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La ville est là, à portée de pas. Je l'entends, boutiques closes mais marché animé, elle est vivante, comme j'aime qu'elle soit. Je la sais disponible, elle m'attend. Elle attend le moment où me viendra l'envie de la parcourir. Savoir que j'irai la rejoindre me suffit, le besoin de sortir se fait moins pressant que lorsque j'en suis empêchée. Paradoxe de la liberté, sérénité de la certitude du désir prochainement comblé. J' aime à t'imaginer rêvant comme moi ton désir, j'aime à penser que parfois, peut être, je suis ta ville des jours de marchés fériés. Ville de libertés... Liberté de vagabondages, sans petites menottes pour me tirer vers le manège. Liberté d'achat, une fraise, de la confiture de pissenlit, un rouleau de printemps, pour rendre sa saison à ce mai de neige sur le Cagire. Hors des murs, les habitants! Âmes de cette ville, je vous croise, je vous regarde. Je pense à l'un que jamais plus je ne croiserai ici. Je souris aux autres, ils me parlent tous de la vie, de l'amour, des possibles et de ce que chacun bricole, entre ses désirs et ses obligations. Chacun me parle de tout ce qu' on aurait voulu me cacher et que jamais je ne saches, de cette vie hors des rails de la morale, mais bien plus proche de l'humain et de ses fragiles contradictions. Liberté, page ouverte à l'écran, en attente de mes mots, disponible à ceux qui surgissent entre deux gestes, deux envies spontanées. J'aime à m'imaginer ainsi, libre pour toi, page où tu écriras ton amour, quand tes désirs et tes possibles s'uniront. Liberté pour mon corps de vivre le rythme de sa faim et de son sommeil. Solitude, don de silence, d'espace, de temps libéré de la pendule. Obéir au soleil lorsqu'il m'appelle, à la lumière plutôt qu'à la sonnerie du réveil. Journée sereine, où toutes les heures se font matin. Liberté d'aller jusqu'au bout de mes envies, jusqu'à ce que comblée, je passe à autre chose. Indépendance qui me fait même aimer, ce qui d'habitude, effectué à contre-temps, à contre-rythme, est insupportable corvée. Luxe de pouvoir obéir à mes nécessités internes, à mes impulsions. La vie comme créativité de possibles improvisations. Et pourtant, je pense à celles-ceux, qui vivant cette liberté au fil de trop longs jours, n'ont qu'un souhait: l'offrir en partage, afin qu'elle soit moins dure à porter. avec une pensée pour Anne-Marie et une autre pour Rémi D. J'allais,
hier. En passant devant le jardin de la chapelle Saint Jacques, j' entends
bonjour! Et
je vois un gars qui promène son chien. Je réponds, bonjour.
Ça aurait du s'arrêter là, mais le gars se lance dans de grandes
explications: j'appelle ma
Bergère, c'est son nom, alors je l'appelle... Bon,
non seulement j'entends mal, mais en plus, je comprends lentement: il ne
disait pas bonjour, il appelait son chien! Alors
je vais... Hé!
Il me rappelle, attendez! Je suis berger, je suis dans la ville pour un jour, je repars
demain, j'ai envie d'un café, mais j'ai que 75 centimes... Désolé,
je réponds, je vais à une réunion,
j'emmène jamais d'argent quand je vais à une réunion, mais peut être
dans ma poche... Je
retourne alors ma poche et la vide dans ma main. J'y trouve 1,25 euros que
je lui tends, mais lui a vu son contenu: vous
avez un petit caillou aussi
dans votre poche! -Oui,
mais le caillou, je ne vous
le donne pas, il vaut plus d' un euro 25, c'est un souvenir,
échange de sourires, bon
café! Aujourd'hui,
retour d'action. Passant avec l'équipe devant le même lieu, je repensais
au berger et mes doigts dans ma poche effleurèrent le caillou blanc et
doux. C'est à ce moment que j'ai eu envie de le glisser discrètement
dans une main aimée. Ça
aurait dû finir comme ça, logiquement. Je
rentre à la maison, avec mon panier, le même qu'hier qui me donne perpétuellement
l'air de faire le marché, mais qui sert à transporter le matériel. Je
le croise, le « berger », je le reconnais, j'en suis sûr,
sans son chien. Il me regarde et fuit mon regard, aveu de sa fable d'hier,
il n'a pas quitté la ville, est-il seulement berger? Mais
je ne lui en veut pas. Il m'a fait rêver un instant, de prés et de
moutons, d'air et de liberté. Et
je pense à ces conteurs que l'on rencontre fréquemment dans la littérature
d'Afrique du nord, tous ces conteurs, ces raconteurs, marchands
d'histoires et de rêves, gardiens de la mémoire et des légendes orales.
Ils ont (ou avaient) leur place dans la société, une utilité que les
passants rétribuaient. Son
histoire valait bien un café, non? Vraiment,
le mot de la fin fait de la résistance. Le
voir vient et l'équipe est à nouveau réunie. Au moment de se séparer,
de rentrer chacun retrouver les solitudes de nos nuits, la personne détentrice
du caillou lance à la cantonade: j'ai un caillou dans mon soulier...
en guise de bonsoir pour moi. Voilà,
moi c'est JiM, j'entends des bonjours qu'on ne me dit pas, je comprends
les bonsoirs de Petit Poucet, je suis comme ça, si c'est pas toujours
clair, faut pas m'en vouloir, ça fait pas si longtemps que je suis
descendu de ma montagne. JiM,
22 janvier 07
merci
à Matthieu et chrystelyne
Victor mains de bois.
-Je vais vous dire la mémoire, si la montée n'est pas trop noire, si les mots ne vous font pas peur, même porteurs de douleurs. Si vous voulez bien monter avec moi, étape par étape je vous conterai la vie du vieux Victor. Victor mains de bois, on m'appelle au village. Parler en marchant, c'est plus de mon souffle, plus de mon âge, quand on va vers le siècle, aussi, si vous le voulez bien, s'arrêtera t-on en chemin, pour écouter cette histoire.
Ainsi parlait Victor, presque centenaire, courbé sur son banc, la main gauche appuyée sur une longue canne très ouvragée. Le petit groupe de promeneurs qui commençait la balade le connaissaient bien. Souvent il leur parlait un instant, mais ce jour là il semblait vouloir les suivre.
-C'est pas raisonnable Victor, on en a pour quatre heures, ça monte rude... essayait d'argumenter une des randonneuse, puis ton histoire on la connaît!
-Je veux monter, une dernière fois, tant que je m'en sens encore la force, je sens que quelque chose dans la forêt m'appelle, aujourd'hui. Quelque chose dans le vent et la bruine me porte au souvenir. Si vous avez peur que je retarde votre marche, j'irais seul, tant pis, et je parlerai à mes arbres. Ils furent souvent plus chaleureux avec moi que les humains.
Une fois assuré qu'il serait de la montée, Victor se leva, tendit sa longue main droite noueuse vers la trouée, la gauche toujours appuyée sur sa canne. Et il se remit à parler comme un livre, de cette voix profonde qu'il n'avait que lorsqu'il racontait, et qui semblait venir d'au delà de lui.
-Le panorama est dégagé en face du banc. Vous souriez, étonnés qu'au travers du brouillard je puisse voir! Ma mémoire est ma vue, à l'âge où je suis rendu. Alors pour vous, amis, je peux peindre sur la brouillasse un paysage de rêve. Je peux vous dire les deux lacs, le bleu et le noir, en face, et la montagne derrière. Mais je ne vous dirai rien du temple de l'argent. Pour le bonheur de mes souvenirs, ma vue s'est éteinte avant, et je ne sais nullement à quoi il ressemble.
Tous les jours je monte là. C'est le plus loin que je puisse aller seul maintenant. Quand je ne pourrai plus monter, je sais que ma vie prendra fin. Chaque jour je m'assois là, j'écoute passer. Il y a les chasseurs, motorisés maintenant. Avant je saluais chacun, je les accompagnais quelques temps. Maintenant ils m'asphyxient au passage, et ne me voient même plus, je crois. Parfois arrivent péniblement quelques vieux, moins que moi, sortant de la forteresse, surtout aux jours de visite quand la famille bienveillante se met en tête d'aérer mamie, avant de repartir vers la ville et l'oubli.
Victor se mit en marche, et en silence nous l'avons suivi. Nous veillions, attentifs à ses pas, mais il connaissait les lieux mieux que nous, et s'aidait de sa canne pour les obstacles ponctuels. Parfois il s'arrêtait, humait le vent, reprenait son souffle, ou caressait le tronc d'un arbre et repartait sans rien dire. Nous progressions à son rythme, étrange procession.
Arrivé au champs il s'arrêta. - Ce champ était à moi. J'ai du le vendre. Regardez comme il est beau, ces teintes douces de verts et de jaunes, malgré le brouillard. Là bas, dans le coin, je sais que les chasseurs qui l'ont acheté font pousser du maïs, pour attirer les bêtes, et ça marche, je suis sûre que vous verrez des traces au sol. La ruine de la bergerie est là. Parfois je rêve, j'imagine qu’une famille vient vivre là, avec des parents, des grands-parents, et des enfants qui jouent au ballon dans le pré. Mais qui voudrait vivre ainsi, sans électricité? Moi j'ai pas eu d'enfant, quand j'ai vu ce que les hommes faisaient subir à la terre et à leurs frères -j'ai vu toutes les guerres de ce siècle- j'ai pas voulu de rejetons.
Victor se tut, ses doigts fins suivirent les tracés gravés sur sa canne, comme on égrènerait un chapelet. Il semblait perdu dans une étrange prière. Puis, sans prévenir il s'écria: -Bon, on y va, faut toujours aller de l'avant! Faut avancer, on peut pas reculer. Même quand devant nous est la frontière, qu'on doit la franchir sans espoir d’autre vie, avec la peur, et les regrets de ce qu'on laisse... pas le choix, avancer.
Comprenant trop bien de quel cheminement il parlait, nous l'avons suivi, silencieux.
Peu de temps avant le grand hêtre, il allongea le pas. Nous le laissâmes nous distancer. Peut être voulait il nous prouver qu'il était encore le plus vaillant? Lorsque nous sommes arrivés, il était collé au tronc de l'arbre majestueux qu'il étreignait. Il le caressait comme on caresserait le buste d'une femme, sa joue collée à l'écorce. Mais quand il nous entendit venir, il recula d'un pas, se campa fièrement près de l'arbre, une main sur le tronc, l'autre sur sa canne, hiératique. Un oeil attentif aurait vu la larme discrète qui suivait les chemins de rides de son visage buriné. Il se remit à parler:
-La première fois que je suis venu ici, c'était avec mon grand-père. C'était un homme doux et chaleureux, il passait des heures à m'apprendre la forêt, à me dire les noms des plantes, à m'enseigner les moeurs des animaux... La première fois qu'il m'a emmené en forêt, j’étais tout gosse, je tenais à peine sur mes jeunes jambes, il a fait les présentations:
-tu vois, m'a t il dit, cet arbre c’est un hêtre, ça, tout le monde peut le savoir, mais moi je vais te dire son petit nom. C'est le Hêtre de Mireille. Pourquoi il s'appelle comme ça? Même moi je ne le sais pas vraiment, il court diverses légendes. Peut-être une femme du village, qui l'aimait particulièrement, et qui venait méditer au pied de son feuillage accueillant. Ou alors... va savoir, peut-être une jeunette qui donnait là rendez-vous à son galant?
-L'arbre, je te présente Victor, avait dit le grand-père. Et de ce jour Victor s'était senti appartenir à une famille.
-Quand j'étais môme, continua Victor, je venais souvent là, la nuit, et j'attendais Mireille perché dans les branches du hêtre. Des nuits j'ai passées là, accroché, luttant contre le sommeil. Ma grand-mère croyait aux fées, moi j'attendais ma fée Mireille. À l'âge où les jeunes courent les bals, je venais encore ici, espérer ma princesse...
Regardez comme je fais corps avec, s'anima soudain le vieillard, en moi circule sa sève! Cette canne, c'est une de ses branches, il m'en fit don, un jour, pour soutenir mes derniers pas, du tronc à la canne, son énergie me traverse. En avant!!
Mais le plus dur attendait Victor, et ses jambes n'avaient plus l'enthousiasme de ses mots. Pour monter ce raidillon nous avons du le soutenir. Loin d'en être humilié il nous dit avec un sourire coquin:
-c'est agréable à mon âge, de pouvoir encore marcher au bras d'une femme!
Aux passages difficiles, ses mains s'agrippaient aux nôtres, et nous pouvions sentir leur texture végétale, mais aussi leur douce chaleur.
Forêt domaniale de Luscan, lui ne vit pas le panneau mais reconnut l'endroit. De ces bois il connaissait chaque souche, chaque recoin. La forêt, il l’avait vue dans tous ses états, été comme hiver, sous la pluie ou la tempête. Ses vieux doigts savaient toutes les écorces, toutes les ronces. Il se figea, se tourna en direction du village, en contrebas.
-Si j'ai attendu en vain la fée de la forêt, je ne suis pas resté sans aimer.
Un jour où l'autre, on perd un amour, un frère, une mère, un compagnon de toujours,
Quand on y pense, on s'y prépare, parfois, ça donne franchement le cafard.
Se réveillent alors un matin, d'un seul coup tous nos chagrins
Tous ces petits deuils du quotidien où notre amour a fleuri pour rien.
Ce sentiment maintenant jeté au vent, plus rien jamais ne nous le ramènera.
Quand enfin tu prends conscience de ça, tu acceptes tous les cadeaux de la vie,
Sans chercher si tu les mérites ou pas...
Tout en disant ces mots dont on ignorait s'il en était l'auteur ou s'il les avait appris par coeur, il laissait ses mains parcourir les broussailles, il y choisit une ronce rouge, éclatante tâche de couleur sous le crachin, en cueillit une branche de trois feuilles, sans paraître se piquer, et se remit en chemin.
C'est au refuge, autour d'un feu de braises laissé par les chasseurs, qu'il nous conta le secret de ses mains de bois.
-Vous croyez connaître tout de mon histoire, vous pensez que je ne suis qu'un vieux radoteur qui abuse de votre gentillesse pour ne pas se balader seul. Ce que je vais vous raconter maintenant, personne ne le sait, vous seuls en aurez la mémoire.
C'était à la moitié de ma vie. Depuis longtemps déjà, j'étais connu pour mon talent de sculpteur. Je faisais des sabots, des boites, toutes sortes d'objets, des statuettes aussi. Je me promenais souvent à la recherche de branches, de morceaux à tailler, et parfois même je restais à travailler dans le bois. J'étais ici même, à la croisée des trois forêts, assis sur un tronc couché, occupé à tailler la branche qui deviendrait cette canne. Je savais qu'un jour j'en aurai besoin pour soutenir mes pas, mais j'ignorais qu'elle servirait aussi à remplacer mon regard. J'ai bien fait d'y graver mes souvenirs, mes espoirs, je les parcours de mes doigts, dans les moments de doutes, de désarrois.
Alors j’étais là, quand est venu Gustave, Gustave le jeune, de Sauveterre. Il m'accusait de retrouver sa soeur au refuge, de la déshonorer. L'était armé de son fusil de chasse, menaçant. J'ai dit non, ta soeur je l’ai pas touchée. Il ne voulait pas me croire, mais il avait peur quand même, c'était pas un homme capable de tuer. Il a posé son fusil, s'est approché, j'ai pas bougé. Il m'a juste bousculé, m'a poussé à l'épaule, mais dans ma chute je me suis taillé le pouce avec mon couteau, que je n'avais pas lâché. Mon sang a coulé d'une profonde entaille. Ensuite est resté un sillon dans mon pouce, une cicatrice, et je pense que c'est à force de tenir mon poing crispé sur ma canne que mon sang et la sève se sont mêlés. Toujours est il que de ce jour mes mains se sont lentement transformées. Au fil des années elles se sont affinées, allongées, sont devenues sèches et dures. Parfois, au printemps, un bourgeon pointe sur mes doigts, mais jamais il n'éclate et aucune autre branche n'a jamais poussé, heureusement.
Ça m'a fait drôle au début, j'ai vu des médecins. Rhumatismes, tu parles! Et pour ma peau dure comme écorce et crevassée, le dermato a aussi trouvé un mot, que j'ai oublié. Des mots, mais pas de remède, et ça se veut science ! Puis je me suis habitué, quand on ne peut rien y faire, faut faire avec. Près de cinquante ans que je vis avec ces mains là, je ne me rappelle même plus de mes mains d'avant.
Devant la cheminée rougeoyante il étendit ses mains, à distance du feu pourtant. Nous nous interrogions tous, s'enflammeraient elles comme sarment trop sec, s’il s’en approchait trop? Elles étaient noueuses comme un vieux cep de vigne, torturées comme un bonzaï, mais pourtant encore agiles.
-Je vous le dis maintenant, que je vous tiens tous témoins et au chaud, continua Victor: mon dernier souffle venu, je ne veux point de vos cimetières, je veux reposer là, sans boite, à même la terre, prendre enfin racine en ce lieu riche de tant d'histoires, et qu'enfin mes mains puissent laisser leurs bourgeons croître.
Et Victor s'était assoupi, les mains sur les genoux, le menton sur la poitrine, face au feu.
Nous étions en train d'organiser le retour: un groupe resterait avec lui, qu'il ne soit pas seul à son réveil, un autre irait rapidement chercher un véhicule tout terrain pour redescendre Victor; quand il releva la tête et s'écria:
- Allez, en route, il ne faut pas que la nuit nous surprenne ici!
La descente fut rapide, bien que retardée par quelques chutes dans la boue des chemins, rendus glissants par le passage des véhicules tout terrain. Seul Victor ne tomba pas, son pas déjà tenait à la terre.
Arrivé au banc, il voulut s'y asseoir. Le brouillard étant tombé en pluie, la vue était maintenant dégagée sur la vallée, mais nous ne lui en avons rien dit.
-Allez-y, nous dit-il, rentrez, je vous ai donné ma mémoire et celle de ces lieux, maintenant je veux seul, profiter jusqu'au dernier des instants de ce jour...
Claire, 23 janvier 2007
mercis: à Mireille pour les décors, à Lucille et Gwenaël pour l'étoffe du vieux Victor.
Descendre sous la lune.
Elle avait raison, elle qui menait la marche, de dire que les plus difficiles c'étaient les premiers pas. Partis à la lune naissante, l'avancée fut éprouvante jusqu'au premier croissant, au point que nombres d'entre nous regrettaient de s'être laissés embarquer dans une telle aventure, doutant de leur capacité à la mener à bien. Elle a alors dit: chacun à son rythme, personne ne peut juger de l'effort du voisin, ni du sens qu'il y met. Plus paraît lointain le but, plus il faut faire d'étapes. Et le groupe s'est morcelé en différents chemins de vie, de pensées. Certains ont suivi la voie de l'eau, source de toute vie; d'autres ont foncés direct vers les sommets, bâton en main, tant pis s'il leur fallait être plus souples sur l'écologie du quotidien; d'autres enfin, prirent les chemins buissoniers, allèrent au pas des jours, prirent le temps de cuire leur pain, de tisser leurs étoffes. Tous le savaient, marchaient vers le même horizon, toute vie tendue vers l'harmonie, vers le rouge du levant.
Après le premier quartier, nous suivîmes la lune gibbeuse dans sa croissance, en montant la face nord. C'était dur à nouveau. Certains citaient l'Evangile aux chemins semés de ronces qui mènent au paradis... Notre guide alors s'arrêta et nous demanda: pourquoi à votre avis cette ascension est elle si rude? Pesanteur, boue du chemin, tout fut invoqué, quant il s'agissait plutôt de s'alléger. Perdre l'avoir pour mieux se retrouver, de tout se délaisser. Ne même plus « avoir » d'amis, mais seulement « être » soi même ami fiable, un compagnon fidèle de l'instant.
À la lune pleine nous étions au sommet. Nos regards usés d'avoir fixés les talons du marcheur précédent, nous avions progressés tous ensembles, côtes à côtes portés par le groupe, mais sans jamais nous poser la question de l'itinéraire. Elle nous dit: pour redescendre, sur la face sud, d'avoir enfin tout laissé, chacun devra inventer son chemin. Chemins de vie, de pensées, chemins entrevus, espérés, pas à pas, difficile équilibre entre possibles et rêvés.
À chaque pas la conscience des routes transverses, à chaque choix l'abandon consentant. Riches de chacun, des mots des rencontres, de toutes ces pistes en pensées explorées, dans des débats imaginées, savoir enfin défricher son propre passage, se tailler sa propre voie sur la terre. La lune descendante nous aidera à freiner nos appétits, à apprivoiser le froid et les duretés du chemin. Toujours la descente est souffrance, mais nos regards fixent l'étoile incertaine au bout du voyage. C'est le moment de soigner nos racines, de puiser en nous les forces les plus profondes, les plus sincères aussi.
À l'heure qu'il est nous sommes toujours en marche, en recherche, en tâtonnements. Nous nous sommes donnés rendez-vous aux lunes prochaines, pour partager dans la lumière cendrée les espoirs nés des premiers pas de l'humanité.
Claire, 23 mars 2007
Mon cher Anselme,
je t'écris car depuis des mois tu m'ignores, tu ne me vois pas. Moi je suis là, près de toi, je te regarde vivre, j'ai envie de te parler, mais lorsqu'enfin j'ose, tu ne m'entends pas, trop absorbé par tes rêves alcoolisés.
Je voudrais te dire mon Anselme, que je rêve encore en te voyant passer dans ma rue, sur le chemin entre ta maison et le café. Je suis là, à ma fenêtre, je rêve. Je m'imagine marcher près de toi, à ton bras, non, nous ne nous donnerions pas la main, laissons ça aux amours débutants. Mon bras soutiendra ton pas, ou s'il le faut vraiment, tu appuieras le tien sur mes épaules, et je te tiendrai par la taille, pour t'aider à marcher, mais pas uniquement. Nous passerions devant le café, sans nous y arrêter, vers les champs.
Comment te dire que j'ai besoin de ta tendresse, de ta douceur, que je rêve de ton épaule pour y cacher mes chagrins, de la caresse de ta main sur ma joue. J'ai besoin de ton inlassable écoute, de tes conseils, de ta sagesse de vie, moi qui réagit encore trop promptement aux mauvais coups du destin.
Qu'est ce que l'âge Anselme? J'aime à penser que si l'on savait la date de la fin du voyage, nous compterions à rebours le temps qu'il nous reste. À ce compte là peut être suis je plus âgée que toi. Je me sens vieille de tant de coups reçus. Regarde mes mains, on dit que mieux que toute autre partie du corps elle trahissent l'âge. Regarde-les, ridées, rougies, gercées, de lutter pour le quotidien, elles disent l'usure de ma vie.
Si tu m'ouvrais à nouveau la porte de ta vie, je viendrai discrètement, non, promis, je ne bouleverserais rien. Je viendrais comme on rend visite à un vieil ami, pour lui, pour lui passer le temps. Je tairais un temps le bonheur de t'écouter, de te regarder, de puiser à ton calme les forces de ma vie, d'oublier tout et ma solitude un instant; pour ne pas te gêner.
Puis peut être, un jour, lors de quelques pas dans le jardin, nos lèvres se rejoindraient, nos doigts se croiseraient... l'amour et la tendresse n'ont pas d'âge Anselme.
Claire, 24 mars 07
C'est ça qui m'a sauvé: le jour où il m'a dit: t' imagines un orchestre de jazz sans trompette? Le jour où ma Thérèse est tombée pour toujours.
Solo de batterie
Cognent mon coeur et mes pas sur les routes. Reste pas comme ça, sors, va marcher, me disaient les copains. Alors je marchais, là où mes pas me portaient: vers les bords tumultueux de la Garonne, vers le pont de l'autoroute, vers le passage à niveau non protégé.... Je marchais, jusqu'à graver dans la plante de mes pieds la géographie de la liberté. Liberté de rejoindre mon aimée dans sa chute.
C'est ça qui m'a sauvé. J'avais loupé le train, j'étais encore à cents mètres du passage à niveau quand il est passé. J'ai fixé les rails un temps, puis pourquoi attendre un train quand on n'attends plus personne? Alors j'ai entendu ses mots résonner: t'imagines pas un orchestre sans trompette... J'ai rebroussé chemin. J'étais à nouveau trop loin quand le suivant est passé.
Au début je ne voulais plus rien faire, même plus toucher à ma trompette, et surtout pas un concert. Tu peux pas nous laisser tomber... et me voilà sur scène, avec eux, entouré.
Solo de clarinette
Chuinte clarinette, mon angoisse d'être seul, ma peur de pleurer. Si tu te soucis des spectateurs, c'est que tu vas mieux, c'est vrai, j'ai les yeux tristes, je ne souris pas, mais jamais une crise de larme ne m'a assailli sur scène, tandis que dans la vie...
Solo de banjo.
De la musique festive!! Clame l'animateur en insistant bien sur le i de l'adjectif. Et remontent à ma mémoire tous les désespoirs cachés dans cette musique, cette fête qui n'était rien d'autre qu'un combat contre l'adversité. T'es pas seul à souffrir, mon gars , ça console pas, mais au moins j'ai la preuve qu'on survit au malheur, que d'autres s'en sont sortis.
Solo de trombone.
Un sourire me vient à l'image des premiers orchestres qui sillonnaient sur des chariots la Nouvelle Orléans, et sur lesquels le tromboniste se trouvait à l'étroit! Mais ma vie me rattrape quand je pense aussi que les orchestres de jazz accompagnaient les enterrements. Ma gorge se serre, c'est bientôt à moi, où vais-je trouver le souffle suffisant?
Solo de trompette.
C'est mon tour. Excusez-moi les copains si mon solo est triste, j'y ai mis tout le désespoir de mes tripes, pleure ma trompette, pleure qui devrait hurler de joie. Je vois vos regards, vos yeux s'embuer, c'est là que j'ai compris...
Solo de saxo.
... c'est ça qui m'a sauvé, non, du jazz sans trompette, je ne pouvais pas l'imaginer...
Claire, 19 mai 07 St Gaudens et Estancarbon, à RJB, et P.P.
Chaperon rouge s'en vint, seule par
les champs. Marchant sans appétit, elle allait grignotant, une fraise
par-ci, une noisette par-là. Vite rassasiée, manger quelle perte de temps!
Et lorsque l'on va seule, quel ennuyeux moment! Toujours mieux à faire,
même rien, nez au vent. Chaperon rouge jadis, sans l'avoir
reconnu, l'avait bien salué et ils avaient ensemble les bois parcourrus.
Sans sa réputation ni aucun préjugé, elle l'avait écouté, apprécié, puis
aimé.
Il est parti dans la lumière au moment où on ne s'y attendait pas dans la violence d'un éclair sans crier, sans avoir mal, je crois
Il est parti en pleine force avant que ne se détraque son cœur à moins qu'ayant lâché avant le moteur il ne soit la cause de ce choc féroce?
Il est parti dans la chaleur de son sang qui bouillonnait dans mes bras son brusque coup d'accélérateur lui évitera plus long et difficile trépas
Il est parti dans la beauté d'une histoire qui ne finira pas son beau corps à peine ridé des points de suspension à mes pas...
Claire, 21 juillet 07
-C'est ce chemin là, me dit le vieux Victor, en me montrant un ingrat sentier caillouteux. On l' appelle le chemin des larmes, parce qu'il en a tiré des pleurs aux marcheurs et des larmes de sueur. Tu le suis, jusque là, m'indique-t' il en montrant un point sur la carte, et là: la liberté. -Pas tout à fait! Ce n'est que la moitié du trajet? La frontière est bien plus loin! Etonné, je conteste. -Tu verras quand tu seras là... Allez, ouste, si c'est ce que tu veux, va!
En me mettant en route, d'énergiques pensées soutiennent mon allure, rien que la fuite est un bonheur, celui de mettre le plus de distance possible entre ma vie et moi. Et là bas, tout reconstruire. Je n'ai d'énergie que dans l' exaltation de la nouveauté! J'ai toujours été un voyageur, un baroudeur, cherchant désespérément l'endroit idéal pour m'enraciner, mais dès que quelque chose, ou quelqu'un me décevait, je reprenais la route, en quête d'un meilleur ailleurs. J'avais décidé de me poser, content d'avoir échoué là, définitivement. Devant moi, pour m'arrêter, me caler, il y avait les montagnes. Enfin, je pouvais prendre racine, me reposer.
Puis à nouveau j'ai accumulé les erreurs et les revers, il m'a semblé qu'ici non plus je ne pouvais plus ni avancer, ni changer. Je me suis senti à nouveau coincé. Alors j'ai encore pensé à la fuite, encore une fois rebâtir, reconstruire, encore une fois l'espoir d'un nouveau départ. -Mais tu penses toujours au départ, jamais à l'arrivée? m 'avait demandé Victor quand je lui en avais parlé. -L'arrivée? Non! Qu'elle drôle d'idée! On la connait trop l'arrivée, la même pour tous...
Le vieux Victor ... depuis longtemps on l'appelle el VV et Victor traverse les âges et la vie, comme il passe les montagnes. Vieux fou qui refuse le progrès pour les uns, sage qui vit de l'essentiel pour les autres, en tout cas rêveur du quotidien, il est la mémoire des monts et des vallées. Premier à m'avoir accueilli dans cette contrée, il va me manquer.
Les pas se succèdent et petit à petit la fatigue m'atteint. Je regarde la pente devant moi, elle devient de plus en plus raide. Il va falloir monter tout ça? Je m'inquiète car le sentier s'efface dans un fouilli de coupe mal entretenue et de rochers affleurants. Je n'ai pas voulu dire au revoir. Je veux disparaître, sans laisser de traces, qu'on ne puisse ni me suivre, ni me retrouver. Ne laisser aucun souvenir. Alors je n'ai prévenu personne de mon départ, excepté Victor. Mais voilà, je ne veux pas non plus périr dans la nuit du maquis, pour rien, sans raison. Non! L'arrivée n'est pas encore là, ce n'est pas ici le point sur la carte qu' el VV m'a montré! Courage, je dois encore marcher. Je n'ai plus le loisir de penser, je regarde mon pied et l'emplacement du suivant, uniquement, chaque pas est un défi contre la chute, le coeur affolé et le souffle perdu. Pourtant il faut continuer, et là haut, le sommet. Heureusement mon bagage n'est pas lourd, je n'ai jamais aimé m'entourer d'objets, j'ai peur qu'ils m'étouffent. Dans un espace restreint, la place que prend un objet, c'est autant d'air en moins. Alors mon sac est léger.
Enfin j'approche du sommet. À mesure que je monte, les pics de montagnes voisines émergent de la prairie comme des navires à l'horizon. Puis je me retourne: je ne m'attendais pas à ça! Victor avait raison, la liberté!! un point de vue à 360°!!
En bas, la plaine d'où je viens, que j'ai quitté au prix d'une éprouvante lutte contre la pesanteur. Je regarde, j'y vois tant de lieux connus: les décors de théâtre où je joue ma vie. Je cherche à localiser mes bons souvenirs, et de hau qu'ils semblent petits les soucis! En voyant cette plaine ouverte vers l'infini, j'ai soudain l'impression qu'il pourrait y avoir là une petite place pour moi, que je suis loin d' avoir tout exploré, d'avoir envisagé toutes les possibilités. Doucement je sens grandir en moi l'envie de persévérer dans une voie, le désir d'aller jusqu'au bout et la peur du regret de l'inaccompli. Loin de tous les regards, le vent des hauteurs sèche mes larmes à mesure qu'elles coulent, sans retenue ni pudeur.
Au sud, la chaîne majestueuse, somptueuse, par endroits encore immaculée de glaciers. Elle me dit ma propre petitesse, le dérisoire de mes entreprises humaines face à cette masse de rocs. La traverser est-ce vraiment rejoindre la liberté? Suis-je sûr de mon pas? N' inventerai-je pas d'autres chaînes qui me feront à nouveau souffrir? Qu'il me faudra encore fuir? Pourquoi ne pas redescendre pour faire grandir ma vie là où elle avait enfin commencé à germer?
Le temps est venu de choisir le chemin qui portera mes pas vers l'arrivée.
La descente est plus rapide. À mon entrée au village, Vieux Victor m'attend. Il me sourit et dit seulement: -Tu vois ce chemin je le connais très bien, je l'ai moi même tant de fois parcouru, et jusqu'à présent, autant de retours que d'allers!! Viens trinquer un coup, tu en as bien besoin!!
C'était un soir d'été, nous étions sortis, le Vieux Victor et moi, pour une dernière promenade avant que ne se couche son soleil. Je n'étais plus enfant depuis bien longtemps, mais la beauté de la lumière m'avait donné envie de glisser ma main dans la sienne et de lui dire, comme avant:
« - Grand-père, raconte moi une histoire comme les autrefois. »
C'est par ces mots, il y a presque cinquante ans de cela, que je lui demandais de me lire un conte à la lumière de la lampe à pétrole pour calmer ma peur de la nuit naissante. Voici ce que Victor me répondit ce soir là, lors de ce qui fut sa dernière balade sur cette terre:
« - J'ai longtemps attendu une main secourable, même aux temps où le chemin était bien droit, prévisible, facile et qu'il semblait tracé comme des rails jusqu'à l'horizon. Je rêvais d'une présence pour guider mes pas, apaiser mon angoisse et me donner un peu de tendresse.
L'âge et l'altitude venant, lorsque le sentier se mit à flirter avec l'abîme, vinrent par moment les secours de mains amicales, réconfortantes, qui m'empêchèrent de sombrer. Pourtant je mettais mon poing d'honneur à m'agripper le plus possible tout seul à la paroi rocheuse.
Puis ce fut temps de tourments dont j'ignorais la fin, des étapes aux bifurcations inconnues, du brouillard dans lequel je naviguais à vue, proche du précipice. Et la prise de conscience douloureuse que maintenant mes pas n'iraient plus forcément vers une amélioration. J’étais à mi-parcours, il me fallait accepter que les lendemains ne soient plus toujours chantants, ne serait-ce qu'en raison de la fatigue de mon corps. Mais j' espérais toujours la complice qui saurait partager ma vie, même moins riante qu'avant.
C'est à la croisée des chemins, un jour, que j'ai compris que toute route finissant pouvait mener à une autre, et que la solitude était un choix possible. Alors j'ai fini par l'accepter, par l'apprivoiser cette silencieuse compagne. À y regarder de plus près, elle n'avait pas que des défauts, la liberté était même sa plus grande qualité!
Bien longtemps après, en me retournant sur mes pas, j'ai découvert que de grandes portions des chemins que j'avais empruntés avaient été étayées, empierrées, fruit d’un travail collectif. Puis ces voies communes avaient ensuite été entretenues, dans la volonté, la détermination de permettre à chacun de pouvoir avancer.
J'ai enfin su que je n'avais jamais été seul un instant. Comme ce soir, tu vois, où en plus de ta présence je ressens celle de tous ceux qui de près ou de loin ont croisé mes chemins.
Dis moi, ajouta Victor en dégageant sa main de la mienne et en me poussant légèrement vers l'avant, pourrais-tu me rendre un service? J'aimerais que tu ailles au petit bois là bas, me cueillir quelques fleurs d'ancolies. Je suis fatigué ce soir, je n'ai plus la force d'aller jusque là, je rentre, mais toi va... »
Claire Lacroix, 26 juillet 07
Nous étions partis tard. Deux duos qui fuyaient leurs solitudes sur les chemins, chacun à sa façon, chacun a ses raisons. Deux hommes, deux femmes.
Leur seul passé commun: la montée des lacs. Un passé d'à peine deux heures, mais deux heures de caillasses et de sueur.
À partir de ce pas, permettez que nous allions plus loin, sur des sentiers imaginaires, en sont-ils pour autant moins vrais?
Ils partagent un apéro de noisettes et quelques mots au sommet, se penchent sur la carte et sur leurs rêves d'évasions, de défis à leur corps, à la nature et au destin. « Ce serait dommage que vous redescendiez, vous deux femmes, nous deux hommes, on pourrait faire un bout de chemin ensemble. » Il présente son copain, qui rêve de faire des sommets à 3000 mètres, il l'accompagne, pour qu'il ne le fasse pas seul. Au repas s'échangent les vies, mais aussi les rêves et les aspirations. Au dessert, tentative de répartition.
Elles descendent alors jusqu'au Saussat, demi heure sous la lune, le sentier dallé brille et les guide où leurs pensées et leurs goûts se rejoignent. « Et si on tirait au sort? » « Non, répond l'autre, moins sûre d'elle: je garde le bavard, puisqu'il te plait moins, car moi je n'ai que l'intention de bavarder. »
Deux fois deux solitaires deviennent deux couples. Quelles sont leurs libertés? Qu'est ce qui les retient?
Un amour dans la vallée, à qui pourtant on n'a rien voulu promettre, mais la sincérité, la peur de faire souffrir, et le besoin d'être honnête. L'incertitude aussi, de l'issue de ce genre d'aventure. Chacun se dit libre, oui, mais libre de quoi? De changer, d'abandonner? Si l'on ne veut pas courir le risque d'une liberté qui rimerait avec rupture, si la sincérité est une valeur de l'amour, et qu'un secret ferait douleur, comment oser ce pas de coté, cette digression pourtant sans conséquence?
Qu'est ce qui fait qu'on se donne? La solitude au long cours et la morsure du manque. L'espoir d'un nouveau départ. L'inconscience des risques physiques. Un besoin vital de tendresse, et se rassurer qu'on plait encore. Une plus grande liberté d'esprit, l'acceptation du nécessaire secret. Un pas de danse, sans lendemain, des corps qui s'enlacent et ne parlent qu'à l'instant.
Au matin le soleil illumine les lacs. Quatre voix s'élèvent: « et si nous allions plus loin. »
Plus loin... un homme, une femme, main dans la main, yeux dans les yeux, se dirigent à pas lent vers le lac qui reflète leurs rêves de tendresse et de vie.
Plus loin... le regard de l'amoureux des sommets se rapproche des nuages. Non, il n'ira pas sans comparse, une femme veillera sur ses pas, et uniquement sur eux, puis chacun rejoindra dans sa vallée, sans regret, un amour à respecter.
Claire, 1er septembre 2007 lacs d'Ôo, Espingo, Saussat à Cathy et H.
Comment j'ai fait pour en arriver là?
J'ai du glisser et tomber. Sans doute une feuille d'automne mouillée sur un chemin dallé, je ne vois que ça. Je suis à terre, à terre atterrée et enterrée. Car si le chemin lui, était dur, la terre à ses bords est meuble et je m'y enfonce. C'est agréable presque. Rassurant en tout cas: je ne tomberai pas plus bas.
Que tu crois!
Quelle est cette force qui t'aspire, t'attire au plus profond, engloutit tes jambes, ton tronc? Les bras tu peux les lever, la tête une fois recouverte, il n'y a plus qu'eux qui dépassent. Alors tu ne peux plus rien pour toi. Seuls les autres peuvent, s'ils veulent, et s'ils voient tes deux mains sortir de terre comme plante insolite.
L'un passe, se penche, regard étonné pour cette espèce inconnue. Connais pas, touche pas. Toi dessous, dans l'oubli de toi et du monde tu sombres.
Un autre, plus curieux, intrigué par l'apparente douceur de cette étrange fleur entreprend de tester ce qu'il voit et caresse tes mains, puis continue son chemin. Toi dessous, d'espoir tu frémis.
Un troisième, secouriste dans l'âme, tente de tirer sur tes bras. Mais comme avec ses pieds il appuie sur ta tête, et tire que je tire.... jamais il ne t'extirpera! Toi dessous, de douleur tu gémis.
Un dernier vient à passer sur ce chemin somme toute très fréquenté. Il se penche, observe, caresse, tire et cesse dès que ça résiste, puis il réfléchit et à haute voix s'interroge, t'interroge. Toi dessous, de ton cœur le battement reprend.
"Pas de croisière au long cours sans passager clandestin", me dit une amie en contemplant l'eau d' un de ces chemins liquides qui sillonnent aussi la terre. Nous regardions passer péniches et bateaux de plaisanciers. Selon le chargement, les poids des années et la corrosion, la ligne de flottaison donnait le vertige ou menaçait de submersion. A l'écluse, les bateaux porte-conteneurs se succédaient. Mes pensées aussi allaient au fil de l'eau. J'avais entamé, il y a longtemps, une croisière avec un beau capitaine. Je me croyais partie pour la vie, allez-retours éternels sur les canaux du destin, comme ces amants enfin réunis, dans cent ans de solitude, à la fin. J'ignorais seulement que mon capitaine n'aimait pas les passagers clandestins. Pourtant ce sont les clandestins, et les clandestines, car moi je savais fermer les yeux, ou détourner le regard, qui réajustent la ligne de flottaison. Lorsque le bateau coule sous les ressentiments et les ras-le-bol, ou que le vent souffle trop fort sur l'embarcation devenue trop fragile, ce sont eux qui absorbent, écopent, étanchent, et sauvent le navire. Mais non, "seul maître à bord!", cria le capitaine en jetant l'intrus à l'eau. Il avait juste oublié que je lui étais liée aussi, et dans les flots je le suivis. Trop allégé, la coque hors de l'eau, notre bateau a chaviré. Depuis l'île secrète où j'ai échoué, je l'ai vu de loin couler. Claire, 23 sept 2007 écluse de Vaires sur Marne.
Depuis que la jeunesse désœuvrée du pays a réquisitionné ma voiture, les montagnes restent à portée de ma vue, mais plus de mes pas. Me restent à me créer des occasions de trajets utilitaires pour assouvir ma passion pour la marche. Mes promenades en forme de défis ressemblent à des horaires de bus:
-République/Ste Anne: 33 minutes
-République/Valentine: 45 minutes
Je me dis que je prépare l'après pétrole, quand les marchands de chaussures remplaceront ceux de voitures, quand les podologues succéderont aux pneumologues. Je cultive l'autonomie et me rassure en me prouvant qu'il m'est toujours possible de rendre visite à mes amis. Je sais déjà que 90 minutes de marche me rapprochent de Solange, et encore, en cherchant mon chemin et en allant doucement.
Aujourd'hui, but du voyage, rendre à Marie Paule ses casseroles. Elle me les a prêtées hier, pleines de mets délicieux, en échange de mon labeur. Car j'aime jouer les journaliers, je jardine chez les uns pour le bonheur de l'espace, du soleil, de l'effort et de quelques mots échangés. Je ne demande jamais rien mais accepte avec le sourire les cagettes de légumes et les invitations à déjeuner.
La matinée est déjà entamée lorsque je pars. Les saules découpent leurs branches fines et élégantes sur l'écran lumineux d'un brouillard ensoleillé. J'ai beau connaître le chemin, c'est inquiétant, je ne vois pas assez loin si un chien menaçant n' est pas tapi derrière un arbre. Mais ce n'est plus l'heure de la promenade des chiens, et c'est un vieillard qui émerge du brouillard, appuyé sur sa canne. Il porte un gilet de sécurité jaune et marche d'une façon mécanique. Sur la route qui longe la promenade, une voiture le suit, au pas. Au volant une femme fume. Qui est-elle? De sa famille, une aide ménagère? Pourquoi n'accompagne t'elle pas la marche du vieil homme? Ne pas lui faire peur, je le salue, bonjour Monsieur! Ses yeux restent vagues, il ne me répond pas.
Je rejoints la route, y croise une connaissance, surtout qu'elle ne se mette pas en tête de me prendre en stop, tout serait raté! Non, ouf, ça va, elle passe sans me voir. Le pont, l'eau qui bouillonne dessous, cette fois-ci ne me font pas peur, pas le temps pour le vertige. Heureuse de voir le fleuve, je me dis, comme chaque fois: je devrais venir le voir tous les jours. Je me rappelle mes premiers temps dans la ville, tous les jours je sortais et cherchais une rue d'où l'on pouvait voir les montagnes, tout à mon merveillement d'habiter si proche d'elles, j'avais besoin de les saluer chaque matin. J'entre dans le village, le boulevard bordé de chiens, heureusement enfermés, mais bruyants. Rien que leurs aboiements me font peur, et s'ils passent les barrières... Arrivée au but je surveille le temps, c'est bon, j'ai même du rab. J'accroche les casseroles au portail, fais demi-tour et reprends mon périple. Au retour ça monte, je choisi la route, le brouillard s'étant un peu levé, et par goût pour la montée. Elle est plus douce par le chemin creux. Je m'applique à ne pas ralentir le rythme, et je jubile en doublant un vélo... poussé par sa propriétaire, il faut quand même l'avouer. Surprise sur le boulevard des Pyrénées: il est maintenant très fréquenté, des marcheurs, des jogguers, des pépés et leurs chiens. Moi qui me croyais peu matinale, je suis fière de les croiser sur mon retour! Je me sens un peu ivre, l'univers commence à tanguer, mes lèvres et mes mains à fourmiller, ma vue à se troubler. Essayer de résister, ce bon sang d'organisme aurait pourtant dû comprendre que j'étais en plein effort et tenir en respect les hormones! Tant pis j'avance encore, je regarde le fossé en souriant, non je ne vais pas m'y allonger, y comater longuement. Cette pensée pourtant ne me déplait pas. Cette ivresse sans vin est agréable et m'aide à tout oublier, à ressentir l'instant avec acuité, à aller au bout de mes chemins de rêves, là où ma vie n'ose pas. Dans cet effort où se consume tout mon carburant, jusqu'à en être saoule, je passe l'énergie de mes espoirs inaboutis. Dans mes allers sans détours où mon cœur va plus loin que mes pas, « devine combien je t'aime », j'affirme à chaque enjambée: « jusqu'à la lune et retour ». *
Ça passe. Je respire, me concentre, j'avance foulant du pied la fatalité, je maîtrise ma vie, ses revers, ses petits malheurs sur moi n'ont plus de poids.
J'arrive en ville, je ralentis un peu. Ne pas être trop rouge, pas trop essoufflée, mais rester quand même plus rapide qu'un pas de shopping. Au carrefour, bloqué au feu, le père de mes voleurs, tout le monde se connaît. Je détourne le regard et souris aux pavés. Sans eux, je n'aurais pas eu ce bonheur, un jour où de toutes façons je n'avais pas le temps pour une randonnée, de retrouver mon chemin et de m'inventer la montagne à portée de mes pas.
-République/Avenue de Luchon aller-retour: 75 minutes
Demain je vais voir Mireille à 13 kilomètres...
Et un jour, bientôt, j'irai jusque chez toi... et retour... 18 février 2008 *Devine combien je t'aime, Auteur : Sam McBratney, Illustrations : Anita Jeram , A partir de : 3 ans
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