre: labyrinthe des sentiments.

Elle est jeune et blessée par la vie, par l'amour aussi. Il est âgé, doute de ses capacités à aimer, rêve d'un amour sans sexe, pur. Elle se présente à lui habillée avec soin et recherche, et lui demande, car il est poète, d'inventer de cours poèmes pour elle, au  fil desquels, en remerciement, elle ôtera ses bijoux et vêtements. Ses créations sont d'abord courtes, quelques strophes, où il vante sa beauté, son physique, puis s'allongent, il se met à parler d'elle, à mesure qu'elle se dénude , puis de ses sentiments à lui, à mesure que croît sa   peur de leur désir.

La tristesse de cette histoire, c'est que crispé sur son défi il va la perdre. Mais je ne le dis pas aux amis autour du feu, je leur tais la difficulté des relations humaines, nous avons tous besoin ce soir que les histoires finissent bien!

 

Cache-cache

 

-Je savais que tu étais là!

Elle lève vers lui un regard étonné, encore mouillé:

-Comment t'as su?

Il rit:

-Il n'y a que toi qui pouvait faire ça!!

Il lui montre les branches au-dessus d'elle, sur lesquelles elle a piqué, embroché, ses habituels petits billets d'humeur, comme des balises d'appel au secours.

-Aucun souvenir d'avoir fait ça...

-Dans l'état où tu es, ça ne m'étonne pas. Viens...

 

Les ennemis

 

Il s'impose avec la saison, impossible de le fuir, il nous mord, puis ruse et nous endort. Bouger, pour ne pas donner prise, faire provisions de chaleur le soir. Trouver un abri devient vital, rester seul dangereux. Si je veux, sombrer dans un doux engourdissement, c'est maintenant. Faut croire que je ne veux pas. Pas le courage, ni de m'envoler, ni de m'engourdir. Marcher, parler, souffrir et sourire,selon...

L'ennemi a pris ses pieds, bleus, gelés, extrêmement douloureux, il ne peut plus marcher, ses chaussures sont mouillées. Alors je lui ai dit viens, laisse moi faire, et tendrement, d'une douceur à laquelle se mêlait la violence du contraste, j'ai réchauffé ses pieds sur mon ventre encore chaud. Nous avons pu reprendre la route.

Avec le froid, vient aussi la pluie, l'humidité, la terre glisse, les feuilles font un  traître matelas qui emporte nos pas, même en s'aidant de bâtons, on se retrouve souvent au sol. C'est arrivé deux trois fois, sans que j'y prête attention, il m'a aidée, rattrapée avant la chute, tendue la main dans un passage difficile, mais pas comme ce matin. Ce matin son regard aussi était tendu vers moi, je l'ai attrapé au vol, j'ai décidé de le garder, ainsi que sa main dans la mienne, un tout petit peu plus, un tout petit peu trop que nécessaire...

Où on va, comme ça?

Je suis partie avec une question, savoir quelle part de vie je m'autorisais, au delà de mes rôles, mes statuts. Et voilà que livrée à moi même, je me remets à créer des liens. Ne puis-je m'en passer?

 

Sur la crête

 

Main dans la main, en silence. Pas un mot n'a été échangé. Nous avons regardé la vallée. J'ai laissé libre court à mes rêves, une maison, là bas, dans un creux du terrain, près d'un ruisseau, j'ai besoin d'eau. Une vie à partager, un amour à distiller dans les gestes du quotidien, sans un mot, juste aimer, aimer faire le café, aimer le boire ensemble, aimer repasser le linge que tu porteras, préparer le repas que tu mangeras, manger ce que tu auras à ton tour cuisiné pour moi, aimer faire quelques pas , cote à cote, vers le ruisseau, dans la douceur du soir, le temps des mots après l'ouvrage, une vie douce, sereine, et vieillir ensemble sur le banc de bois devant la façade blanche, dans le dernier rayon...

Je l'ai regardé, j'ai rien dit. Quels étaient ses rêves, ses envies?  Pas le courage de les confronter aux miens, de découvrir que peut être il pensait plus aux nuits qu'aux jours, j'ai juste gardé sa main dans la mienne, et nos pas se sont dirigés vers la suite du chemin.

 

Pièges

 

Si je marche sur vos chemins, c'est pour trouver le mien, pas pour suivre l'un des vôtres. Rencontre avec l'une, l'un. J'écoute. Votre histoire m'intéresse, elle est un possible parmi d'autres, résultant de vos déterminismes, révélés ou cachés. J'écoute, mais vos mots font échos, réveillent en moi souvenirs et douleurs, qui remontent, affleurent, et rompent les digues, se déversent. Je parle. Je parle, je dis jusqu'où je veux, je m'arrête où se terre mon secret. Non... je glisse. Zut! Une question, un yaka, relève une contradiction, suggère une solution facile, une incompréhension... c'est que je n'ai pas tout dit. Aïe, coincée! Et je me suis coincée toute seule, pourtant je vous en veux de m'assommer avec la perche censée me sauver!

Faut il se condamner au mutisme pour éviter de glisser vers trop de confidences? Fuir les terrains rendus glissants par cette coupe pleine de douleurs qui déborde? Poser des interdits, accepter de rester incompris, mystérieux, incohérent, voire excessif , immoral?

-Je suis allée trop loin là, excusez moi, je crois que je vais rester deux jours au refuge, ou descendre sur le versant sud (une solution, parler tout mon saoul, en toute sécurité, à moins de tomber sur des bilingues!) , vous laisser me distancer. Je ne veux plus vous voir! Pour ne plus voir la honte de m'être confiée! Je marche sur vos chemins mais peut être devrais-je suivre plus tôt les blessures que les voyages infligent au ciel rouge du matin. Fuir, fuir ma fuite? 

Ah? Tu t'en fout. Tant mieux. Tu vas ton chemin oubliant mes mots qui n'affectent en rien ta propre vie. Ouf, me voilà rassurée. Pour toi ce n'est qu'une histoire, comme celles que je raconte le soir, entre romance et fait-divers. J'en suis soulagée.

La vérité n'existe pas, me dis tu enfin. On oublie toujours un paramètre, on n'aime pas qu'il se rappelle à soi, on se bricole une équation d'incompréhensible arithmétique . C'est comme ça. A prendre ou à laisser. Tu t' éloignes en un sourire qui dit que tu as apprécié ces quelques pas avec moi, tu hésites, te retournes et ajoutes:

-Tu sais, il y a des gens qui d'emblée me sont antipathiques, je crois que ce qu'ils cachent- et qui déborde d'eux quand même- doit m'être insupportable, alors ne regrette pas la vérité qui t'a échappée. Allez, salut, content de t'avoir rencontrée, tu seras un des bons souvenirs du chemin, ni plus, ni moins.

 

Clara estrella

 

-Ben oui, les yeux rivés sur celle du berger, les autres paraissent pâles, hein, et toi avec. Faut bien choisir ton étoile,  pourquoi te mesurer toujours à la plus brillante...

-C'est vrai ce qu'on m'a dit?

-Quoi?

-Que vous ne marchez que la nuit?

-Oui, c'est un choix. Si je marche le jour, le soir je m'écroule, et je ne profite pas de cette nuit que j'aime par dessus tout. Regarde... que penserais tu d'un ciel où ne brillerait que Vénus?

-ça s'rait pauvre!

-tu vois, on a besoin de toutes, même de celles qui consument peu d'énergie, alors vas-y, rentre au refuge, tu vas te perdre si tu t'éloignes trop... non, attends!  Donne tes mains une seconde s'te plait...

merci, t'es la première qui me laisse poser un baiser sur ses lèvres sans me gifler ni se jeter dans mes bras, vas. La nuit, je penserai à toi, comme à une brave petite étoile qui regrette sa pâleur. Auras tu une petite pensée de temps en temps, pour moi, le jour?

-oui.

-alors nos rêves seront plus doux, vas... vite... dépêche toi!!

 

 

Alors je vais...

 

Parfois je pense qu'il serait bien plus simple, moins fatigant, de marcher dans vos traces, en choisir -il y a le choix, ce sentier est très fréquenté- dont le pas correspond au mien, puis ne plus les lâcher du regard, plutôt que de chercher à inventer ma propre démarche. Amie de passage, j'aurais aimé te dire, au risque de me répéter, ma volonté de trouver ma voie sans jouer des coudes, le sentier est assez large pour que plusieurs s'y croisent , ou y marchent un temps de front, sans jeter personne dans le précipice. D'accord, j'ai pas choisi le plus facile, dans la lande aux multiples chemins, j'aurais pu trouver plus vite le mien, sans vous gêner. Mais le marcheur de nuit me souffle que j'y arriverai, qu'il me suffit d'oser être moi. Merci à toi, grâce à tes mots, je me sens un peu en marche avec l'humanité, utile, au moins à ne pas battre les chemins de discordes.

Je reste des jours sur la crête. Mon regard cherche à se poser. Depuis toujours, l'attirance pour le versant sud, sa chaleur, ses luttes, j'aimerai descendre la montagne tout en remontant le temps, revenir au moment où les femmes eurent leur place dans la bataille. -Tu rêves, t'es folle! Oui... Je me rêve ce courage, il me donne celui de mes petits combats quotidiens, par comparaison.

Au fil de mots doux et douloureux, je regarde le versant nord, je verse mes larmes à ce qui aurait pu être, à ce qu'il veut faire advenir, qui germe en moi en bourgeons de sourires, mais refuse de fleurir.

Je suis mieux là, dans ma fuite, à la recherche d'un autre chemin, dans le noir.

 

Brouillard au nord

 

-tu crois pas que tu te caches la réalité? me demande t'elle soudain. A force de t'écouter, j'ai l'impression que tu as un rêve de vie, un scénario pré-écrit, auquel tu veux à tout prix faire adhérer la réalité, quitte à gommer des événements, des paramètres, non?

-...

-j'ai l'impression que tu vis comme si tu pensais un jour devoir raconter, résumer, avec des belles phrases, des transitions bien menées, une philosophie générale, j'me trompe?

-...

-Mais arrête de fixer ce brouillard comme ça, qu'est ce que t'y vois?

-une image tamisée et douce, des gestes de lente chorégraphie, décomposés, maîtrisés, en silence, comme un art martial asiatique, mais que vienne le soleil, un arrêt sur image, et je verrai alors l'impact des coups, le sang et les larmes qui en coulent, question d'éclairage...

-allez, viens, bouge, marche, si tu restes là, tu crèveras avec ce froid, viens!

-...

-Bon, moi je reste pas là, j'veux atteindre un refuge avant la nuit!

 

Partage

 

-Il est trop tard maintenant.

-Trop tard pour quoi?

-Pour atteindre un abri avant la nuit, et tu peux pas rester dehors avec ce froid.

-j'te croyais  parti vers le sud?

-oui, mais j'ai croisé quelqu'un qui m'a dit que tu restais figée avec tes fantômes.

-t'es revenu exprès me chercher?

-oui, viens avec moi, tu as toujours refusé l'abri de ma tente, mais ce soir, t'as pas d'autre solution, viens, où est ton sac?

-j'l'ai perdu, ou on me l'a volé, j'sais plus

-Hein!! mais alors t'as plus de sac de couchage non plus?

-non

-bon, on partagera le mien, j' tenterai rien, j'te promets

-c'est pas de toi que j'ai peur, c'est de moi...

-tiens... celui là, je l'ai gravé en pensant à toi, oui, il est triste, je croyais qu'on ne se reverrait pas...

 

Intégration

 

Certains ne comprennent pas l'itinéraire que je persiste à suivre, chemins parsemés de nid de poule ou bordés de ronces. Chemins de bonheur, je vous parcours pourtant, sérénité des relations vraies en toile de fond, parsemée des rares et délicates broderies de l'intense.  Je ne sais où mène cette route, peut importe, chaque branche a  ses épines, ses  fleurs aussi. Mais je sais désormais où elle ne me mènera plus. Une haie robuste d'acacias barre les chemins de soumissions, d'humiliation, je ne marcherai plus à contre vie, à contre coeur. Il ne tentera pas de brûler ma frontière, elle le blesserait de ses éclats meurtriers. Si mes chemins ainsi balisés lui sont trop de regrets, alors, nos routes divergeront. C'est une nouvelle donnée à l'équation des possibles, alternative sereine aux chemins communs de la dissonance.

 

Marche forcée

 

Parfois marcher longtemps, ou sur les pentes les plus ardues, pour éteindre l'énergie inexploitée de mes désirs, pour dissiper les colères aussi. Envie d'action, d'utile. Marche ou crève... puisqu'il faut marcher autant porter un drapeau, tirer un projet, avancer dans le sens que je pense être le meilleur pour le respect de l'humain.

 

Paradoxes

 

Peut être  ne suis-je  partie que pour fuir ma peur de l'abandon?

Ben oui, quand on sort de chez soi, on rencontre d'autres point de vues, on élargit sa vision du monde, on compare, et cela peut faire naître des idées, des envies...

Partir pour ouvrir l'horizon, et finalement, étouffer moins qu'avant et décider de rester, pour la douceur du point de vue.

 

Rêve-évolution...

 

Nous avions tous les deux besoin de repos, nous avons planté notre tente près d'un refuge et nous avons décidé de rester sur place quelques jours.

Il sculptait en prévision de la reprise de la marche, j'écrivais, et le soir, quand arrivaient les randonneurs, je racontais.

Certains faisaient des circuits rayonnants autour du refuge, et le soir, demandaient la suite de l'histoire, ou en racontaient une de leur cru, concoctée pendant la journée de marche, puis ils prirent l'habitude de partir avec un crayon et un cahier, pour fixer les idées au rythme des pas. Rapidement nous les avons accompagnés, les marches étaient désordonnées, certains s'arrêtaient pour écrire, d'autres préféraient marcher seuls, le soir, un temps de silence permettait la réécriture, avant le partage, pour ceux qui voulaient.

L'idée des randos-d'écriture était née.  

 

...ève...olutions

 

Quelques pas à peine, et son cynisme déjà me choque, à  croire les histoires  qu'elle raconte, les femmes auraient tout à gagner à l'infidélité des hommes. Ne seraient ils doux, respectueux, que par secrète culpabilité?  Compagnons heureux, bien dans leur peau, ne nous faisant pas subir leurs frustrations, sont ils tous d'insoupçonnés coupables?

Je préfère rester dans l'ignorance, de son cynisme et de ses causes, elle hurle, elle enrage, sa colère la coupe de la moitié de l'humanité. Et quand j'ose lui répondre, qu' à tout prendre, je préférerais un compagnon joyeux, réellement présent quand il est là, même s'il lui faut trouver dans d'autres bras ce que je ne peux plus lui offrir, elle part en criant,  m'insultant, elle n'écoute pas la fin de ma réponse: la tristesse des hommes qui me met en danger, ma peur de ne pas trouver en eux, s'ils sont malheureux, l'appui, le soutien dont j'ai besoin (apprendre à m'en passer? à me soutenir toute seule?).

Chemin de labeur, sentier de labour. Quelques pas avec la cantonnière, occupée à curer les fossés, fière d'aménager le paysage. Longtemps, la pensée que Gandhi lui même prenait son tour pour nettoyer les latrines -alors qu'on eut pu le penser dispensé afin de se consacrer à plus utile- cette pensée avait soutenu mon  ingrat labeur. Si je m'intronisais responsable du cadre de vie et du bien être de chacun, peut être dévaloriserais je un peu moins ma tâche?

Tant de questions sans réponse, tant de menaces à l'horizon de mon chemin, qui pourtant, peu à peu se faisait plus confiant.

 

Chemins résistants

 

Lescun n'est pas loin...

Est-ce l'esprit des résistants du siècle précédent, tous ces passeurs de montagne encore vivant sur les chemins, qui m'inspire ces pensées?

Sans les juger, car nous en sommes aussi,  en poussant le regard un peu loin,  assimiler nos contemporains qui s'adaptent et profitent du libéralisme, à ceux qui collaborèrent lors des guerres. Le principe est le même: quand la vie se fait inhumaine, s'adapter et se sauver, soi même. -Les autres? -Quoi les autres? Peuvent pas se sauver eux aussi, si j'y arrive  moi, y peuvent bien...

Non... par esprit de fraternité, lutter pour les plus menacés, comme cette poignée de main dans l'adversité, au coeur de l'horreur. Résister, même si tout paraît vain, pour qu'après le libéralisme, (qui tombera de lui même, on est bien d'accord, mais quand?) il y ait eu des combattants de la dignité pour refuser le tout marchand.  Nos combats sont moins déflagrants, nos actes moins bruyants, mais être là, parce que la guerre est la même, l'ennemi plus insidieux, le génocide celui des pauvres, des non rentables. Résister pour que l'altérité retrouvée n'ait pas à renier le passé.

Dis  moi que mon pas est utile sur le chemin résistant, et j'avancerai, je dépasserai la fatigue et les désagréments...

Merci à l'amie de passage, qui su changer pour moi l'aiguillage, quand j'échouai à trouver ma place aux cotés des meneuses du combat, elle m'ouvrit une autre voie, moins conflictuelle, les protégeant de mes réactions: celle de la complémentarité.

 

Sédentarisation

 

Des choses évidentes auxquelles on ne pense pas. C'était un jour de grand froid. Nous marchions, un petit groupe informel de rando-écriture. Nous nous étions perdus, loin de tout espoir d'un abri pour le soir, lorsque nous avons vu la maison. façade de bois, près d'une source, des capteurs solaires sur le toit, autonome au bout du monde. Nous avons frappé à la porte, appelé... malheureusement vide mais apparemment pas abandonnée. Par les fenêtres nous pouvions voir les traces d'une vie récente, et puis, sur le pas de la porte, la gamelle de croquettes, à peine entamées, mais pas abîmées (doux chat, ou chien féroce?).

Nous avons attendu devant la porte jusqu'à la nuit. Certains étaient épuisés. Depuis quelques heure, l'un se traînait en se plaignant de douleurs à la cheville, nous étions mal en point, et affamés. La nuit venue, un téméraire a convaincu les autres de forcer la porte... qui n'était pas verrouillée!

Nous nous sommes donc installés pour la nuit, en essayant de ne toucher à rien, sauf... au kilo de nouilles tentateur. On laisserait un mot et quelques euros.

Mais au matin, la cheville du blessé était enflée. Le laisser seul? Le porter? Nous avons scindé le groupe.

C'est alors que les habitants sont rentrés. Nullement fâchés, compréhensifs, chaleureux et attentifs. Après le départ du blessé avec son groupe, nous avons tous les deux accepté l'offre de quelques jours de repos.

Ils vivaient notre rêve, cela me fascinait. Fuir si près et me retrouver si loin... la vie au bout du monde, entre montagnes et arbres. Je savais maintenant que l'écureuil en colère ne pourrait satisfaire mes appétits de contacts, mais je les regardais vivre comme on lit un conte de fée. Oui, ils étaient preuve des possibles dont j'avais perdu l' envie.

J'avais besoin que la ville m'attire vers elle, vers la vie. Des vitrines de Noël et de leur  dispendieux soleil, du marché qui absorbe pour quelques heures toute la vie alentour, la vie à deux pas, qui se rappelle à moi, qui me dérange même, sonnettes et klaxons intempestifs, ramassage des poubelles écourtant mes nuits, de tout cela j'ai besoin, pour me sentir en vie.

Nous sommes repartis plus forts, plus conscients de nous même et de nos limites, l'esprit et le corps reposé, les engelures soignées, la toux calmée, avec en tête, un morceau du bonheur de nos hôtes, des images de plus pour rêver.

 

Fatigues

 

Les étapes ces derniers jours furent longues, mais nous n'avions pas le choix, il fallait aller d'un refuge à l'autre, le froid était si intense qu'en ville les hommes mourraient privés  d' abri. Dormir dans la tente si peu équipés aurait été du suicide.

Alors la fatigue, lourde, intense à nouveau. Maintenant je m'arrête, je pleure tous ces pas de trop. Parfois, le sculpteur de cailloux, en deux-trois mots positifs me nettoie de la pesanteur qui me tire vers le sol, où chaque geste est effort. Mais le plus souvent, j'attends le soir et le sommeil autorisé. J'attends les rêves et le bonheur de l' anticipation.

Plis et replis des jours origami, je ne cherche même plus qui me sortira de là, j'attends.  La pente d'autant plus dure à remonter que la fatigue anesthésie ma faim, je n'ai plus de force pour rien.

Lui aussi attend patiemment en sculptant pour les bons jours...

Dis moi que ces pas furent bons et mes paroles positives,  et je trouverai le courage de reprendre la route. Elle est encore si longue...

 

Imaginer

 

Les ennemis avaient envahi le village. Les partisans fuyaient dans la montagne toute proche. Eux deux, ils montaient, s'essoufflaient, évitaient les chiens et les douaniers en coupant loin des sentiers. A un moment, titubants de fatigue entre les ronces à écarter, ils s'arrêtèrent. Après tout, peut être les verrait on moins accolés immobiles à la face nord d'un arbre, que cible mouvante et bruyante?

Autour d'eux détonaient les coups de fusil, il semblait la protéger, offrir son dos aux balles, l' abriter entre lui et l'arbre. C'est alors qu'elle lui a demandé: est ce que tu veux? je ne te demande pas si tu as envie, ça je le sais, mais si tu veux?

Son regard rendu pitoyable par l'adrénaline qui coulait en lieu et place de son sang, il répondit: tu crois que c'est le moment?

-De se poser les bonnes questions, oui! Et puis au point où on en est...

Un chien passa sur le chemin en contre-bas, interrompant leur échange, un chien qui ne les sentit pas, distrait par le cri d'un autre gibier: geais moqueur qui riait des complexités humaines.

L'alerte passée, il l'embrassa et lui dit : je te répondrai quand on aura passé la frontière...

-Tu racontes bien! On dirait du vécu!

-Bien sur, qu'est ce que tu crois? Tu les as pas vu, toi, ce matin pendant la rando,  les douaniers et les chiens policier, sur le chemin?

Avant l'extinction de l'éclat de rire général, le suivant avait déjà commencé son histoire:

-C 'est pas une histoire, c'est une vision. Dit il, le regard rivé sur les flammes de l'âtre.

Quelle valeur s' accordait elle, en tant que mère, elle qui eut tant à souffrir de la dépressive désaffection de la sienne? Je comprends les ressorts de souffrances qui lui firent penser que l'enfant était mieux ailleurs, je comprends sa douleur réactivée, lorsque le destin se répète, tout en lui imposant de materner celle qui jamais ne le fit pour elle. Ce destin, qui fait d'elle son outil tiraillé, fragile pivot entre les générations sur lequel tout tient.

Je comprends que ce n'est pas moi qu'elle dénigre en critiquant mes valeurs, mes choix, je comprends sa barrière d'acacias violée par la vie, et les éclats qui  la transpercent avant de nous atteindre.

Ses yeux ne quittaient pas la lueur rouge du foyer, il semblait inconscient, rêveur éveillé. Nous avons eu l'impression, là, de dépasser les limites de l'écriture et du conte, d'atteindre par ses mots les sentiments qu'il énonçait. Nous sommes tous restés ko plusieurs minutes, jusqu'à ce qu'il rompe le silence, c'était à lui, et lui seul de le faire:

-excusez moi, c'est venu comme ça, c'est venu de son histoire à elle! cria t'il , un doigt accusateur pointé vers moi.

-Mais ... y'a pas d'mal, ajouta quelqu'un, pour alléger cette atmosphère dont nous ne maîtrisions plus l'intensité, on pourrait écrire la mémoire imaginée de ces lieux et de ces destins que nous traversons: ton personnage serait la petite fille de celle qui fuit la guerre dans la montagne, tire sa force d'elle et de sa mère ses faiblesses. On peut tout reconstruire, réécrire, imaginer...

 

Chemins de bitume

 

Sortie des chemins de terre, sur une voie goudronnée. A l'aller, pour une fois, je n'avais pas vu les platanes tentateurs qui bordent le lit de la route, et auxquels habituellement j'adressais ces paroles: « je peux... je peux si je veux vous embrasser, mais je n'ai pas le droit ».

Ensuite, à l'endroit précis où un jour je t'avais dit « fais pas un accident, ou alors, tue nous tous les deux », tu avais serré ma main, j'ai croisé un camion. Je lui ai dit « je peux, je peux mais je ne veux pas!! », pour la première fois.

Au retour, parmi les serpents de la route, je n'essayais pas de le doubler. Mais quand il s'est arrêté pour me laisser passer, pouvais-je lui dire que j'avais aimé le suivre, m'imaginer partir, avec toi comme passager, pour la destination écrite en énormes lettres bleues au cul du camion: Bratislava, Slovenska ?

 

Imaginer, s'identifier

 

Glissements perceptibles de lisa à Nina[5], petit à petit je me sens moins minuscule. Je peine pourtant à trouver ma place. J'avais cru pouvoir m'investir plus à fond, passer du coté de ceux qui tracent les chemins, en complémentarité. C'est raté, l'espace déjà comblé, on me préfère un pot à la main, à la fin du parcours, repassant la peinture usée des anciens repères. Tant pis... seul compte l'ouvrage accompli et la trace-testament que nous en laisserons aux suivants.

 

Instantané

 

Il était là muré dans son silence, dans sa douleur. J'avais peur. Le tirer de là, l'attirer vers la vie, je savais que c'était ce qu'il attendait de moi. Je savais aussi que ses premiers cris seraient de colère, cris de chien-loup dans la nuit, qui me feraient trembler et me recroqueviller. Pour l'instant j'étais tendue, je retenais les pleurs, je fuyais, dans mon propre silence, sur mes chemins, hors de sa portée, sur la mienne, dans  mon refuge de basse obstinée. Mais combien de temps avant l'éclatement? Avant que tonne la colère qui le vidait, le déchargeait?  Fallait il mieux crever le nuage, supporter l'orage tête baissée sous la grêle?  Ou essayer de tempérer, d'adoucir, d'éviter?  Je ne savais plus quoi faire, quoi dire, comment être...

 

Le retour de Jim

 

Il y a de multiples façons de fermer une porte. L'amie de passage a eu la délicatesse de ne pas me la claquer au nez, et après des réticences, de me l'ouvrir au moment où j'en avais vraiment besoin, avant de la repousser, doucement. J'ai bien compris, elle ne veut rien d'attachant, et je saurai lui montrer que je ne suis pas attachante. J'accepte ses passages dans ma vie, au gré de sa volonté, je sais les apprécier, mais ne pas en faire un besoin.

Puis fermer doucement moi même les portes. Ceux qui ne le connaissent pas encore vont enfin faire connaissance avec Jim, et moi, je ne serai plus jamais seule, sur aucun chemin.

Enfin je comprends. On ne comprends vraiment les choses que lorsqu'on les a éprouvées.  Je comprends qu'on puisse être las face aux complexités humaines et à leur exposé. Je comprends la saturation, et la préférence pour les actes et les sentiments qui se taisent. Jim me rejoint, m'emporte dans son refuge d'altitude, près des nuages et des rêves. Jim revient en moi, m'insuffle sa force, son courage, sa foi en la vie, en l'humain.

 

Je me tais, je fuis les contacts, mais je vous dis, je suis là, si vous avez besoin de moi, j'accroche ma disponibilité aux poignées de vos portes, que je n'essaye même pas d'ouvrir.

 

 Porte et bouche closes, sur ces mots dont je ne veux plus,

je fais aller,

je comprends maintenant la somme de volonté cachée derrière ce verbe faire...

 

Jim revient et avec lui ses milliers de questions.

Comment réagir?  Comment me protéger? Comment ne pas être atteinte durement et durablement?  Renvoyer les mots? L'agressivité? En un puéril ping-pong ?

Je m'y refuse. J'encaisse, j'absorbe. J'ai tort car l'éponge sature si à aucun moment je ne l'essore. Je me contente de fuir sur mes chemins, d'y attendre à l'abri que les tensions s'y dissolvent en pluie fine. C'est plus long. Mais finalement, bénéfique pluie de mots m'apaise, sans violence ni cri, et me rend le sourire et la force de continuer la route avec lui, jusqu'au prochain faux pas.

Avancer, oui, avancer, même sous la pluie, obéissant petit soldat, exister, sur une tonalité plus douce, avancer douce et laisser pépier les oisillons. Je n'attends plus rien, j'ai jeté tous mes billets aux vents, tous mes galets aux flots, je n'attends pas, je reste là, dans mon désert, là, pour qui veut bien de moi.

Ben oui, triste, je souhaite le retour de la cohérence, être et vivre vraie, sans mensonge, sans faux-semblant, même si mes mots doivent faire mal. J'ignore la suite du chemin, je souhaite juste, avec Jim, le retour de la cohérence, de la sincérité. Après, comme l'eau qui fond du glacier emprunte la sente des bêtes sauvages, naturellement, gravement, se creusera le chemin.

Main dans la main, avec Jim sur le chemin, je peux enfin être pour vous l'amie que j'ai toujours rêvé d'être.

 

 

Dans la vallée, terre à terre.

 

Ça risque de ne pas être poétique, au risque de vous déplaire, tant pis.

-Mais qu'est ce que tu racontes, lui répond sa mère, il est mort tu avais 6 ans!!

Qu'est ce qu'elle raconte, quelle fable d'enfant rêveuse et trop sensible?  Encore une fois, comment aurait elle confiance en elle, si personne ne la croit?

Je quitte un temps les sentiers d'altitude où je cherchais la voie de la sincérité, pour revenir à quelque chose de bien plus terre à terre, dans la vallée.

-D'accord, il avait ce qu'on appelle la main baladeuse, mais il s'intéressait plus aux jeunes filles qu'aux fillettes, je n'allais jamais seule chez lui, mais rien de grave dans mes souvenirs.

Oui, rien de grave sauf la peur. Transmise ou réellement vécue?

Jusqu'à la bonbonnière avare de ces bonbons qui lui évoquent maintenant, étrangement, ceux contre lesquels on met en garde les enfants, sans les informer de la nature du danger dont ils sont menacés.

Elle, elle lui faisait peur, une sorcière, réellement, elle avait peur jusque de son portrait peint soit disant par un peintre célèbre et dont elle était si fière, peur de sa voix, éraillée par trop de tabac fumé au bout d'un porte-cigarette, « Cruella » qui noyait ses enfants comme des  chatons.

De lui, elle ne garde aucun souvenir, si ce n'est cette injonction qui lui est associée: « ne dis rien, surtout, ne dis rien ».

 

Souvenir, délire, fantasme, reconstruction?

 

Elle n'a aucun faits à vous raconter, aucun détails concrets et elle n'accuse personne de rien. Ou tout le monde de tout, à commencer par ces adultes auxquels elle était confiée et qui l'obligeaient à visiter ces gens dont ils disaient par ailleurs pis que pendre. Visites terreurs qui lui semblaient durer de longues heures, sur le qui-vive, le regard inquiet cherchant les enfants disparus.

 

Où étaient ils?

L'un mort chez la nourrice chez laquelle il avait été placé pour respirer le bon air campagnard, l'autre, enfant de la faute, abandonné à sa grand-mère paternelle, qui jamais ne reverra sa mère.

Et ce frère dont elle avait fugitivement entendu parlé avant que la famille  déménage  loin de ces lieux dangereux? Où était il son frère? Neuf ans sans nouvelle de lui, avant d'apprendre sa mort...

Trente ans sans penser une seule fois à ces gens, ses grands-oncles et tantes. Trente ans au bout desquels des images se sont mises à tourner, des images de phallus géants frôlant son nez, des mots, ces mots : « ne dis rien, surtout, ne dis rien », et cette difficulté réelle à ouvrir la bouche, pour parler, chanter, manger devant témoin, alors même que l'envie l'en dévore, et cette impression que dire c'est trahir.

Alors elle écrit, il ne lui a pas dit de ne pas écrire, c'était avant qu'elle apprenne!! Ses sentiments, ses cris de douleur, ses mots d'amour, ses rêves et ses envies, elle ne peut que les écrire, dire en gardant le silence.

Qui sait, si défiant la logique géographique, la source qu' elle cherche en vain dans les montagnes ne se trouve pas dans cette vallée?

Oh, n'allez pas croire ou interpréter ce qu'elle  dit, « de nos jours on écoute trop les enfants », dit sa grand-mère leur voisine, « elle est bavarde cette petite, France-Inter on l'appelle, elle a trop d'imagination. »

Alors la petite grandit, se fait des barricades de mots, dissolvant l'angoisse dans la verbalisation du quotidien, de l'anodin, mais les mots vrais, les mots utiles, les mots de l'amour, du désir et du plaisir, restent à jamais coincés, bloqués, boule d'angoisse, barrage dans sa gorge. Bavarde-mutique.

Et la petite se rêve une carapace, elle se recroqueville en quête d'une coquille, elle fuit les contacts physiques, même sans valeur; la foule compacte l' oblige à côtoyer le corps des autres: elle interrompt ses études pour ne plus prendre le métro, le train.

Alors la petite ferme son corps, n'accepte de l'entrouvrir que pour le remplir d'enfants qui longtemps, très longtemps gonfleront ses seins, l'appelleront dans la nuit et la protégeront d'un amour sans plaisir.

Mais maintenant elle rêve de son corps plein, d'y accueillir le sexe d'un amour doux ou sauvage, peu importe, mais invisible, qu'elle n'ait pas à voir, à toucher (encore moins simuler ou stimuler), ni à approcher sa bouche de ce sexe dressé, effrayant comme le balai corrigeant l'enfant, menaçant comme la ceinture brandie au dessus de sa tête.

Faire l'amour comme on enlève un sparadrap, passer sans transition de l'état de vide à l'état de pleine, zapper l'étape du déshabillage surtout, être nue sans avoir eu à enlever les vêtements, protection plus fiable que la peau de son corps, sans exhibition non plus,  et sans cris.

J'ai mis un nom sur ma sorcière bien après être sortie de mes vagues d'oxalis, de quoi fut elle complice?

Ce que moi je ne savais pas, mes mots le savaient, et l'exprimaient, mes mots me l'ont soufflés, dans leurs résurgences même quand je tentais de les bâillonner, dans la constance de leurs opiniâtres réapparitions. Mes mots, précieux alliés qui oeuvrent à me libérer.

 

  Pression atmosphérique

 

C 'est comme la pression en altitude, ou la raréfaction de l'oxygène, on s'habitue à tout: aux scènes, aux cris et aux crises, aux mots humiliants, accusateurs, au manque de respect. Ça devient la norme, la routine. On apprend, au fil du temps, à devenir endurant.

 

Retour dans la vallée

 

La tête dans la vallée, les pieds sur le sentier, inconfortable écartèlement. Cauchemar d'enfant, pénétration d'un voleur dans sa chambre la nuit, s'inverse dans le rêve d'adulte qui lui dévoilera le plaisir :  ses rivales sortent par la fenêtre, et elle, elle reste dans la pièce, avec lui...

Il lui faudra toute la douceur d'un amour oblatif  pour trouver le chemin de l'abandon et du plaisir partagé.

 

Parenthèses

 

Les jours de maladie sont des jours parenthèses. On peut y faire ce que l'on ne s'autorise pas habituellement. La nuit, en rencontrant ses membres glacés de fièvre, se voir mort et se dire, non, merde! j'ai encore ça à faire, ça à dire; se redécouvrir l'envie de vivre cette vie, malgré tout ce qui, en elle, a conduit le corps à flancher. Le jour, laisser le temps couler lentement, entre somnolence et lecture quand enfin la douleur déserte nos entrailles. Ne plus exister que pour soi, dire non aux demandes, fort de l'excuse suprême: je suis malade. Manger, quand le coeur nous en dit, ou plus justement, quand l'estomac nous en laisse la possibilité, nourritures réconfortantes, tartines sucrées. Et puis chercher, au fond de ces tripes bien malmenées, les mots qui essayaient de s'esquiver. Secouer tout l'organisme pour enfin les débusquer.

 

Miroirs gigognes

 

Ce sont des mots emmêlés, des images imbriquées, que j'ai peine à ordonner, tant pis. Mon angoisse n'est jamais la page blanche, mais la page brouillonnante de mots sauvages qui me narguent et ne se laissent pas attraper, poser, dans l'ordre où je le veux, alors...? Les laisser libres, tant pis pour la logique, pour la poésie aussi.

Ça commence sur le chemin, un matin, on marche, Jim et moi, seule, c'est Jim qui dirige nos pas vers un endroit que je ne connais pas. Après un tournant, c'est toujours après les tournants que les choses arrivent, parfois ça serpente longtemps, parfois c'est un virage radical, en épingle à cheveux, là, c'est un tournant doux, délicat, et à l'issue d'une route boisée, le paysage se découvre, nous apparaît, d'un seul coup : un lac, bleu foncé, gelé, bordé d'arbres en guirlandes de givre, féerique, à couper le souffle. 

Je m'avance pensant m'y mirer, chercher les traces que cette fatigue et de la douleur ont laissées, mais la glace est opaque, comme celle de ce miroir fêlé dans la vallée, ce miroir qui au fil des années ne me renvoyait plus que des images distordues et sombres de moi même, ce miroir, qu'un jour de rage j'ai voulu briser, lui jetant, funeste impulsion, une pierre à la face.

C'est alors que des éclats s'étaient formés autour de moi, et qu' un cercle infranchissable, avait restreint ma liberté, encore plus durement que les images passées.

 

Silence dans la vallée

 

Le silence je connais, j'ai eu le temps de m'y habituer, et puis... ça laissait le bénéfice du doute, de l'erreur d'interprétation. Lorsqu' il se taisait ou semblait en colère, je pouvais ne pas m'en sentir responsable, je ne suis pas le centre du monde! Le silence était confortable. Comparé aux reproches, aux cris, aux explications et aux démonstrations. Dans le silence je pouvais encore faire vivre ma tendresse, mes espoirs, mes imaginations d'amour alors que la parole les détruisait. Dans le silence je pouvais encore être douce et multiplier d'invisibles petites attentions. Dans le silence, je restais maître des mots de l'instant, de la bande son de la scène. Je ne subissais pas.

 

Éclaircie

 

Je sors un instant du refuge, croyant trouver la nuit, surprise par la clarté: c'est janvier.

À mesure que je m'éclaircissais, il s'assombrissait, à croire qu'une dose prédéterminée de lumière avait été attribuée à notre foyer.

J'attends un peu, les yeux tournés vers la vallée, j'y vois progressivement l'éclairage urbain et les fenêtres d'un village scintiller. Tristesse, oui, combien de femmes, combien d'hommes aussi, derrières les fenêtres restées obscures, pleurent la dissonance? Pourquoi supportent ils sans maudire? Sans sortir dans les rues et crier leur chagrin?

 

Erreur de casting

 

Encore un pas, le premier cette fois, peut être en parler là, maintenant que j'y pense... vous raconter mes premiers pas dans un récit pédestre, pourquoi pas?

Je me laissais porter, dans les forêts, sur les sentiers, avant l'âge de la marche, la ramure des arbres tamisait le soleil, leurs feuilles vertes, découpées sur le bleu du ciel, feraient mon plus ancien souvenir. Image gravée, qu'un éveilleur de mémoire m'offrira. Un an, quatre printemps de sourires, la vie s'annonçait douce, souriante. Un an et onze jours: la tourmente. Imprévisible tempête, tous les arbres perdirent leurs feuilles, les troncs tombèrent devant mes pas, indépassables obstacles, le jour même où je fis le premier. Il était dangereux de marcher, la terre tremblait de l'empreinte de mon pied innocent! Puis le ciel fut  noir d'un indicible deuil, et une pluie de larmes inexpliquées n'apaisa pas ma soif de tendresse, de compréhension. Les nuages mirent neufs ans à se dissiper, neufs ans d'une culpabilité innommée, vécue seule dans le maquis de cette forêt dévastée.

Ensuite on m'a appris qu'il était péché de tomber, qu'il valait mieux ne pas marcher, ou surtout, jamais hors du sentier. La pente y était glissante, on ignorait où elle s'arrêtait. On m'a dit qu'il fallait mieux ne pas bouger, de peur d'un faux mouvement, d'une maladresse, d'un geste ambigu qui serait mal interprété, que dehors était le danger, le soleil et ses coups douloureux, le vent et ses idées rebelles, qui agressait les tympans. La timidité, l'immobilité étaient les meilleurs garants de la pureté.

Jusqu'au jour où j'ai enfin fais mon premier pas, il faut plus d'un an pour apprendre le pas des hommes. Ce jour où j'ai accepté, avec beaucoup d'humilité, d' être faillible, de risquer de tomber, de glisser, mais d'avancer, vers une aube bleue. Alors, aux branches, les feuilles ont repoussées, le soleil a illuminé la forêt fourmilière. Aux nuages d'orage étonnés, j'ai dit humblement: oui, je suis coupable, je suis coupable de tomber, mais c'est d'abord à moi que les chutes font mal, et je l'étais bien plus de rester assise au bord du chemin, à regarder la vie en marche sans lutter. Aux nuages d'orage courroucés, je dirai: oui, je mérite et j'accepte votre foudre, pour mes pas de travers,  mais j'implore votre clémence, je vous prie de ne pas me bannir de la forêt fourmilière, de ne pas me renvoyer à mon désert affectif.

Et crier  maintenant à l'erreur de casting!! Un ange par famille ça suffit, non? Et c'est pas moi, la place est déjà prise!!

 

Polyandrie

 

J'avance. À chaque pas le sentier semble s'allonger. Finira t'il un jour? Oui, malheureusement... la fin la même pour tous. J'avance. Jim et le sculpteur accompagnent mes pas. Suis-je comblée? Non... encore un manque... il me faudrait un troisième homme sur mon chemin! J'y pense, je souris, j'oublie, et parfois l'idée revient. Pourquoi vouloir qu' une seule personne comble tous nos besoins, tous nos désirs? Pourquoi vouloir qu'un seul homme soit à la fois un bon père pour nos enfants, un bon compagnon du quotidien, un amant tendre, affectueux et attentionné, et un bon partenaire sexuel?

Je ne prétends pas, moi, avoir toutes ces qualités! Je comprends que l'un se console de mes faiblesses auprès d'une autre femme que moi!

 

Vertige sous 3,17 mètres de plafond

 

Un passage escarpé, près du vide. J'ai peur. J'avance, dos collé à la parois, en pas latéraux, tremblante. Le sculpteur est là, qui me précède, me tient la main, me rassure de sa voix. Je me sens me vider de mes forces, mes genoux plier, le fourmillement m'envahir... combien de mètres avant l'abîme? Je ferme les yeux, je m'accroupis. Sculpteur attend, patiemment, sans un mot, il caresse ma main, ma joue. Il souffle sur mon visage, ça me fait sourire malgré le malaise. J'essaye de respirer.

Vertige sous 3,17 mètres de plafond. L'ampoule à changer. Un défi. Je voulais y arriver pour que cette peur ne soit pas une entrave à mon départ. J'étais montée sur une chaise, elle même sur la table. Je pouvais lâcher le dossier d'une main, difficilement, mais impossible ainsi de décrocher l'ampoule à baïonnette (y penser: faire installer des douilles à vis!), de l'autre, je me cramponnais aux moulures du plafond. J'avais dû descendre, m'asseoir sur la chaise, toujours perchée sur la table, respirer, me calmer, me dire « je dois y arriver »... doucement, remonter, lâcher une main, l'autre, décrocher l'ampoule... accrocher l'autre que ma fille, soutien symbolique me tendait...

Pendant les jours qui suivirent, ma victoire avait illuminée la pièce à chaque fois que j'appuyais sur le commutateur!

Je rouvre les yeux, je dis , c'est bon... on y va... je peux le faire...

Un sourire, et la voix chaude du sculpteur comme moteur.

 

Écho

 

-STOOOOOOOOOOOP! ça suffit!!!

On s'arrête, on n'avance plus, arrêt sur image!

-Qu'est ce qui t'arrive?

-Une question.

-Une question! C'est ça qui t'empêche de marcher? Tu te demandes, enfin, si tu portes la bonne pointure, c'est ça?

-Non, une vraie question, je crois que quand j'y aurai répondu, je pourrai enfin sortir de ce faux pas.

-Une question..., ça avec Jim comme compagnon de route, fallait s'y attendre, en questions, il est champion!

-Oui, alors, ta question? s'impatiente l'écho des hauteurs, assourdi par la neige.

-Voilà, dissertation de philo, classe de terminale: "à quelle dose de bonheur un individu donné  peut il prétendre avoir droit, et qu'est il en droit de mettre en oeuvre pour se l'approprier?"

-... un peu ardu comme question.

-Ben oui, parce qu'entre la culture fourmi où chacun n'est que rouage de la société, et la culture néo-libérale individualiste, où le bonheur est un challenge à gagner au détriment des autres, où se situe t' on, nous?

-Qui ça nous?

-Ha! Toi aussi tu poses des questions, l'écho, bravo! Ben "nous", dans notre culture européenne du milieu (à cheval sur les latines et les anglo saxonnes), et dans le microcosme de lutte qui est le notre. Avancer sans penser à soi ni réfléchir, j'ai essayé, ça tient un temps, et puis... suis peut être pas assez altruiste après tout, mais je m'épuise à toujours marcher par mauvais temps.

-Alors?

-Alors, rien, c'est tout. Parfois je me dis que je ne suis qu'un amas de cellules de carbone, peu importe ce que je ressens, du moment que j'avance. Mais parfois, ces cellules même se rebellent, et tout marche de travers, je perds trop de temps à leur montrer un chemin. Peut être est ce là le bon indice : réagir quand la douleur entrave les pas, met en péril la suite du chemin, ou quand la démarche devenue trop boiteuse compromet la progression?

Suis-je coupable d'égoïsme contre l'humanité si j'aspire à un chemin sans trop de ronces et de pièges à loup? Promis, je ne léserai personne, et toute l'énergie que je perds à ces inutiles pas de travers, je pourrai  à nouveau  l'employer sur les chemins résistants...

 

En  phase

 

Mes pas s'éloignent de la source. je commence à avoir soif, et peur de me perdre. Mais pourquoi avoir laissé tout le monde et avoir décidé ce périple en solitaire?  Mes mots sans souvenir remontent à la surface un soir où d'autres partagent les leurs. Je me sens abandonnée, seule, à une trop lourde charge.

Ben oui j'étais triste, j'avais perdu la bataille. A bout de mots, de cris, de larmes, je m'étais soumise. Pourquoi étais-je incapable de faire du mal?  Et puis, cette question sans écho: ma liberté, qu'en ferai-je? Ne puis-je la conquérir au sein du cadre?

Rien à voir, rien à dire, à personne. Les autres s'habituent vite à Jim. C'est confortable apparemment. Tant mieux, je peux dormir et avancer sans coeur ni conviction, à tâtons. Seule. Indifférente. J'ignore, et il m'indiffère de savoir, quelle météorite porteuse de quelle mortelle radiation va me tomber dessus.

Etre Jim et silence, transparente, qu'on m'oublie, que je meure sans bruit, sans trace, sans laisser de jugement. Qu'on m'enterre à même la terre. C'est ma dernière volonté. Mais pourquoi respecterait on la dernière quand on n'en a jamais respecté aucune?

-Les as tu seulement exprimées?

-Ha? Non. Pas toutes justement.

 

Prises de conscience

 

J'ai rencontrée Tania au détour d'une conversation, et sa tristesse m'a touchée. Mariée depuis quelques années seulement, un mariage de maturité pourtant, depuis que l'union avait été signée, elle ne reconnaissait plus son amoureux. S'était il perdu au piège de l'acquis?

Ce jour là je me suis promis, que si un jour j'ouvrais à nouveau ma porte à un homme, je ne lui ferai plus le cadeau de l'acquis, de la sécurité. Je laisserai toujours planer une menace, ainsi  s'il s'endort sur ses lauriers, s'il me délaisse et me traite en fantôme, la porte sera grande ouverte, et qu'un bon coup de pied même  je l'y pousserai, s'il hésite à partir. Ce n'est pas du cynisme, ni de la méchanceté, c'est du réalisme, c'est le fruit de l'expérience. Que les hommes soient bien conscients, qu'en matière de relations humaines, rien est acquis, tout est chaque jour à reconquérir. Chaque jour redire je t'aime, chaque fois redemander le consentement du corps de l'autre. Le mariage, d'accord, mais comme rite quotidien: c'est chaque matin, et à l'aube de chaque nuit, qu'il faudrait se redire oui.

Et puis, le pas suivant, encore mieux: chacun son toit. Limiter le partage aux bons moments, se garder un lieu de solitude et de repli, pour épargner à l'autre son sale caractère, pour rester libre. Pour une éternelle lune de miel sans s'installer dans le partage des corvées. Cela devrait être pour un homme la situation rêvée?

Chaque histoire singulière, aucune ne peut me servir de modèle, ni même me permettre de comprendre la mienne. Mais je les collectionne pour leur rassurante diversité. A ma mère qui a regretté, le jour de mon mariage, que je n'aies pas « suivi les rails », je pourrais maintenant dire que si, mais que les miens avaient des aiguillages, des gares de triages, et même des buffets de gares, des passages à niveau, et des maisons de garde-barrières, pas les siens? Dommage...

 

A travers les âges.

 

-Tu m'énerves, cria t' elle sèchement à son homme qui avait vieilli plus vite qu'elle, t'es trop mou, j'en ai marre! Plus tu vieillis plus tu vis au ralenti, ça m'agace, moi je veux en faire le plus possible, ne pas perdre une miette du temps qui me reste, et toi, tu rêvasses... mais bouge!!

-... Laisse moi tranquille, répondit-il, calme et posé, je ne fais rien de mal, je ne t'empêche pas de vivre à ton rythme, laisse moi vivre le mien.

-pfff... tu m' agaces, ce qu'il faudrait c'est qu'une jeune femme tombe amoureuse et qu'elle prenne soin de toi, jusqu'à la fin de tes jours...

-!! s'il n'y a que ça pour te faire plaisir, c' est possible...

-pff!! prétentieux!!

-mais toi tu seras seule...

-de toutes façons, les femmes finissent toujours leur vie seule, alors... un peu plus tôt... j'aimerais goûter la liberté de la solitude tant que je ne suis pas encore gaga.

Elle, la jeune, son angoisse est de vieillir seule. Mais d'un autre coté, elle aime les hommes âgés, figures paternelles, leur sagesse, leur pondération. Elle prit donc en effet soin de lui... jusqu'à l'inévitable, et se retrouva face à son angoisse. Elle eut alors d'autres compagnons, toujours aussi âgés, mais de plus en plus proche d'elle à mesure que passait le temps. Et le dernier l'enterra.

 

Les cailloux sont ils vivants?

 

C' est un rêve volé, mais le dépossédé me pardonnera peut être. Oui, dans mes nuits de refuge, blottie dans mon sac de couchage (je l'ai retrouvé finalement, je l'avais oublié lors d'une étape), il m'arrive de rêver du sculpteur de cailloux. Les premières fois, ça m'a surprise que ma volonté soit ainsi dépassée par mes rêves.

Le sculpteur avait entrepris une rude escalade, seul, son sac plein de ces cailloux souvenirs sur lesquels il grave les moments forts de sa vie. Arrivé près d'un torrent, il y déversa, acte décidément récurrent, d'un coup, le contenu de son sac. Puis il détourna ses pas, regarda le sommet, et avant de repartir, sortit son grand mouchoir à carreaux pour s' éponger le front.

Il y trouva, caché, un tout petit galet, rescapé, discret et si peu lourd, qu'il ne le gênerait pas pour sa si dure ascension. Ému par ce hasard, il décida finalement de le garder, au fond de sa poche, au chaud, sous son mouchoir.

 

Pièges

 

C'était avant, dans la vallée. Voilà l'image: un trou, j'étais dans un trou, incapable d'en sortir, un trou plus haut que moi. J'avais appelé, crier, trépigné. Je m'étais arraché les cheveux, j' étais sur le point de perdre la tête. Et je le voyais là, au dessus de moi, le regard rivé vers les sommets, m'ignorant. Je savais qu'il suffisait qu'il me tente la main. Peut être même qu'une corde, ou une échelle gisaient à ses pieds. Mais non, il m'a laissée là, semblant ne pas voir, ne pas entendre. Ne voyant et n'entendant rien, m'affirma t'il plus tard. Mais là, non, je n'ai pas voulu le croire.

Après il m'a dit: mon silence te protège de ma colère.

Qu'avais je fais que je n'aurais pas du faire?

Que n'avais-je pas fait que j'aurais du faire?

Mes enfants dans la tourmente eux aussi. J'essayais de la leur adoucir: je leur donnais des histoires comme d'autres auraient donné des bonbons. Des histoires lues, des histoires vues, qu'ils aient  des images pour rêver, l'imagination pour s'échapper. Des images et de la musique. Je leur offrais ce qui me faisais tenir, pensant adoucir l'épreuve. Mais surtout qu'ils voient, qu'ils sentent, qu'ils s'imprègnent de l'idée que la vie  offre plusieurs chemins, qu'aucun, tant qu'il respecte les autres, n'est vertueux ni condamnable.

 

Le tunnel

 

Il n'avait pas choisi. Il avait voulu prendre un raccourci et peu avant la nuit sa voiture, ses phares, et le GPS, étaient tombés en panne à l'entrée d'un tunnel qu'il ne connaissait pas. Évidemment, en ces lieux reculés, pas de réseau pour le portable. Alors c'était peut être un mauvais réflexe, mais la route qu'il venait de parcourir  était très peu fréquentée et traversait une contrée désertique, il savait ne pas pouvoir y trouver de secours.  Il laissa donc l'auto au refuge d'entrée du tunnel, et entreprit de le traverser à pied, dans l'espoir de trouver un téléphone d'urgence, ou une habitation, de l'autre coté.

Le tunnel lui parut rapidement anormalement long. Il n'avait pas l'heure, mais il évaluait le temps à la lassitude de ses muscles et à sa faim grandissante. Par moment, l'éclairage, déjà faible, vacillait, lui faisant craindre l'obscurité totale. Pas un véhicule ne passait, ni dans un sens, ni dans l'autre. Les parois, d'abord de béton lisse et recouvertes de peinture réfléchissante, devenaient de plus en plus rupestres, roche nue et rochers saillants. Même la route se parsemait de nids de poules de plus en plus conséquents, puis d'ornières, enfin l'asphalte disparut.

A mesure  qu'il avançait, le monde dont il était issu, sa vie même, lui paraissaient faux. Il progressait dans l'obscurité orangée de cette étrange caverne platonicienne et fut soudain prit de dégoût pour tous les faux-semblants, toutes les hypocrisies que lui imposaient la société. Homme plein de responsabilités, sa vie n'était plus que ronds de jambes aux puissants, soumissions obséquieuses aux supérieurs, petits cadeaux intéressés, stratégies, concessions... même ses amours sans lendemains étaient dictées par l'intérêt de gagner un contrat, ou de nuire à un rival. Au fil de ses pas de plus en plus lourds, de plus en plus lents, il chercha dans sa mémoire la trace d'un acte généreux, d'une émotion pure, et fut désespéré de n'en pas trouver.

Des heures semblaient avoir passées, il avait déjà abandonné sa lourde sacoche de travail, enlevé sa cravate et sa veste de costume, uniforme obligatoire, mais inutile par ces temps de canicule. Lorsqu'il commença à entrevoir la lueur ensoleillée du levant, tout au bout, d'étranges ombres sur les parois du tunnels lui rappelèrent des amis depuis longtemps oubliés, des gens sincères qu'il avait délaissés ou blessés, et qui s'étaient peu à peu détournés de lui, l'abandonnant aux requins. Il avait faim, mal aux pieds, et... peur! Pour la première fois depuis longtemps, il ne maîtrisait pas la situation, aucun pot de vin, aucune ruse ne le sortiraient de ce mauvais pas, il était seul, avec lui même, et avec... ses émotions. En voyant son reflet dans une flaque boueuse, il fut convaincu de voir là son vrai visage.

 En sortant du tunnel, le soleil de midi l'aveugla, il chancela, manqua de tomber et s'agrippa  au plus proche soutient: un poteau directionnel en bois. Lorsque remis de son étourdissement il y déchiffra « GR10 », il déposa à son pied ses souliers fins et vernis et suivit la flèche.

Au bout de quelques pas, il se retourna, non par regret, mais pour regarder en face ce qu'il laissait. Il lut alors l'énorme banderole d'ensilage noire, sur laquelle les lettres de peinture rouge avaient ternies: « traversée des pyrénées, travaux bloqués, on va gagner!! »

Il respira à fond, se rappela fugacement qu'il avait jadis travaillé ce dossier, lutté contre les militants, exproprié des paysans, avant de l'abandonner pour plus rémunérateur.
Il respira à nouveau , regarda la pente du sentier, pensa que désormais il allait lui falloir gagner son pain, sa vie, souffrir, rire et pleurer...

Là encore, il n'avait pas choisi.

-On ne choisit rien, ajouta le conteur, ni de changer, ni de ne pas changer, ni de vivre des événements traumatiques qui induisent un changement.

Quand j'ai vu, au loin, la lueur d'espoir au bout de mon propre tunnel, moi qui croyais avoir fait le deuil de la relation,  moi  qui pensais ce moment venu n'éprouver que soulagement, et bien non, je n'ai ressenti que tristesse, l' immense tristesse de l'échec.

J'avais quitté la prison de sa jalousie pour m'enfermer dans celle de ma tristesse, mais   cette fois-ci, c'est moi qui créais les barreaux, peut être serait il alors plus facile  de les scier? Combien de temps cette blessure mettrait elle à guérir?

 

échange

 

C'est sur un plateau venteux, la vue dégagée sur un large horizon, que je lui remets le caillou, échange tardif de celui dont il m'a fait don lorsqu'il m'a rejointe.

-Tiens... puisqu'on ne gravera pas nos noms au bas d'un parchemin... [6]

-Non, ne fais pas ça... tu m'as rencontré par hasard, tu aurais pu ne jamais me rencontrer, il y a d'autres chemins, regarde les aussi...

-Je ne dis pas que je me les interdit! Mais au présent, c'est toi qui es sur mon chemin, et c' est toi qui m'offres le bonheur de me sentir aimée et aimante, alors... acceptes tu mon présent?

-Oui.

 

Horreur

 

Il était là, assis sur une chaise, devant moi. Son visage recouvert d'un masque translucide qui lui collait à la peau. Impossible de l'enlever. Il me demandait de le lui décoller, mais la seule faille était le tour des yeux, le trou pour les yeux dans le masque, là, il était possible d'insérer la pointe d' un ciseau entre le masque et la peau, pour le décoller. C'est ce qu'il avait obtenu que je fasse, et je m'y appliquais, tremblante, lorsqu'un choc violent l'a projeté en avant, sur la pointe des ciseaux...  J'y étais pour rien, je n'avais fait que répondre à sa demande, mais je fus accusée, jugée coupable.

Il m'est alors devenu impossible de vivre sous son regard.

Je regardais de plus en plus fascinée l'ouverture du tunnel. Plus son cercle grossissait, plus j'avais l'impression de m'extraire d'une chrysalide. Le ciel, l'air, à l'horizon.

 

Reprise

 

-Oui, c'est vrai, l'idée que je raconterai m'aidait à dépasser la difficulté de l'instant, avoir quelqu'un à évoquer, se dire « je lui dirai, je lui demanderai ce qu'il-elle en pense ».

Lorsqu'il s'est aperçu de son absence, elle était déjà ailleurs depuis longtemps, introuvable, injoignable. Il s'est démené, a essayé de rebrousser chemin, d'en tailler des nouveaux dans le maquis de leurs sentiments, de lancer des signaux de fumée, des appels de détresse renvoyant le soleil avec un éclat de son miroir brisé, depuis la vallée. Trop tard. Alors quelqu'un le lui a dit, enfin, que c'était trop tard, qu'il avait eu des années pour voir, comprendre, et faire des efforts pour se rendre présent à sa vie, pour partager ses rêves. Enfin il a cessé sa poursuite vaine, et a prit sa route divergente. A cet instant, dans son cocon brisé, elle a senti, telle la douleur infantile de la dent qui déchire la gencive, celle de l'aile bourgeonnante qui cherche à éclore.

-A moi!! Moi je vais te raconter la relation idéale, crie-t-elle en me fixant, une lueur provocatrice dans le regard:

On se connaissait un peu mais à peine, juste assez pour ne pas s'intimider, mais pas trop pour ne pas faire de  projets de vie. Une rencontre éphémère. Il m'a renversée sur le lit, m'a dit -dis moi, guide-moi, de toutes façons, moi je bande déjà, et je jouis très facilement (oh, c'est pas les mots qui lui faisaient peur à lui!), alors toi, dis moi ce qui te fais plaisir, ce dont tu as envie. Alors j'ai fermé les yeux, et comme dans un rêve, je lui ai dicté ses gestes. Mais lui, y ajoutait à chaque fois, une petite note de fantaisie et d'originalité qui me ravissait...

Voilà pour toi, larve lâche qui te cache derrière tes images, ça t' a plu cru comme ça?

Ca, c'était de la provocation, mais elle avait eu l'habileté de ne pas bafouiller sa dernière phrase, l'assistance était médusée.

La soirée avait pourtant commencé bien sagement , par une réflexion sérieuse sur le style et le droit ou non de tout écrire, et avec quels mots, et ça tournait au ping-pong de fantasmes, soirée écriture épicée. Je me demandais comment tout le monde allait se calmer, si la morale serait sauvegardée.

Angelo sortit sa guitare, Yann son violon, le rythme des lectures se cala sur celui des mélodies, la soirée fut sauvée. Retour à un rêve jamais atteint, la chaleur d'un groupe, l'échange de tendresse, de douceur sans autre engagement que le consentement de deux adultes pour un bout de nuit, ou un bout de vie. Groupe-mère-frère, groupe alter-égo indistinct, ronde de bras consolateurs, sécurisants, où chacun se sentait le centre, tout en faisant le cercle des autres.

Le lendemain l'air était bleu malgré les annonces défaitistes de la météo. Je pris mon temps pour me préparer, lacer mes chaussures.

-Tu t'en vas?

-Oui, quelques heures seulement, besoin de réfléchir.

Réfléchir, plutôt apprivoiser, accueillir cet être qu' elle sentait grandir en elle, comme on accueille une naissance. Faire connaissance avec cette nouvelle amie, cette personne capable de s'abandonner en toute lucidité aux sensations de son corps. Elle se sentait double, il lui fallait se retrouver.

La morale fait fausse route pensa-elle. La frustration ne mène qu'à la violence, à la toute puissance de la colère du corps qui se rebelle pour vivre un peu. Alors que la sensualité réveillée, acceptée, respectée laisse un corps fort et apaisé, un esprit calme et disponible.

 

Jeux de lois

 

Elle était tentée de rentrer au refuge riche de sa découverte et d'en  faire étalage le soir à la veillée. Heureusement, le chemin du retour lui fut salutaire, certaines réactions d'agacements lui revinrent en mémoire. Le souvenir de gens essayant de persuader l'auditoire que leur choix de vie était le meilleur, pour eux, et pour la collectivité, qu'il fallait en faire la norme.

On aimerait tous que notre loi soit LA loi. On aimerait persuader la collectivité que ce qui est bon pour nous l'est pour tous, et peut être érigé en loi, afin de devenir la norme, et d'apaiser notre culpabilité. On oublie que parmi ces tous, certains seront attirés par un autre système, et donc amené à transgresser, ou à restreindre les libertés, pour eux, puis, s'en trouvant bien, pour tous...

Alors? A chacun de s'arranger avec les lois collectives et sa conscience?

Au fil des pas, elle pressentait l'agacement de certains, ce soir, confrontés à ses interrogations. Saute le chapitre, lecteur agacé, mais ses compagnons prisonniers du refuge n'auraient d'autre recourt que d'affronter le froid pour fuir ses mots, ou de la faire taire. Alors ce soir, tant pis, elle garderait le silence et ses questions irrésolues. La transgression condamne à la solitude, le plus grave n'est pas d'être hors norme, non, c'est d'en faire l'apologie.

Voilà ce que ses pas lui ont appris aujourd'hui: on a une marge de liberté, oui, à condition de se taire. La subversion de l'écrivain n'est pas dans sa vie dissolue, mais dans le témoignage qu'il en fait.

 

Solidarité de genre

 

Je suis partie battue d'avance, me cramponnant à l'idée que je pouvais bien supporter ce que mes soeurs d'autres lieux, d'autres temps, enduraient et me soumettre à ce qui m'arrivait. Jusqu'à ce que ma logique fut poussée à bout, et qu'à ce bout je ne trouve que cendres des femmes immolées avec leur époux défunt. Ma logique avait atteint sa limite, et me donnait le droit de refuser ce qui m'était insupportable.

Elle avait cassé ma fragile tour de cubes superposés, tout était par terre, il me fallait recomposer. Alors j'ai trouvé une autre ligne d'horizon, une autre justification: user de mes droits, pour qu'ils se généralisent, et que d'autres, ailleurs, en d'autres temps, en bénéficient. Au nom du futur, je n'avais pas le droit de renoncer aux droits que m'offraient ma société, pour ne pas risquer de les voir disparaître.

 

Labour

 

Encore quelques pas, et, quelle idée stupide, me voilà à tirer une charrue, comme une bête de somme. Travail idiot, rien ne poussera à cette altitude. Mais en attendant, moi je tire, et il me plaît de m'épuiser encore plus rapidement que dans la marche, dans ce travail bestial, au sens de surhumain. Quatre sillons et je m'écroule dans le dernier pour comprendre que c'est moi qui me suis ainsi attelée à la tâche.

Les mots ne naissent jamais des feuilles blanches. Non. Il leur faut le soleil au travers de mes paupières, ou le martèlement de mes pas sur la terre. Les mots jaillissent du mouvement, de la musique, de la lumière, jamais du silence solitaire, stoppent les soucis. Je leur impose de se taire, et une phrase fleurit. Mes yeux clos cherchent la lumière, mes oreilles le bruit de la rue. La vie. La vie des autres. Je tire, je creuse, j'aime que ça résiste, mes muscles impuissants, heureux de leur épuisement, des rages qui s'apaisent, qui s'abrasent. Qu'est ce qui pourrait bien pousser là? De la vigne? Pour le vin de l'oubli et l'abandon de l'ivresse. Fatigue, un autre abandon, je m'écroule dans le sillon, saoule de soleil. Travail inutile, oui, mais voué à dissiper l' énergie orpheline de la frustration.

Voilà ce que je leur dirai ce soir, voilà ce que je raconterai. Ca déplaira à l'amateure de mots crus, mais tant pis, ce sont les miens.

Et puis un jour j'en ai eu marre. Pourquoi ne pouvais-je marcher simplement? Pourquoi m'arrêter, écrire, et le soir lire, dire? Pourquoi ne pas redescendre dans la vallée? Reprendre le cours de ma vie, sa routine, mon travail, mes relations, maintenant qu'il était partant? Pourquoi toutes ces questions sans cesse, me poursuivaient elles où que j'aille?

 

Triste hommage

 

J'en étais là, dans mes pensées troublées, à tourner en rond, à m'essouffler et  déplorer l'inutilité de mes pas. Il me manquait quelque chose, une présence amie, une écoute, je ressentais un grand vide, au présent, et au futur, je ne voyais plus que du vide sur mon chemin. Dans mon sac surchargé, j'ai voulu prendre un livre phare pour me réconforter, de mes mains il s'est dérobé, il est tombé sur les pierres du chemin, et ses pages ont tourné à toute vitesse dans le vent glacé: le poète avait rejoint sa nuit, celle où on sait tout, nous laissant pour toujours orphelins des réponses aux questions que je n'avais pas pu lui poser. Mon coeur a saigné, nouvelles balises rouges sur le sentier. J'ai ramassé le livre, j'en ai caressé la couverture, j'en ai relu la dédicace, puis je l'ai rangé -lui me resterait- en serrant les dents, oui, je savais, par là, oui il me fallait rejoindre le chemin. Le temps passait déroulant le sentier sous mes pieds, avancer, utile ou pas, que mes actes, mes mots, soient bons ou pas, pas le choix de toute façons, avancer. Alors à quoi bon toutes ces questions?

Peut être me verrait il, avant que son âme ne soit toute à  la nuit. Peut être se moquerait-il, ou serait-il ému, de cette inconnue qui le pleure, pensant le connaître pour l'avoir lu, pensant avoir compris quelques unes de ses idées, pénétré certaines de ses pensées, lectrice qui avait imaginé lui rendre visite dans sa grande maison aux neuf fenêtres, pas si loin de là, comme si elle avait été de sa famille, de la grande famille des écrivains.

Qu'avais-je perdu avec lui? Dans ma quête de compréhension, j'avais perdu quelqu'un qui peut être m'aurait comprise, ou encouragée même. Ses mots m'avaient aidée, m'avaient donné des leçons de vie, leur utilité légitimait les miens. Et doucement, ce matin, il me murmurait qu'il  me fallait cesser de chercher à être comprise de tous, j'étais comme ça, et si peu responsable de l'être...

Son chemin était arrivé à sa fin, le mien était en sursis. Il serait ce que j'en ferai, il serait ce que je m'autoriserai à en faire, mais une chose était certaine, je ne pouvais plus me contenter de fuir ainsi, il me fallait achever cette traversée, et retourner dans la vallée, y reprendre le cours de ma vie.

 

Désert en vue

 

Alors j'ai détourné mon regard du chemin, pour le porter au loin.

Paupières mi-closes face à l'immensité, en descendant je trouverai ce paysage à mes pieds: un désert. Un stéréotype de désert: du sable à perte de vue, et rien d'autre, si, quelques chardons. Ne manquait que le squelette de buffle blanchi de sel pour se croire dans un décor de western. Mais ce n'était pas un décor, il me faudrait le traverser. Plus de sentiers rocailleux, plus de tunnels ombragés. Rien. Du sable.

Que faisait ce paysage là? Lacune de ma culture géographique? En tout cas, il n'était pas prévu au programme. Mes pas qui avaient toujours un pays d'avance ne l'avait pas vu venir celui là!

De l'eau? Y aurait il de l'eau? On m'avait dit: ce sera dur, on ne m'avait pas dit que j'irais à la mort, donc il devait y avoir de l'eau...

J'étais toujours là, immobile, défiant ce vide. De toutes façons, pas le choix. Impossible de faire demi-tour. Avez vous eu le choix, vous? Avez vous tout maîtrisé de votre vie? Je ne crois pas. La fuite, oui, je l'ai choisie. Mais je n'ai pas choisi la fin de ce chemin d'altitude, ni ce désert qui se présente à moi. Je ne savais pas que la fuite entraînerait la désertification de la vallée, je pensais redescendre, calmée, retrouver tout comme avant, ou peut être choisir l'autre versant, le sud, pour une autre vallée, mais le désert, non, en entamant ce chemin, je ne l'avais pas anticipé.

Pourtant, en le regardant, je me sens calme, douce, et forte. Douce, même envers ceux qui m'ont fait souffrir. Enfin, je me sens bien. Prête à accepter les intempéries de la vie.

Je sens qu'il me faut quitter ce chemin de fuite et de regret, d'incompréhension et de stériles questions. Cesser ces écartèlements entre vallée et altitude, changer de contrée, me retrouver.

Et te retrouver, Toi, mon Funambule, retrouver ton pas calme et rassurant. Accepter enfin qui je suis.

J'avais rêvé que l'écrivain Te délivrait un message, mais c'est à moi qu'il en donne un, glissé au creux de ses pages, au creux de sa vie dont je ne su rien, presque rien, mais que j'avais su imaginer. Et de cette vie rêvée, faire naître une nouvelle source, qui rejoindrait celles qui déjà alimentaient mon tendre ostinato.

 

Rupture de rythme: course dans la ronde

 

Alors je me suis mise à courir, pour en finir, vite, vite, sans m'arrêter. Vite, vite, apprenez moi à vivre, vite, vite, je ne veux plus perdre un instant. La terre tourne tourne, comme tourne la ronde de la vie, comme tournent ces cercles où j'ai tant de mal à trouver ma place.

Tourner, tourner dans la ronde de la vie en recherche de sa place sur cette planète, de son rôle, son utilité. Se justifier ainsi d'être né, s'excuser d'avoir survécu, restituer l'air consommé si possible avec plus-value pour la collectivité.

Mais tourne trop vite la ronde, accroche toi bien, attention si tu tombes, tu mourras sous les pas des autres qui eux ne s'arrêteront pas.

Accroche toi fort, attention si tu te trompes, les mains te lâcheront, vers l'extérieur la force t'enverra, et t'éjectera de la ronde.

Au centre, aux yeux de tous, de cette place tu ne veux pas, au moins tu sais ça.

Ne tourne pas à revers, change de ronde, prends l'engrenage, cette ronde arc-en-ciel a plusieurs couleurs, plusieurs étages. Tant pis pour le cercle  qui t'éjecte et rejette une partie de toi, tu te replies, ne t'y donnes qu'à minima et cherche un cercle chaleureux où l'on t'acceptera toute, où tu pourras te donner toute, enfin te surpasser.

De la marche à la danse, soufflait un vent de folie sur mes pas, un vent de fantaisie et d'insouciance, enfin...

 

Arrivée

 

Je m'étais imaginée, au départ, que j'arriverai seule sur la plage, pour Te retrouver pour toujours mon Funambule, et voilà que j'avançais prise dans une immense farandole de mains mêlées et serrées, après avoir marché sur les sentiers, après avoir vu du monde pour ne pas oublier le monde, et pour que le monde ne nous oublie pas.

De mes pas j'avais appris que j'avais droit à ma place dans la ronde.

J'avais appris à aimer la nuit et à apprendre le jour.

J'avais appris que la route se trace au fur et à mesure de nos pas, qu'il n'existe aucune carte pour le voyageur perdu.

Les mots des autres, leurs histoires, m'avaient aidée à cheminer, forte des histoires des unes, des autres, j'allais peut être enfin pouvoir écrire la mienne en mots de vie... Et puis, il me faudrait à mon tour restituer, fixer les pas, pour un jour, peut être, de mes mots aider une petite soeur en détresse, une autre femme en recherche de sa vie.

Et je savais maintenant que les pages s'écrivent pour qu'on puisse les tourner, et que tant qu'il y aura des lecteurs, les mots vivront dans nos coeurs...

J'arrivais sur la plage, le coeur, le corps et la tête habités de tous ceux qui avaient partagé mon chemin, ce n'était pas l'enthousiasme espéré, mais c'était calme et serein.

Arrivée-retour, à nouveau la plage, au bout de tous ces pas, toutes ces rencontres, la plage et Toi, qui m'attendait, là, avec tant d'autres qui m'y avaient précédée. Pendant que cheminait ma laborieuse traversée, Toi, sur ton fil, Tu avais fait le tour de la terre, et sans jamais  t'éloigner de moi, Tu  m'avais devancée.

 

 

 

À toutes celles et ceux qui m'ont  soutenue sur ce difficile chemin,

un merci à Marie-Claire Carré qui m'a permis de donner vie à certains de mes mots,

un hommage à Yves Heurté, la fin de son chemin fut celle de ce sentier.

Octobre 2005 au 21 février 2006

Claire



[1]     André Brink: au delà du silence

[2]     Yves heurté, dans le phare de la vieille p22: « la nuit, Fred, on sait les choses. Le jour on les apprend »

[3]     Paolo Coelho: sur le bord de la rivière Piedra ,je me suis assise et j'ai pleuré

[4]     Clin d'oeil à Gisèle, mais c'est tellement vrai:

      Gisèle Matamala Verschelde « cette lettre oubliée », récits d'un exil, édition les passés simples

[5]     cf   André Brink, un acte de terreur

[6]     « j'ai l'honneur de ne pas te demander ta main, ne gravons pas nos noms au bas d'un parchemin » Georges Brassens, la non demande en mariage

 

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Billets d'humeurs

 

Voix souterraine, bruissement de vent sur le chemin, pour ceux qui aiment, pour ceux qui peuvent l'entendre... ces billets jetés aux flots, piqués aux branches de l'arbre des choix...   en attente de leur destinataire.

 

Billets pour toi, peuvent ils voler vers d'autres?

Papillons autonomes que d'autres attrapent dans leur filet le temps d'un rêve?

 

***

 

Tant pis si tu me manques, si en moi grossit le vide de ton silence. À  moi de le remplir, de mots de musiques, de rêves et de souvenirs. À moi de l'offrir à d' autres, pour ne pas en souffrir.

 

Tant pis si tu me manques, si tu cherches après moi, à mon tour coupable d'absence. Si la musique couvre ton appel, si le soleil m'a invitée à l'heure de ton passage.

 

Je suis presque heureuse de mon attente déçue, heureuse de te prouver, par ma patience, que mon amour est à toutes épreuves.

 

Me reste une peur, celle de connaître, à l'avenir, des temps pis que celui-ci.  

 

***

 

Trois mots, trois mots suffirent: « merci pour tout. »

Un merci total pour me dire: tu existes, je pense à toi.

Trois mots récompense de mon attente, de ma patience, qui m'ont dit: « rien n'a changé », malgré les tourmentes et les cyclones qui détruisirent nos îles bulles.

 Tant de paroles, tant d'espoir, tant de tendresse, en trois petits mots conventionnels du quotidien... mais peut être n'est-ce pas sans raison qu'on les appelle pour les petits: les mots magiques.

 

 

***

 

Aujourd'hui je me sens aimée.

 

Dès l'heure de mon café j'ai senti la chaleur de ta main sur mon épaule. Peut être parce qu'à ce moment là, toi, tu dormais encore? Peut être ai-je plus  confiance en tes rêves qu'en toi même?

 

Ensuite, j'ai multiplié les moments douceur dans la journée, et toujours je t'y ai associé. En pensée je t'invite, je t'invente dans mon quotidien.

 

Ma vie est décidément peuplée de fantômes, mais certains y sont plus réels que d'autres.

 

 

***

 

Peut être... créer moi même le manque, comme je l'ai fait avec mes mots écrits? Instaurer la pénurie, m'effacer, disparaître. Non pas en représailles, mais pour créer le besoin, te forcer à me chercher, à me joindre.

 

Technique de marketing capitaliste!!

 

Non, je n'écouterai pas les donneurs de stratégies, je serai là, sans aucune rancune, lorsque tu auras besoin de moi. Dans l'attente, je veille patiemment sur les braises de notre amour, prête, à tout instant, à réveiller l'incendie.

 

Altermondialiste, jusque dans mes sentiments.

 

 

 

***

 

C'est encore un matin où l'espoir me fait sourire

mais pour prévenir la violence de la déception

je dois dans de strictes bornes le contenir

 

ma propre règle du je

 

à laquelle échappe, cette partie de moi que tu as éveillée,

qui se rebelle, s'exprime en insomnies,

cet élan du corps qui refuse de se rendormir:

 

le désir.

 

 

***

 

Mon esprit, absorbé par le bleu d'une chemise que j'aurais souhaitée tienne... il faut que j'arrive à me dire c'est fini, ce fut une belle histoire... me reste des images, dans lesquelles je navigue, des rêves où je flotte, des sensations d'îles... je t'aimais, je t'aime encore, mais sans espoir... j'aime tout ce qui vient de toi, et aujourd'hui, j'aime même ton absence...

Rupture pire que la mort de l'être aimé, m'avait appris une amie, car toujours l'espoir rouvre la plaie, la ravive, le deuil ne peut être complet. Pourtant, je veux que nos rencontres fortuites soient gorgées d'eau à la source, et non torture des possibles inaccessibles.

 

***

 

Tu m'as approchée, doucement, apprivoisée. Tu as partagé mon rêve, tu m'as aimée, puis... tu m'as abandonnée...

 

Tu m'as confrontée à ma plus grande peur, celle que je t'avais confiée en préambule: l'abandon sans mot, le lent délitement. Tu m'as forcée à l'endurer, à m'y cogner.

 

Merci, car l'épreuve passée, je suis toujours en vie.

 

 

 

***

 

Oui, d'accord, tu ne veux plus de moi, notre amour est fini et tu n'oses pas me le dire. Je ne sais pas pourquoi. Toute la vie l'orphelin se posera cette question, pour quelle faute m'a t'on abandonné?

Encore un jour, lent - c'est dur l'espoir, je préférerais la franchise d'un au revoir-  ils le seront tous désormais, il est fini notre amour. J'ai mal, si mal, mais je serai fidèle à ma parole, je respecterai ton désir, je ne chercherai même plus à te dire.

 

 

 

***

 

Je suis là, dans le désert, presque morte. Un mois de désert, qui y survivrait? Passe un homme que je ne connais pas, ou reconnais pas. Les yeux brûlés de soleil, je ne vois qu'une silhouette. Comment je sais qu'il s'agit d'un homme? La voix est grave mais je ne comprends pas les paroles. Parle t'il une langue étrangère, ou est ce encore une déformation due à la fièvre? Je souffre tant. Je lui désigne une pierre près de moi, j'articule, difficilement, mais je le prie, le supplie, de fracasser mon coeur avec, de m'achever.

Il passe son chemin sans rien faire, ni me tuer, ni me donner à boire. Il s'en va.

Alors je réunis mes dernières forces pour ramper, régression reptilienne, m'enrouler sur cette pierre, en épouser la forme, l'intégrer à mon corps, devenir à mon tour minérale, insensible au mal, devenir pierre et mourir.

Ce qu'il a refusé de faire, je dois le faire moi même. 

 

***

 

J'ai hésité à venir, ne me sentant pas capable de soutenir ton regard sans laisser exploser mes sentiments, amour, douleur, désir, désespoir. Je suis d'abord restée non loin de toi, sans te regarder, me rassasiant du son chaud de ta voix, mais c'était encore trop, les larmes affleuraient. Alors j'ai fuit.

 Mais il y a le travail, tous nos autres liens à respecter, d'où ma violence à ton égard, pareil, exactement, que lorsque je refoulais mes sentiments interdits. Violence paravent, agressivité protectrice, quand je voudrais hurler je t'aime!!

Peut être devrais je un peu rester à l'écart, le temps de cicatriser, de faire un deuil complet, de totalement me détacher. Le temps d'être capable de respecter ma parole, de te laisser libre. C'est ce que tu attends de moi, le détachement, que je sois « raisonnable »?

 

Je préférais notre folie.               

 

***

 

Demain...c'est aujourd'hui pour moi le plus beau mot de la langue... demain... j'y vois tes bras autour de moi, ma tête sur ton épaule, un baiser dans ton cou... demain, tu murmures l'apaisement à mon oreille. Demain...  puis-je avoir encore la faiblesse de te croire, une dernière fois, une dernière chance?

Oui, je veux demain, je veux matin, tôt, je veux la rosée rien que pour nous, et le calme d'une ville, je veux le lever du soleil pour notre amour qui se réveille.

Demain... ce mot berce mon jour, je le prononce, en secret, comme ton prénom, comme une prière...

demain...

 

  ***

 

Hier sur la route, annonciateur du retour de l'intense, le soleil enflammait le brouillard, temps propice aux retrouvailles des funambules, où il fut question d'un autre temps, celui qui passe.

Le sourire retrouvé, ils purent laver le ciel de leurs peurs, et voir à nouveau le soleil dans leur regard.

La vie renaissait enfin aux yeux de Funambulette.        

 

***

 

Je peux me recroqueviller sur le bonheur aussi, de peur qu'il parte, qu'il m'échappe à peine retrouvé.

Étendue de tout mon long, tournée vers le ciel, je me sens en lien avec tout et tous, souciante et vulnérable.

Me  ferais-tu une petite place dans ta coquille?    

 

***

 

Lorsque la douleur de l'absence devient récurrente, en faire une base, une constante, comme cette pesanteur sur nos os depuis notre émergence à la vie, douleur pour le nourrisson, tombée dans l'oubli de l'habitude. Vivre avec ton silence, jusqu'à ne plus en sentir la pression sur mon coeur, comme s'il ne s'agissait que de l'une des lois de l'amour, cruelle, comme celles de la vie...

et s'il me prenait le goût de désobéir, de transgresser jusqu'à nos propres lois?  

 

***

 

Une  fois déjà on a jugé mes sentiments, on m'a dit que si j'aimais vraiment, je n'aurais pas supporté  ce que j'acceptais par amour. Peut être as tu eu cet éclairage sur ma patience?

 

Je t'aime! te quiero! ti amo! ich liebe dich!

en quelle langue me faut il te le crier?

Que me faut il faire pour te le prouver?

Je t'embrasse...        

 

***

 

Lorsque en vain mes yeux cherchent la rive opposée du fleuve de l'absence, perdue dans les brouillards, ou plus loin que l'horizon, traversée laborieuse de l'immensité ininterrompue me menace de noyade. Mais lorsque tu me donnes la promesse de petites îles, de rochers en rochers affleurant au gué du fleuve, je peux sereinement le traverser. 

 

***

 

Répondre à la demande:

-je te demande pardon,dit un jour Funambule à Funambulette.

-je suis heureuse que tu me le demandes, ainsi j'ai le bonheur de te le donner, mais pas de culpabilité sur notre chemin, c'est destructueur, je ne le sais que trop bien. Le fleuve une fois traversé, si tu te sens encore en dette envers moi, embrasse moi, caresse moi... de tes mots tu as rassuré mon coeur, s'il te plaît, par tes mains, par ton corps apaise le mien.

 

Et la demande change de camp!    

 

 

***

 

Un moment pour toi dans le vent. L'angoisse bien sur, peur que  tu récidives, double lecture. Aimer, c'est forcément se soucier pour l'autre. Doit on pour autant s'interdire d'aimer? 

Merci pour ces quelques minutes arrachées à l'adversité, nos mains cachées derrière ton dos, ton empreinte, gravure provisoire dans ma paume, ton parfum qui flotte dans l'air, règne dans ma maison, le réveil du désir, conjonction simultanée je crois, nos baisers fous, impatients et pressés.

 

***

 

 Émotion à l'évocation de notre baiser pressé d'hier, comme une onde qui m'envahit.

Un pas... un pas chacun. Nous devons faire un pas chacun l'un vers l'autre sur le fil, et non pas toujours toi. Moi je considère mes pensées jetées au vent, mes lettres, même déchirées, mes écrits, comme autant de pas vers toi, mais ils sont abstraits et surtout rétrospectifs, et quand tu es dans ta coquille, ils ne t'atteignent pas. Alors je dois oser des pas plus concrets, îles relais au milieu de l'océan, pour toi aussi, juste pour te dire: je suis là, tu comptes pour moi, au quotidien.

 

***

 

Calma chica. Oui, je suis calme, je monte sur le fil, double salto arrière, mes pieds quittent la corde et leurs soucis terrestre, une fraction d'instant. Pour le cerveau c'est pareil, rêve, rêve, chica, nourrit le d'ondes douces, d'ondes parfumées, chaudes et colorées. Évasion pour éviter la colère.

Tu avais encore une fois raison. L'oxalis ne pousse plus au jardin du peintre, sa femme m'a appelée pour me le dire. C'est fini, mais ouvert comme un chemin.

 

***

 

Billets d'humeur ou...

témoins de l'instant, tendres papillons aux ailes de papier qui retournent se cacher dans l'érable aux feuilles miniatures?

 

***

 

Soleil complice nous donnait son assentiment, saluait notre désir de ses éclairs rouges, souriait de nous voir faire mentir Lacan: par tes mots, par ma main timide, coincée entre ta chemise et mes inhibitions, renverser son équation.

Pour la première fois, le désir ressenti un jour qui n'était pas un bon jour. Étrange contraste. Car, les hommes le savent ils, comme la fumée n'existe pas sans feu, pas de sang sans meurtrissure. Savent ils l'impression d'avoir été battue, mâchée, forcée au plus intime, qui parfois irradie vers tout le corps, cette lassitude, comme au lendemain d'une trop longue marche, les meilleurs jours; ou cette sensation d'avoir été passée à tabac, les moins bons? Chaque mois.

 

***

 

Billets d'humeurs ou...

transmutation du désir, de la colère, de la frustration, en fragile cairn sur le chemin, informelle et instable superposition, déposition qui apaise, pour continuer à avancer.

Poser mon humeur sur le tas amorcé, cela vaut mieux que d'en lapider mes proches!

 

***

 

Billet d'humeur: défi. Vois ce tas de mots informes et grouillants qui se bousculent à la porte de ma conscience, menaçants d'exploser en colères ou en larmes, suis-je capable d'en faire une phrase, un paragraphe, compréhensible, communicable, acceptable?

 

***

 

Sois papillon, oiseau, nuage... car c'est aussi comme ça que je t'aime. Nulle envie de te rendre témoin quotidien de mes vagues et de risquer de t'en faire souffrir, nul désir d'avoir à les  surveiller tout le long du jour pour éviter le risque de te déplaire. Je préfère ne t'offrir que mes bons cotés, de bons moments. Et te laisser dans l'ignorance que parfois, Jim me rejoint et mon envie de tout fuir. Moi aussi, c'est comme ça que je suis bien, des instants, dans le vent.

 

***

 

Aux jours d'éclaircies, lorsque se dissipent un peu les nuages de rages menaçants, me fait moins souffrir le manque de toi et de ta douceur, mais reste, douce, l'envie de nous, l'attente sereine de l'île prochaine.

 

***

 

Ciel uniformément noir d'orages éclatants, je souffle, vite, vite, sur le seul nuage blanc, fragile île d'écume, qui abrite cette part belle de moi où je me sens aimée, où je me sais aimante, vite, vite, cache toi derrière une étoile, très haut, hors d'atteinte. Premiers oiseaux matinaux approuvent mes décisions.

 

***

 

Les promesses tardent à se tenir, mes pas timides restent incapables de faire vibrer le fil, alors me rejoint, brusquement, l'impatience de te voir...

 

***

 

Le manque de toi, soudain m'a envahie d' un grand froid et je me suis recroquevillée sur la chaleur de nos rêves-souvenirs. Escargot sans repos, victime de l'angoisse du temps qui passe, il m'a fallu, de toute urgence, faire quelque chose pour nous.

 

***

 

Avec Anna Gavalda, j'avais appris qu'on peut rompre de trop peu se voir, et j'avais désapprouvé. Avec Tahar ben Jelloun, j'apprends qu'on peut rompre de trop de désir sans issue, et je désapprouve. Mais peut on tenir longtemps à souffrir des deux?  Une pensée me fait tenir, lorsque mes rêves de lien quotidien se heurtent aux réalités d'un amour de loin en loin, face à la mensualisation, te quitter, oui, t'oublier 29 jours sur 30, toi que j'aurais mille fois quitté, et mille et une fois retrouvé.

 

***

 

Aujourd'hui je suis dans la douleur, les pleurs. Oui, c'est dur d'être soumise à ton rythme, tes possibilités et tes envies. Je me sors à grand peine d'une soumission, ce n'est pas pour tomber dans une autre, mais comment vivre ma rébellion sans rien casser, sans faire de mal, ni à moi, ni à toi?

Coincée, bloquée, l'attente m'est tombée dessus avant que j'aie pu édicter ma règle du je, je ne peux plus qu'attendre, t'attendre, ou attendre que le temps passe.

 

***

 

Combien de temps encore aurais-je la faiblesse de te croire? Combien de fois doit on vivre un événement pour apprendre à le gérer? Combien de fois me faudra t-il endurer ce stupide espoir, de plus en plus noir à chaque fois, de plus en plus emprunt de « souviens toi , il t'a déjà dis je t'appelle lundi », en toute injustice... excuse moi.

 

***

 

Je veux jeûner et marcher à pas lourds sur le chemin, marteler la terre de mes pas, jusqu'à extirper la colère, retrouver la douceur, de mon coeur lorsqu'il pense à toi, de mon regard sur les événements, oui, un amour de loin en loin, le prendre ainsi, soumission à la fatalité, accepter le destin... peut être l'heure de mon réveil est elle responsable de ces propos chagrins? Dormir te retrouver dans ces rêves où je nous vois si bien, où ...

excuse moi, ce sont mes vagues,  je erre en quête d'aide, de soutien, perdue, même mes mots m'échappent et abandonnent toute retenue,  tu n'es responsable de rien c'est ce matin qui est chagrin. Repli, nécessaire. À bientôt.

 

***

 

Là j'ai tout pouvoirs: d'aplanir les vagues, d'en taire certaines, là est mon pouvoir, je le garde pour résister aux tentations du découragement, merci pour ton appréciation de mes mots, sans lesquels l'absence et le silence, la distance d'une bulle à l'autre ne me seraient pas gérable, merci.

 

***

 

Mon rêve touché du doigt. Une seconde, pic de l'oiseau, tac de l'horloge de notre temps, de nos secondes qui valent plus que celles des autres, j'ai vu mon rêve, je l'ai senti réalisé, là, dans cette forêt toute proche où tu ne voulais pas pénétrer de peur de troubler la paix de l'oiseau. Ce rêve, que tu me fasses  l'amour, debout, adossée à l'arbre, entre un arbre et toi.

 

***

 

Retour à la réalité, chemin de bitume et de devoir, l'oiseau, d'un pique douloureux sur mon crane lent, me souffle que tu ne veux pas aller dans la forêt. Qu'importe. Je peux t'aimer aussi comme ça: dépasser la frustration, n'être que douceur et désir retenu.

 

***

 

Née de nos désirs, je me sens devenir la vague dans laquelle tu plongeras.

 

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