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Par la fenêtre, jeter les pensées.
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Dans
ma lecture de vos textes je cherche ma ville, celle qui me sera un
abri concret, comme l'atelier est celui de mes mots. Quand
je pense à la ville, une ville, je pense d'abord à la mienne bien sur.
J'ai envie de vous prendre
par la main et de vous mener par ses rues, pour partager avec vous ces
lieux qui m'ont fait rêver, écrire, exister: la
liberté
des marchés
des jeudis fériés,
que vous connaissez déjà;
ainsi que son église
et ses présences
mystérieuses;
le cimetière
et le chat passeur de mondes; le pressing
à
la vitrine peinte; le jardin, ses murs de doutes en ruine... Et entre
l'abattoir, la décharge
sauvage et la voie de garage, un lieu perdu où
enfin peut vivre, hors
de son regard hypocrite, tout
ce qui la dérange
et la menace. J'aime
les villes que traverse un fleuve, trachée non-bâtie par laquelle pénètre
l'air, conservé ensuite par les arbres de ces jardins qu'on dit être
leur poumons. J'aime
aussi qu'elles soient de taille humaine, que l'on puisse les traverser ou
en faire le tour à
pied, j'apprécie
l'idée
d'une possible échappée
hors des murs. Toujours je cherche à
apercevoir, au bout d'une rue, un morceau de montagne, l'amorce d'un
champs: une limite visuelle à
la ville. Mais
la ville ne s'offre à moi que morcelée, lieux juxtaposés, empruntés même
à d'autres villes qui m' habitent, pour y avoir vécu ou seulement rêvé.
Des petits bouts d'ailleurs: jardins de pierre japonais et son
pavillon de thé sans cloison; immeubles
de verres et d'acier; place
pacifiée survolée d'oiseaux criailleurs... ma ville reconstruite, crée
un puzzle imaginaire dans lequel j'évolue. Alors,
ces feuilles sur lesquelles
j'ai écrit ces instantanés, photos verbales, je les plie, les façonne en une multitude de petites briques origami, pour
construire la maquette de ma ville idéale. 6 mai 2006
C'est tout petit matin sur la ville. Camion du livreur de farine pour la pâtisserie d'en face. Oiseaux immobiles se découpent sur les nuages roses. Le soleil, encore derrière les toits, contre jour.
Debout, au garde-à-vous au dessus du caniveau, le bout des sandales dépassant
le bord du trottoir, elle attend. Premières voitures sur la route. Odeur de la première fournée à la boulangerie au coin. Le chant d'un coucou caché derrière une cheminée répond au clocher. Sur une corde, tendue entre les façades, semblent sécher, dérisoires,
les fanions du festival. Il fait doux. Un avion rouge raye le ciel. Sur quel fuseau vivent ses voyageurs? Est-il matin pour eux aussi? Le moteur du meunier gronde, il démarrera, dégagera la vue sur le bout
de la rue où elle attend. Elle attend. La voiture qui l'emmènera, vers une autre ville, une autre
aventure, une autre fête avec d'autres notes, une autre vie avec d'autres
lois. clic... samedi 27 mai 06, rue de la République, 7H00
Je l'ai vu au marché samedi: il n'y avait plus de cerises aux étals. Mais qu'est ce que tu espérais? Un amour panier de cerises? Non, ça, on ne peut le vivre qu'une fois dans sa vie, quand on est libre. Et ça ne dure qu'un temps, après vient la saison active et laborieuse, où les moissons occupent tous les instants, avant l'automne boueux des pluies de mauvais temps. Un amour panier de cerise, un seul, dans la vie. Après, il faut louer les cieux, tant la chance en est rare, s' il nous est donné de vivre un (des?), amour(s) cerise sur le gâteau. Grand plus qui change tout, illumine la vie, mais encore faut il... que gâteau il y ait !! Parce qu' une seule cerise au milieu du plat vide, ça ne nourrit pas une vie ! Alors je cesse d'attendre que sur l'arbre pousse une cerise hors saison, et je confectionne un bon gros gâteau, bien nourrissant, bien consistant, plein de l'utile farine des gestes du quotidien, je n'oublie pas , un peu de sucre quand même, quelques petits plaisirs courants . Combien de temps pour faire et cuire cette sorte de gâteau, au moins une centaine d' heures dit le livre de recettes, mais attention qu'au delà... il ne soit trop cuit ! 26 juillet 2004
Lui sait où il va. Vision
globale de l'oeuvre jusqu'à l'horizon de la coda, alors que les aigus se
perdent en prouesses de technique et de vitesse, en trilles d'éclairs de
passion, ou en envolées lyriques de tonnerre dévastateur, l 'ostinato,
humble et tenace, ligne de notes simples et répétitives, accompagne
attentif les improvisations des autres voix, mais il avance, en rondes et
en blanches, donne le pas, la cadence
dont dépend l'équilibre de cette musique qu'il ancre à la terre. Il vit
ainsi sa vie à deux voix, sur deux portées devenues chemins. Sans savoir
vraiment définir la tonalité de sa basse obstinée, il en sent pourtant
les effets. Il en savoure le calme, la mélancolique sérénité, dans
laquelle il se réfugie en ces moments trop durs où la ligne mélodique
heurte l'harmonie par ses imprévisibles épiphénomènes. Toujours il est
là, coulant en lui, même inaudible, sourde vibration, sentier de
confiance et de refuge, intense, son ostinato. une pensée pour Yves Heurté Claire, 18 décembre 2005
Thème13:
le temps On
l'avait toujours entendu dire, non pas:"J'ai pas eu le temps",
mais : "J'ai pas pris le temps".Il pensait que si l'on voulait,
on pouvait toujours en faire plus, en faisant plusieurs choses à la fois,
en s'organisant. Ses amis se demandaient quand et comment il craquerait. L'ennui, c'était le temps. Pas la privation de liberté. Non, il ne s'était jamais senti libre. Toujours des contraintes, ou des ordres auxquels obéir. Prisonnier, il l'avait toujours été: du bureau, du conseil d'administration, des actionnaires, des embouteillages... Pas la ruine non plus, il avait amassé tant d'argent sans jamais avoir le temps de le dépenser, d'en profiter. Non, l'ennui c'était le temps. Incarcéré pour détournement de fonds et pour longtemps, ce qui le faisait le plus souffrir, c'était tout ce temps, libre. à Gwenael. Claire, 19 avril 2006
Pourquoi
cette fatigue ce soir? Cette impression d'être aussi vidée qu'un citron
de la lointaine contrée de SarahJane? Mentalement
je repasse ma journée. Comme d'habitude, l'impression de n'avoir rien
fait que vivre. Pourquoi
vivre seulement est il si fatigant qu'il ne reste plus rien pour agir?
Pourtant,
la journée s'annonçait bien. Même
les signes du passé dans le miroir Florentin
m'avaient fait sourire. Puis des mots de Nature avaient sonné comme réveil
matin, et m'avaient donné le courage de mener à bien mon labeur
quotidien. Un
appel de mon éveilleur de mémoire, en cours de matinée, nous avions
reparlé de cette vie injuste qui ne laisse pas s'unir ceux qui pourtant
s'aiment tant, et qui maintient juxtaposés ceux qui ne se supportent plus
qu'à grand peine. Je lui avais dit le manque, le vide crée par son
absence, il m'avait dit: remplis.
En
fin de matinée, j'étais descendue chercher le courrier. Chouette! Une
lettre de Maryam! La joie en remontant l'escalier, la peine dès les
premiers mots lus. Tu
m'annonçais le décès de ta mère, 15 jours seulement après son retour
au pays, suite à un long exil, alors que rien ne laissait présager sa
mort. Tu me disais ta colère et ta douleur, quand ton passeport
te fut refusé, « mesure d'exception » -on ne se rend
pas en Irak en urgence- t'empêchant
d'aller à l'enterrement, de vivre en famille ton deuil. J'ai
eu de la peine pour toi, ta famille dispersée dans toute l'Europe,
disloquée par la guerre, par la connerie humaine, les enjeux politiques,
de pouvoir. Cette peine s'est muée en rage et me donne la force de me
battre toujours plus, de lutter encore et toujours, au delà de la
fatigue, contre ce monde
injuste. Puis
j'ai pensé à ta mère. Ta
mère qui peut être avait attendu intensément ce retour pour enfin, à
bout de souffrances, mourir chez elle,
sur sa terre. Ta mère pour qui ces 15 pauvres jours furent peut être
les plus beaux depuis des années, si beaux qu'ils valent plus que leur
poids de minutes? Ces
pensées m'apaisèrent. J'avais besoin, pour continuer à vivre,
de changer l'éclairage, de modifier l'angle de vue, d' apporter un
peu de douceur au monde, de peindre la vie aux couleurs de l'amour, de la
passion, de la déraison des sentiments
et des gestes forts. Ces pensées apaisèrent ma peine, mais n'enlevèrent
rien à ma colère contre ces riches, ces puissants, ces belliqueux qui
avaient fait votre malheur. Des
mots chrystallins m'atteignirent
à midi: aller chercher les enfants, dire un bonjour dé-circonstancié
aux passants, préparer le repas, alors que mes pas portaient des mots
tristes et rageurs. Les
enfants de retour à l'école, je suis rentrée écrire ces mots que me
demandait Maryam, me disant qu'ils lui faisaient du bien, et vite, courir
à la poste avant la levée. Et
ce soir, je veux vivre pour ces êtres qui éclairent ma vie même après
leur mort, je veux exister,
pour eux, par eux; vivre encore plus, moi qui ai la chance d'être encore
ici. Ce soir, malgré ma
fragilité, je me sens porteuse de toutes ces vies en moi. Alors oui,
remplir le vide de l'absence, mais pas uniquement d'activités militantes.
Pour toi Maryam, pour ta mère, pour tous ceux que j'ai aimé, même sans
les connaître, et qui m'ont laissée trop tôt -mais il est toujours trop
tôt- le remplir aussi de
pensées, de mots, de rêves, de sentiments. Ce
qui n'est pas moins fatigant. à
G.M.
à Marion L.
Pas le coeur à faire des bluettes, pas l'envie de
dire cette folie ordinaire qui m' habite. Mon estomac, secoué de larmes,
quel choix reste t-il? Ressortir mon épée, tranchante, la lame brillante
au soleil comme dans un conte celtique. Il fait toujours soleil pour ce
genre de scène, les éclairagistes n'ont aucune imagination. Et qu'en
faire? Me battre, encore et toujours, contre tout ce qui contrarie mes rêves,
contre tous ceux qui contre-carrent le
scénario! Ils sont là mes rêves, à terre. Et moi je suis
armé, je peux les protéger. Ils sont là, gisant, tas sans forme,
moribonds, souffrants d'agonie. Et ces gens qui se rapprochent, m'
encerclent maléfiques,
prononcent d'envoûtantes incantations! Des ennemis. Je peux!! Je peux... passer ma vie à me battre pour
mes rêves, et tuer tous ceux qui les menacent d'un brusque mouvement
circulaire du bras. Puis reprendre mon chemin, celui auquel m'a voué la
sorcière dans ma douzième année, mon Destin. Suivre mon étoile jusqu'à
l' Épinal, braqué sur la chute, l'arrivée. Toute une vie pour au
dernier soir pouvoir rendre compte, dire que j'ai réussi, sans défaillir,
sans digresser, que j'ai été
fidèle aux rêves qu'on m'avaient donnés à vivre... Fier de n'avoir pas
transgressé. Je peux... Je m'épuise, l'épée est lourde à
porter, de toutes façons, la vie ne sera jamais comme je veux, les rêves
jamais ne prendront corps, ils sont à terre, trop abîmés, trop usés,
et j'ai brisé ma baguette, je n'y crois plus, ne me reste que la force,
mon épée... Je peux... les ennemis se rapprochent... Je regarde
leurs yeux, certains sont mouillés, presqu' autant que les miens. S'échangent
nos regards brouillés, ma
vision se trouble, la scène se décompose, milliers de petits morceaux à
recoudre... J'ai le droit d'être triste, les yeux pleins d'eau,
une lettre en poche, la dernière, qui fini par ce mot: demain . Ce
demain qui comme toi n'est jamais venu, un ajournement de plus. J'ai le
droit d'être triste, calmement triste. Mais cette tristesse est concrète,
présente, est fait partie de la vie que j'ai choisie. Contre elle mon épée
ne peut rien. Les bras me pèsent... La scène se recompose, différente derrière mes
prismes salés, je peux voir la lumière s'adoucir, je peux... je peux
baisser l'épée, pointe au sol, plat devant moi, reposer mes bras las de
leurs colères muettes. Écouter leurs mots, faire pour une fois confiance
au dialoguiste, s' ils étaient d'amitié, et leur cercle réconfortant? Laisser mes rêves là, ceux qui m'entourent ne les
voient pas, ignorent ce que je défendais, pourquoi je m'agitais, menaçant
l'air de ma lame meurtrière. Les laisser mourir, oui, je les trahis, je
les renie, traître à mes rêves, je choisis la vie. Mes amis se rapprochent encore. L'un d'eux prend
doucement l'arme de mes mains, me serre dans ses bras, me murmure,
« ça va, ça va ». Il affirme, ne questionne pas. Je les regarde, étonné: l'assemblée, le décor.
Je ne demande pas pardon, mais seulement si je n'ai blessé personne,
la scénariste s'approche, me souris, indulgente: « avec ce genre
d'accessoire, tu risquais au pire de nous faire des bosses ». Merci à D.R. Claire, 9 juin 2006
Dans le désert qui attend de fleurir, l'homme marche. S'il s'arrête, le soleil va le rôtir. Il marche, cherche ses pas, ses mots, il veut dire. Parler. Non! Pas trop! Ne pas gaspiller l'eau pour des mots, des idées, qui n'ont aucun pouvoir sur la réalité.
A quoi sert de dire? si les mots ne créent rien?
Broyés par les contagieuses contingences de cet exigent désert, non seulement le soleil pèse sur nous, mais encore, séditieux, il nous impose d'oeuvrer. Sur tous les tableaux, tous les deux, perdants.
Traversée du désert sans eau, l'homme marche. Sans lumière la nuit, sans vivres et pourtant vivre, il marche.
A-t-il jamais fleuri ce désert? Je ne sais plus. La douleur m'a ôté la mémoire. Trou noir. L'homme qui marche rêve d' un corps. Vaste comme le désert, doux comme le sable des dunes mouvantes sous le vent, il imagine.
Fleurira t-il un jour? Faudra t-il que l'homme me donne sa dernière larme, la dernière eau de son corps, pour le faire éclore?
A t-il déjà fleuri de mes charmes? Je ne sais pas non plus. Il me semble, pourtant. Et que cette éclosion me rendait l'eau investie, juste retour, me sauvant du mortel dessèchement. Lointain souvenir, sans avenir.
Dans ce désert, pas de bonheur possible. Soleil souffrance du jour. Ciel noir glacial des nuits. Si l'homme veut traverser sans douleur, il lui faudra perdre le goût de l'eau.
Une oasis, n'en plus rêver. Oublier que ça existe. Une flaque boueuse sous un rocher? Même pas. Une larme salée. Mémoire du passé, seule eau autorisée.
Cesser de désirer pour s'ouvrir aux possibles?
Desséchée d'avoir trop attendu la pluie, je suis la terre craquelée, crevassée. Chacune de mes entailles est hurlement de désir qui demande à être comblée de pluie.
C'est ainsi. Ainsi suis-je, terre du désert: sèche, aride, ingrate. Impossible à labourer. Rien à voir avec le sable, doux, tiède, friable, qui recouvre les dunes de vent. Deux idées du désert, deux réalités.
Mirage de l'homme assoiffé. Allongé, ventre à terre, ses doigts sur le bord d'une crevasse, il gratte. Il s'énerve, crie après l'eau qui lui fait défaut, frappe la terre sèche, puis se calme, caresse, fertilise l'interstice, donne sa dernière eau, crie à nouveau. Il crie et jouit, il pleure. L'eau de son coeur.
Cette piste trouvée, il va la suivre. En lui étaient trop de mots, il était trop lourd pour une telle traversée. Crier dans le désert, c'est apaisant. Totale liberté, personne n'entend: il peut jurer, insulter, menacer... sans risques ni conséquences. Il peut crier des mots d'amour à gorge déployée, ou caresser les dunes sous ses doigts, personne ne condamnera.
Mais pas d'écho non plus, pour lui donner l'illusion d'être moins seul. Aucun écran pour renvoyer sa voix-silence.
Eau-désert. Claire, 23 juin 2006
thème
16: regard(s) Par
la fenêtre, jeter les pensées. Une
larme roule sur sa joue. Ses
amis sont loin. Ses
pensées tournent en vain dans sa tête. L'
angoisse ressert sa main. Un
regard aux étoiles, en fermant les volets. A l'heure de tous les doutes,
ses yeux cherchent la lune dans le ciel restreint de la fenêtre qu'elle
referme; vite! A
cause du froid. Mais
le vent, d'une rafale, a eu le temps
de rentrer, de tourner, de se charger de ses pensées. Et
quatre courent vers le piémont. Une
arrivera à la plaine menacée
de noyade. Une
autre suit les sommets jusqu' à l'océan, et longe la côte jusqu'au pays
batave, saluant au passage les souvenirs bretons. Une
dernière suivra le chemin de fer, distribuant les bonjours aux buffets
des gares, jusqu'au terminus. Distances
abolies, les pensées se rient des kilomètres, trouvent, plus vite que la
lumière, leurs destinataires, et repartent en voyage... ...
voyage dans le temps, aux pays des rêvolutions. Pensées
rebelles refusent de rester bloquées. Poussées de vent, elles s'échappent,
fuguent et continuent leur lancée. Elles explorent les chemins, se
perdent, se trompent à rebrousse route, se cognent contre un iceberg,
rebondissent sur une plage banquise, filent en arabesques... Elles
se dessèchent au désert, s'assimilent à la terre, en attente de pluie.
Fleurissent le deuil des rêves en décomposition, et repartent,
gouttelettes évaporées, tutoyer tous les hommes, côtoyer toutes les
coutumes, danser la fête gratuite des affamés, nager obstinées avec les
besogneux. Elles se chargent de sel, de piment, de coriandre de cannelle
et d'oignons. Et reviennent. Dans
le temps d'un battement de paupière sur son
globe oculaire, elles ont suivi la courbure terrestre. Regard
rêvolutionnaire. Pensées
lancées au hasard, larmes qu'elle croyait perdues, lui reviennent légères
de ses rêves transfigurés des regards de la Terre. Son
coeur lentement s'apaise, se permet une dernière larme. Alors elle ferme
le dernier volet, en pensant à demain, à
la vie, à l'action, et son sourire revient. un
merci à NP pour ses pensées courbes
plein
de pensées à plein d'autres, jamais très loin,
Claire, 30
décembre 2003 et 22 juillet
2006 thèmes: regards et portrait pour Xaba Un jour, dans un courriel, il m'a écrit qu'il voulait me peindre. Sans m'avoir jamais vue. Il m'a dit: décris toi, et je ferai un portrait de toi. Son projet me surprenait, mais j'ai accepté de jouer le jeu. J'étais en pleine mutation, ce petit exercice m'aiderait peut être à voir un peu plus clair en moi. Alors pourquoi pas. Je lui ai répondu ceci par écrit: Depuis
des années, je travaille dans le cinéma, et je sens depuis quelques
temps, mes possibilités se démultiplier. Comme une révolution
technologique, comme l'invention de l'écriture, une série d'événements
qui font que plus jamais rien ne sera comme avant. J'ai
d'abord vécu l'invention du son, j'ose maintenant me dire, poser mes
frontières, vous arrêter avant de me sentir dévorée, anéantie. Ainsi
je n'ai plus besoin de me hérisser de barbelés pour vous forcer à me
respecter. Je
découvre de surcroît que la vie est couleurs, même s'il m'a fallut
longtemps les chercher dans mon arbre généalogique. J'apprends que le
plaisir est valeur philosophique, et le bonheur déchu de son statut de péché,
j'ai enfin droit d'y accéder. Et
tout ça... par la magie de son oeil. Du
regard d'amour qu'il pose sur moi, et qui me dit: « je vois
des possibilités en toi, mais j'aime pour un temps ton muet cinéma noir
et blanc ». Ses
regards bienveillants me font aimer ces gens qui m'entourent. Qu'y a-t- il
sous leur fard? J'avais peur de n'y découvrir qu' hypocrisie et égoïsme.
Par ses angles de vue, j'ai vu la douleur, la souffrance des vies qui
broient, enferment, assassinent, et rendent durs, en apparence. Véritable
artiste du cadrage, il jongle avec les focales, zoome sur la beauté d'un
détail lorsque l'ambiance se fait triste; revient au grand angle quand un
épiphénomène nous malmène. Dans
la beauté de ses prises de vues, j'ai appris à m'aimer, et à accepter
ce corps que j'ose enfin mouvoir. De m'aimer un petit peu, je ne vous en
aimerai pas moins, vous, et tout un chacun. Alors
comment je suis, brune ou blonde, maigre ou ronde, je ne te le dirai pas,
ni mon âge, ni la couleur de mes yeux, pour peindre tu les inventeras. Puis un jour, longtemps après avoir oublié ce petit jeu, j'ai reçu par la Poste une toile soigneusement emballée de kraft. Je l'ai déballée avec émotion et lenteur, pour découvrir un tableau non figuratif, des couleurs, des nuances, des formes, une odeur, un goût même. Oui, je m'y reconnaissais, c'était moi. Dans les nuances de gris pâles qui se coloraient, dans les angles brisés qui s'arrondissaient en vagues... je retrouvais l'oeil du cadreur qui avait initié ma mutation. Un petit mot accompagnait le tableau, d'une écriture malhabile: « j'ai oublié de te dire, je suis presqu' aveugle: pour faire ton portrait, j'ai donné une couleur et une forme, souvenirs de mes années visuelles, à chaque mot, chaque émotion de nos échanges. » à Pili au présent, à Yves à travers le temps, Claire, 7 juillet 2006 Ce
matin, elles pensent. Ce
matin, je suis en paix. Tout
peut arriver, je suis sereine. Regard
rétro-viseur, même
de la mort, je
n'ai pas peur. Je
suis bien. Bien
dans ce que j'ai fait, en
harmonie avec mes valeurs, les
autres? qu'ils
disent et pensent ce qu'ils veulent, je
sens que j'ai eu raison de vivre de cette façon. Ce
matin, elle se rallonge avec son bol de café, en écoutant la radio, elle
pense. Ce
matin, elle se donne le droit d'aimer encore, en ami, le père de ses
enfants, tout en donnant ses rêves et son corps à son amant. Ce
matin, elle attend le résultat de la biopsie qui dira s'il va lui falloir
se battre pour la vie, en en comptant les jours. Ce
matin, elle attend le verdict du procès pour euthanasie qui enfermera ses
jours, coupable de trop d'amour. Ce
matin, elle attend, à découvert, l'arrivée des bombes sur sa ville,
pensant émouvoir l'agresseur par un si tendre bouclier. Ce
matin, elles pensent. Je
n'ai fait qu'aimer. Aimer
la vie, et ses acteurs, dont
certains me le rendent, plus
ou moins, plus
ou moins bien. Aimer,
jusqu'à
la courbure lisse et chaude d'un bol de café. Quelque
soit le temps qui me reste Regard
droit devant, je
le passerai en aimant. Ce
matin... elles pensent... Claire,
25 juillet 2006 A vos yeux, au moins. Fragile, indécise, hésitante devant les multiples chemins. Je vous écoute. J'absorbe. Les avis des uns, des autres. Je jubile de vos contradictions, j'y puise les ressorts de mes libertés. Dans la multiplicité des cultures, des traditions, je trouve l'antidote à ma culpabilité. Bien sur je tâtonne, m'arrête, prends mon temps. Rien de définitif, de catégorique, jamais, pour me guider. Mais une fois ma décision prise, dans la douleur, puis-je enfin la croire solide? Doute je veux rester. Jamais sûre de moi, ni de ce « quelque chose » qui pourtant nous dépasse. Comme une symphonie ne peut se réduire à l'addition de ses partitions, la magie de l'oeuvre commune, je la ressens. Mais ne saurais vous la dire, l'expliquer, ni vous en convaincre. Comme ça je veux rester, juste sensible à la vibration. Pas prosélyte du tout, non. Perméable à vos émotions, faible parfois, influençable. J'éponge vos chagrins et vos joies. C'est mon atout, mon pouvoir. Pénétrant au coeur de vos sentiments, j'explore l'éventail de vos pensées, ou ce que j'en suppose. Préparée au pire, je vous trouve souvent bienveillant. Par comparaison. Je veux rester fragile, mais quel risque à me dire? A vous donner les clés de ce qui me fait souffrir? De mes larmes saurais-je vous faire fuir, si vous en abusez? De mon regard vous tenir à distance, me faire respecter, ainsi que mes idées? Une fois ces frontières posées, oserais-je enfin partager? La force n'est pas où vous pensez, fragile, je veux rester. merci à BernardO! Claire, 15 juin 2006 Être
deux
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