Année gourmandise(s)

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Ma ville puzzle

Cliché au tout petit matin

Cerises

Ostinato

L'ennui, c'était le temps

Échos instantanés

à Marion

L'accessoiriste

Terre de désert

Par la fenêtre, jeter les pensées.

L'oeil du cadreur

Regards plurielles

Rester fragile

Être deux

 

 

Ma ville puzzle

   

Dans  ma lecture de vos textes je cherche ma ville, celle qui me sera un abri concret, comme l'atelier est celui de mes mots.

Quand je pense à la ville, une ville, je pense d'abord à la mienne bien sur. J'ai envie de vous   prendre par la main et de vous mener par ses rues, pour partager avec vous ces lieux qui m'ont fait rêver, écrire, exister:

la liberté des marchés des jeudis fériés, que vous connaissez déjà; ainsi que son église et ses présences mystérieuses; le cimetière et le chat passeur de mondes; le pressing  à la vitrine peinte; le jardin, ses murs de doutes en ruine... Et entre l'abattoir, la décharge sauvage et la voie de garage, un lieu perdu où  enfin peut vivre,  hors de son  regard hypocrite, tout ce qui la dérange et la menace.

J'aime les villes que traverse un fleuve, trachée non-bâtie par laquelle pénètre l'air, conservé ensuite par les arbres de ces jardins qu'on dit être leur poumons.

J'aime aussi qu'elles soient de taille humaine, que l'on puisse les traverser ou en faire le tour à pied, j'apprécie l'idée d'une possible échappée hors des murs. Toujours je cherche à apercevoir, au bout d'une rue, un morceau de montagne, l'amorce d'un champs: une limite visuelle à la ville.

Mais la ville ne s'offre à moi que morcelée, lieux juxtaposés, empruntés même à d'autres villes qui m' habitent, pour y avoir vécu ou seulement rêvé.  Des petits bouts d'ailleurs: jardins de pierre japonais et son pavillon de thé sans cloison;  immeubles de verres et d'acier;  place pacifiée survolée d'oiseaux criailleurs... ma ville reconstruite, crée un puzzle imaginaire dans lequel j'évolue.

Alors, ces  feuilles sur lesquelles  j'ai écrit ces instantanés, photos verbales,

 je les plie, les façonne en une multitude de petites briques origami,

pour construire la maquette de ma ville idéale.

6 mai 2006

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Cliché au tout petit matin

  

C'est tout petit matin sur la ville.

Camion du livreur de farine pour la pâtisserie d'en face.

Oiseaux immobiles se découpent sur les nuages roses.

Le soleil, encore derrière les toits, contre jour.

 

Debout, au garde-à-vous au dessus du caniveau, le bout des sandales dépassant le bord du trottoir, elle attend.

 

Premières voitures sur la route.

Odeur de la première fournée à la boulangerie au coin.

Le chant d'un coucou caché derrière une cheminée répond au clocher.

 

Sur une corde, tendue entre les façades, semblent sécher, dérisoires, les fanions du festival.

Il fait doux.

Un avion rouge raye le ciel. Sur quel fuseau vivent ses voyageurs? Est-il matin pour eux aussi?

 

Le moteur du meunier gronde, il démarrera, dégagera la vue sur le bout de la rue où elle attend.

 

Elle attend. La voiture qui l'emmènera, vers une autre ville, une autre aventure, une autre fête avec d'autres notes, une autre vie avec d'autres lois.

 

clic...

  

samedi 27 mai 06, rue de la République, 7H00

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Cerises

 

Je l'ai vu au marché samedi: il n'y avait plus de cerises aux étals. Mais qu'est ce que tu espérais? Un amour panier de cerises? Non, ça, on ne peut le vivre qu'une fois dans sa vie, quand on est libre. Et ça ne dure qu'un temps, après vient la saison active et laborieuse, où les moissons occupent tous les instants, avant l'automne boueux des pluies de mauvais temps. Un amour panier de cerise, un seul, dans la vie.

Après, il faut  louer les cieux, tant la chance en est rare, s' il nous est donné de vivre un (des?), amour(s) cerise sur le gâteau. Grand plus qui change tout, illumine la vie, mais encore faut il... que gâteau il y ait !! Parce qu' une seule cerise au milieu du plat vide, ça ne nourrit pas une vie !

Alors je cesse d'attendre que sur l'arbre pousse une cerise hors saison, et je  confectionne un bon gros gâteau, bien nourrissant, bien consistant, plein de l'utile farine des gestes du quotidien,  je n'oublie pas , un peu de sucre quand même, quelques petits plaisirs courants .

Combien de temps pour faire et cuire cette sorte de gâteau, au moins une centaine d' heures dit le livre de recettes, mais attention qu'au delà... il ne soit trop cuit !

 

   

26 juillet 2004

 

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Ostinato

Lui sait où il va.

Vision globale de l'oeuvre jusqu'à l'horizon de la coda, alors que les aigus se perdent en prouesses de technique et de vitesse, en trilles d'éclairs de passion, ou en envolées lyriques de tonnerre dévastateur, l 'ostinato, humble et tenace, ligne de notes simples et répétitives, accompagne attentif les improvisations des autres voix, mais il avance, en rondes et en blanches, donne le pas, la cadence  dont dépend l'équilibre de cette musique qu'il ancre à la terre. 

Il vit ainsi sa vie à deux voix, sur deux portées devenues chemins. Sans savoir vraiment définir la tonalité de sa basse obstinée, il en sent pourtant les effets. Il en savoure le calme, la mélancolique sérénité, dans laquelle il se réfugie en ces moments trop durs où la ligne mélodique heurte l'harmonie par ses imprévisibles épiphénomènes. Toujours il est là, coulant en lui, même inaudible, sourde vibration, sentier de confiance et de refuge, intense, son ostinato. 

 une pensée pour Yves Heurté

Claire,

18 décembre 2005

 

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Thème13: le temps

L'ennui, c'était le temps

 

 

On l'avait toujours entendu dire, non pas:"J'ai pas eu le temps", mais : "J'ai pas pris le temps".Il pensait que si l'on voulait, on pouvait toujours en faire plus, en faisant plusieurs choses à la fois, en s'organisant. Ses amis se demandaient quand et comment il craquerait.

L'ennui, c'était le temps.

Pas la privation de liberté. Non, il ne s'était jamais senti libre. Toujours des contraintes, ou des ordres auxquels obéir. Prisonnier, il l'avait toujours été: du bureau, du conseil d'administration, des actionnaires, des embouteillages...

Pas  la ruine non plus, il avait amassé tant d'argent sans jamais avoir le temps de le dépenser, d'en profiter.

Non, l'ennui c'était le temps. Incarcéré pour détournement de fonds et pour longtemps, ce qui le faisait le plus souffrir, c'était tout ce temps, libre.

 

à Gwenael.

Claire, 19 avril 2006

 

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Echos instantanés

 

Pourquoi cette fatigue ce soir? Cette impression d'être aussi vidée qu'un citron de la lointaine contrée de SarahJane?

Mentalement je repasse ma journée. Comme d'habitude, l'impression de n'avoir rien fait que vivre.

Pourquoi vivre seulement est il si fatigant qu'il ne reste plus rien pour agir?

 

Pourtant, la journée s'annonçait bien.

Même les signes du passé dans le miroir  Florentin m'avaient fait sourire. Puis des mots de Nature avaient sonné comme réveil matin, et m'avaient donné le courage de mener à bien mon labeur quotidien.

Un appel de mon éveilleur de mémoire, en cours de matinée, nous avions reparlé de cette vie injuste qui ne laisse pas s'unir ceux qui pourtant s'aiment tant, et qui maintient juxtaposés ceux qui ne se supportent plus qu'à grand peine. Je lui avais dit le manque, le vide crée par son absence, il m'avait dit:  remplis.

 

En fin de matinée, j'étais descendue chercher le courrier. Chouette! Une lettre de Maryam! La joie en remontant l'escalier, la peine dès les premiers mots lus.

 

 Tu m'annonçais le décès de ta mère, 15 jours seulement après son retour au pays, suite à un long exil, alors que rien ne laissait présager sa mort. Tu me disais ta colère et ta douleur, quand ton passeport  te fut refusé, « mesure d'exception » -on ne se rend pas en Irak en urgence-  t'empêchant d'aller à l'enterrement, de vivre en famille ton deuil.

J'ai eu de la peine pour toi, ta famille dispersée dans toute l'Europe, disloquée par la guerre, par la connerie humaine, les enjeux politiques, de pouvoir. Cette peine s'est muée en rage et me donne la force de me battre toujours plus, de lutter encore et toujours, au delà de la fatigue,  contre ce monde injuste.

 

Puis j'ai pensé à ta mère.

Ta mère qui peut être avait attendu intensément ce retour pour enfin, à bout de souffrances, mourir chez elle,  sur sa terre. Ta mère pour qui ces 15 pauvres jours furent peut être les plus beaux depuis des années, si beaux qu'ils valent plus que leur poids de minutes?

Ces pensées m'apaisèrent. J'avais besoin, pour continuer à vivre,  de changer l'éclairage, de modifier l'angle de vue, d' apporter un peu de douceur au monde, de peindre la vie aux couleurs de l'amour, de la passion, de la déraison des  sentiments et des gestes forts. Ces pensées apaisèrent ma peine, mais n'enlevèrent rien à ma colère contre ces riches, ces puissants, ces belliqueux qui avaient fait votre malheur.

Des mots chrystallins  m'atteignirent à midi: aller chercher les enfants, dire un bonjour dé-circonstancié aux passants, préparer le repas, alors que mes pas portaient des mots tristes et rageurs.

Les enfants de retour à l'école, je suis rentrée écrire ces mots que me demandait Maryam, me disant qu'ils lui faisaient du bien, et vite, courir à la poste avant la levée.

 

Et ce soir, je veux vivre pour ces êtres qui éclairent ma vie même après leur mort, je veux  exister, pour eux, par eux; vivre encore plus, moi qui ai la chance d'être encore ici. Ce soir,  malgré ma fragilité, je me sens porteuse de toutes ces vies en moi. Alors oui, remplir le vide de l'absence, mais pas uniquement d'activités militantes. Pour toi Maryam, pour ta mère, pour tous ceux que j'ai aimé, même sans les connaître, et qui m'ont laissée trop tôt -mais il est toujours trop tôt-  le remplir aussi de pensées, de mots, de rêves, de sentiments.

 

Ce qui n'est pas moins fatigant.

 

à G.M.

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                                    à Marion L.


Ouf! J'étais arrivée à temps J'avais décroché la pauvre marionnette qui commençait à osciller dans le vent Alors elle s'est mise à hurler, à menacer, à frapper De quoi je me mêlais! Hein! De quoi
Qu'est-ce que tu f'rais, toi, hein! si la vie était si dure qu'elle en était dégueulasse

J'ai repris mon souffle et mes esprits -c'était moi la plus meurtrie maintenant, avec tous ces coups qu'elle m'avait mis- et le plus doucement possible je lui ai dit , oui bien sur, grimper dans un arbre, mais pas si haut, j'ai le vertige!

ça l'a surprise, et du coup, elle m'a écoutée

Moi, quand la vie est dure, je m'arrête au creux de l'arbre, je me replie, me recroqueville, comme une statuette incas, un foetus préhistorique De mes bras, je câline mes jambes, et vice-versa Puis comme ça, j'attends , cachée

Pfff! Des mots ton trucs, j'suis sûre que t'as la vie dorée toi!

J'sais pas.. Toute petite déjà, je les voyais , ils me cherchaient, me mettaient sur un piédestal, après, fallait assurer, ne pas faire de peine, être exemplaire, angélique Maintenant encore, je me sens sacrifiée, à nouveau, sur le même autel, celui de la famille La mienne, quel idéal me faudra-t -il encore poursuivre pour sa cohésion La tienne, par ricochet, puisque nos familles sont liées par le secret Dis-je en montrant, en bas, dans la vallée, la maison qu'elle contemplait quelques instants plus tôt en se balançant

Et alors, après Tu fais quoi Elle avait perdu un peu de son agressivité, m'écoutait, semblait intéressée

Après, je ne sais pas trop, pour l'instant, j'attends, je reste planquée au creux de l'arbre, je me dis qu'à toujours vouloir être exemplaire, c'est moi qui me mets en position d'être sacrifiée, qu'il faut que ça change, mais comment Je ne sais pas.. Peut-être le sais tu, toi?


                                                                                                                                                          Claire, 23 mai 2006

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L'accessoiriste

 

Pas le coeur à faire des bluettes, pas l'envie de dire cette folie ordinaire qui m' habite. Mon estomac, secoué de larmes, quel choix  reste t-il?

Ressortir mon épée, tranchante, la lame brillante au soleil comme dans un conte celtique. Il fait toujours soleil pour ce genre de scène, les éclairagistes n'ont aucune imagination. Et qu'en faire? Me battre, encore et toujours, contre tout ce qui contrarie mes rêves, contre tous ceux qui contre-carrent le  scénario!

Ils sont là mes rêves, à terre. Et moi je suis armé, je peux les protéger. Ils sont là, gisant, tas sans forme, moribonds, souffrants d'agonie. Et ces gens qui se rapprochent, m' encerclent  maléfiques, prononcent d'envoûtantes incantations! Des ennemis.

Je peux!! Je peux... passer ma vie à me battre pour mes rêves, et tuer tous ceux qui les menacent d'un brusque mouvement circulaire du bras. Puis reprendre mon chemin, celui auquel m'a voué la sorcière dans ma douzième année, mon Destin. Suivre mon étoile jusqu'à l' Épinal, braqué sur la chute, l'arrivée. Toute une vie pour au dernier soir pouvoir rendre compte, dire que j'ai réussi, sans défaillir, sans digresser, que j'ai été fidèle aux rêves qu'on m'avaient donnés à vivre... Fier de n'avoir pas transgressé.

Je peux... Je m'épuise, l'épée est lourde à porter, de toutes façons, la vie ne sera jamais comme je veux, les rêves jamais ne prendront corps, ils sont à terre, trop abîmés, trop usés, et j'ai brisé ma baguette, je n'y crois plus, ne me reste que la force, mon épée...

Je peux... les ennemis se rapprochent... Je regarde leurs yeux, certains sont mouillés, presqu' autant que les miens. S'échangent nos regards brouillés,  ma vision se trouble, la scène se décompose, milliers de petits morceaux à recoudre...

J'ai le droit d'être triste, les yeux pleins d'eau, une lettre en poche, la dernière, qui fini par ce mot: demain . Ce demain qui comme toi n'est jamais venu, un ajournement de plus. J'ai le droit d'être triste, calmement triste. Mais cette tristesse est concrète, présente, est fait partie de la vie que j'ai choisie. Contre elle mon épée  ne peut rien. Les bras me pèsent...

La scène se recompose, différente derrière mes prismes salés, je peux voir la lumière s'adoucir, je peux... je peux baisser l'épée, pointe au sol, plat devant moi, reposer mes bras las de leurs colères muettes. Écouter leurs mots, faire pour une fois confiance au dialoguiste, s' ils étaient d'amitié, et leur cercle réconfortant?

Laisser mes rêves là, ceux qui m'entourent ne les voient pas, ignorent ce que je défendais, pourquoi je m'agitais, menaçant l'air de ma lame meurtrière. Les laisser mourir, oui, je les trahis, je les renie, traître à mes rêves, je choisis la vie.

Mes amis se rapprochent encore. L'un d'eux prend doucement l'arme de mes mains, me serre dans ses bras, me murmure, « ça va, ça va ». Il affirme, ne questionne pas.

Je les regarde, étonné: l'assemblée, le décor. Je ne demande pas pardon, mais seulement si je n'ai blessé personne, la scénariste s'approche, me souris, indulgente: « avec ce genre d'accessoire, tu risquais au pire de nous faire des bosses ».

 

Merci à D.R.

                                                                                                                                           Claire, 9 juin 2006

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Terre de désert

Dans le désert qui attend de fleurir, l'homme marche. S'il s'arrête, le soleil va le rôtir. Il marche, cherche ses  pas, ses mots, il veut dire. Parler. Non! Pas trop! Ne pas gaspiller l'eau pour des mots, des idées, qui n'ont aucun pouvoir sur la réalité.

 

A quoi sert de dire? si les mots ne créent rien?

 

Broyés par les contagieuses contingences de cet exigent désert, non seulement le soleil pèse sur nous, mais encore, séditieux, il nous impose d'oeuvrer. Sur tous les tableaux, tous les deux, perdants.

 

Traversée du désert sans eau, l'homme marche. Sans lumière la nuit, sans vivres et pourtant vivre, il marche.

 

A-t-il jamais fleuri ce désert? Je ne sais plus. La douleur m'a ôté la mémoire. Trou noir. L'homme  qui marche  rêve d' un corps. Vaste comme le désert, doux comme le sable des dunes mouvantes sous le vent, il imagine.

 

Fleurira t-il un jour? Faudra t-il que l'homme me donne sa dernière larme, la dernière eau de son corps, pour le faire éclore?

 

A t-il déjà fleuri de mes charmes?

Je ne sais pas non plus.

Il me semble, pourtant. Et que cette éclosion me rendait l'eau investie, juste retour, me sauvant du mortel dessèchement.

Lointain souvenir, sans avenir.

 

Dans ce désert, pas de bonheur possible. Soleil souffrance du jour. Ciel noir glacial des nuits. Si l'homme  veut traverser sans douleur, il lui faudra perdre le goût de l'eau.

 

Une oasis, n'en plus rêver. Oublier que ça existe.

Une flaque boueuse sous un rocher? Même pas.

Une larme salée. Mémoire du passé, seule eau autorisée.

 

Cesser de désirer pour s'ouvrir aux possibles?

 

Desséchée d'avoir trop attendu la pluie, je suis la terre craquelée, crevassée. Chacune de mes entailles est hurlement de désir qui demande à être comblée de pluie.

 

C'est ainsi.

Ainsi suis-je, terre du désert: sèche, aride, ingrate. Impossible à labourer.

Rien à voir avec le sable, doux, tiède, friable, qui recouvre les dunes de vent.

Deux idées du désert, deux réalités.

 

Mirage de l'homme assoiffé. Allongé, ventre à terre, ses doigts sur le bord d'une crevasse, il gratte. Il s'énerve, crie après l'eau qui lui fait défaut, frappe la terre sèche, puis se calme, caresse, fertilise l'interstice, donne sa dernière eau, crie à nouveau. Il crie et jouit, il pleure. L'eau de son coeur.

 

Cette piste trouvée, il va la suivre. En lui étaient trop de mots, il était trop lourd pour une telle traversée. Crier dans le désert, c'est apaisant. Totale liberté, personne n'entend: il  peut jurer, insulter, menacer... sans risques ni conséquences.

Il peut crier des mots d'amour à gorge déployée, ou caresser les dunes sous ses doigts, personne ne condamnera.

 

Mais pas d'écho non plus, pour lui donner l'illusion d'être moins seul. Aucun écran pour renvoyer sa voix-silence.

 

Eau-désert.

Claire, 23 juin 2006

 

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thème 16: regard(s)

Par la fenêtre, jeter les pensées.

 

Une larme roule sur sa joue.

Ses amis sont loin.

Ses pensées tournent en vain dans sa tête.

L' angoisse ressert sa main.

 

Un regard aux étoiles, en fermant les volets. A l'heure de tous les doutes, ses yeux cherchent la lune dans le ciel restreint de la fenêtre qu'elle referme; vite!

A cause du froid.

 

Mais le vent, d'une rafale, a eu le temps  de rentrer, de tourner, de se charger de ses pensées.

 

Et quatre courent vers le piémont.

Une arrivera  à la plaine menacée de noyade.

Une autre suit les sommets jusqu' à l'océan, et longe la côte jusqu'au pays batave, saluant au passage les souvenirs bretons.

Une dernière suivra le chemin de fer, distribuant les bonjours aux buffets des gares, jusqu'au terminus.

 

Distances abolies, les pensées se rient des kilomètres, trouvent, plus vite que la lumière, leurs destinataires, et repartent en voyage...

 

... voyage dans le temps, aux pays des rêvolutions.

 

Pensées rebelles refusent de rester bloquées. Poussées de vent, elles s'échappent, fuguent et continuent leur lancée. Elles explorent les chemins, se perdent, se trompent à rebrousse route, se cognent contre un iceberg, rebondissent sur une plage banquise, filent en arabesques...

Elles se dessèchent au désert, s'assimilent à la terre, en attente de pluie. Fleurissent le deuil des rêves en décomposition, et repartent, gouttelettes évaporées, tutoyer tous les hommes, côtoyer toutes les coutumes, danser la fête gratuite des affamés, nager obstinées avec les besogneux. Elles se chargent de sel, de piment, de coriandre de cannelle et d'oignons.

 

 Et reviennent.

 

Dans le temps d'un battement de paupière sur son  globe oculaire, elles ont suivi la courbure terrestre.

 

Regard rêvolutionnaire.

 

Pensées lancées au hasard, larmes qu'elle croyait perdues, lui reviennent légères de ses rêves transfigurés des regards de la Terre.

 

Son coeur lentement s'apaise, se permet une dernière larme. Alors elle ferme le dernier volet, en pensant à demain, à  la vie, à l'action, et son sourire revient.

 

 

 

un merci à NP pour ses pensées courbes               

plein de pensées à plein d'autres, jamais très loin,

               Claire, 30 décembre 2003 et  22 juillet 2006         

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thèmes: regards et portrait pour Xaba

 

L'oeil du cadreur

 

Un jour, dans un courriel, il m'a écrit qu'il voulait me peindre. Sans m'avoir jamais vue.  Il m'a dit: décris toi, et je ferai un portrait de toi.

 

Son projet me surprenait, mais j'ai accepté de jouer le jeu. J'étais en pleine mutation, ce petit exercice m'aiderait peut être à voir un peu plus clair en moi. Alors pourquoi pas.

 

Je lui ai répondu ceci par écrit:

 

Depuis des années, je travaille dans le cinéma, et je sens depuis quelques temps, mes possibilités se démultiplier. Comme une révolution technologique, comme l'invention de l'écriture, une série d'événements qui font que plus jamais rien ne sera comme avant.

 

J'ai d'abord vécu l'invention du son, j'ose maintenant me dire, poser mes frontières, vous arrêter avant de me sentir dévorée, anéantie. Ainsi je n'ai plus besoin de me hérisser de barbelés pour vous forcer à me respecter.

 

Je découvre de surcroît que la vie est couleurs, même s'il m'a fallut longtemps les chercher dans mon arbre généalogique. J'apprends que le plaisir est valeur philosophique, et le bonheur déchu de son statut de péché, j'ai enfin droit d'y accéder.

 

Et tout ça... par la magie de son oeil. Du  regard d'amour qu'il pose sur moi, et qui me dit: « je vois des possibilités en toi, mais j'aime pour un temps ton muet cinéma noir et blanc ».

 

Ses regards bienveillants me font aimer ces gens qui m'entourent. Qu'y a-t- il sous leur fard? J'avais peur de n'y découvrir qu' hypocrisie et égoïsme. Par ses angles de vue, j'ai vu la douleur, la souffrance des vies qui broient, enferment, assassinent, et rendent durs, en apparence.

 

Véritable artiste du cadrage, il jongle avec les focales, zoome sur la beauté d'un détail lorsque l'ambiance se fait triste; revient au grand angle quand un épiphénomène nous malmène.

 

Dans la beauté de ses prises de vues, j'ai appris à m'aimer, et à accepter ce corps que j'ose enfin mouvoir. De m'aimer un petit peu, je ne vous en aimerai pas moins, vous, et tout un chacun.

 

Alors comment je suis, brune ou blonde, maigre ou ronde, je ne te le dirai pas, ni mon âge, ni la couleur de mes yeux, pour peindre tu les inventeras.

 

 

Puis un jour, longtemps après avoir oublié ce petit jeu, j'ai reçu par la Poste une toile soigneusement emballée de kraft. Je l'ai déballée avec émotion et lenteur, pour découvrir un tableau non figuratif, des couleurs, des nuances, des formes, une odeur, un goût même. Oui, je m'y reconnaissais, c'était moi. Dans les nuances de gris pâles qui se coloraient, dans les angles brisés qui s'arrondissaient en vagues...  je retrouvais l'oeil du cadreur qui avait initié ma mutation.

 

Un petit mot accompagnait le tableau, d'une écriture malhabile: « j'ai oublié de te dire, je suis presqu' aveugle: pour faire ton portrait, j'ai donné une couleur et une forme, souvenirs de mes années visuelles, à chaque mot, chaque émotion de nos échanges. »

 

 

à Pili au présent,

à Yves à travers le  temps,

 

Claire, 7 juillet 2006

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Regards plurielles

 

Ce matin, elles pensent.

 

Ce matin, je suis en paix.

Tout peut arriver, je suis sereine.

Regard rétro-viseur,

même de la mort,

je n'ai pas peur.

Je suis bien.

 

Bien dans ce que j'ai fait,

en harmonie avec mes valeurs,

les autres?

qu'ils disent et pensent ce qu'ils veulent,

je sens que j'ai eu raison de vivre de cette façon.

 

Ce matin, elle se rallonge avec son bol de café, en écoutant la radio, elle pense.

 

Ce matin, elle se donne le droit d'aimer encore, en ami, le père de ses enfants, tout en donnant ses rêves et son corps à son amant.

 

Ce matin, elle attend le résultat de la biopsie qui dira s'il va lui falloir se battre pour la vie, en en comptant les jours.

 

Ce matin, elle attend le verdict du procès pour euthanasie qui enfermera ses jours, coupable de trop d'amour.

 

Ce matin, elle attend, à découvert, l'arrivée des bombes sur sa ville, pensant émouvoir l'agresseur par un si tendre bouclier.

 

Ce matin, elles pensent.

 

Je n'ai fait qu'aimer.

Aimer la vie, et ses acteurs,

dont certains me le rendent,

plus ou moins,

plus ou moins bien.

Aimer,

jusqu'à la courbure lisse et chaude d'un bol de café.

Quelque soit le temps imparti

Quelque soit le temps qui me reste

Regard droit devant,

je le passerai en aimant.

 

Ce matin... elles pensent...

 

 

Claire, 25 juillet 2006

 

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Je veux rester fragile

 A vos yeux, au moins. Fragile, indécise, hésitante devant les multiples chemins. Je vous écoute. J'absorbe. Les avis des uns, des autres. Je jubile de vos contradictions, j'y puise les ressorts de mes libertés. Dans la multiplicité des cultures, des traditions, je trouve l'antidote à ma culpabilité. Bien sur je tâtonne, m'arrête, prends mon temps. Rien de définitif, de catégorique, jamais, pour me guider. Mais une fois ma décision prise, dans la douleur, puis-je enfin la croire solide?

Doute je veux rester.

Jamais sûre de moi, ni de ce « quelque chose » qui pourtant nous dépasse. Comme une symphonie ne peut se réduire à l'addition de ses partitions, la magie de l'oeuvre commune, je la ressens. Mais ne saurais vous la dire, l'expliquer, ni vous en convaincre. Comme ça je veux rester, juste sensible à la vibration. Pas prosélyte du tout, non.

Perméable à vos émotions, faible parfois, influençable. J'éponge vos chagrins et vos joies. C'est mon atout, mon pouvoir. Pénétrant au coeur de vos sentiments, j'explore l'éventail de vos pensées, ou ce que j'en suppose. Préparée au pire, je vous trouve souvent bienveillant. Par comparaison.

Je veux rester fragile, mais quel risque à me dire? A vous donner les clés de ce qui me fait souffrir?

De mes larmes saurais-je vous faire fuir, si vous en abusez? De mon regard vous tenir à distance,  me faire respecter, ainsi que mes idées? Une fois ces frontières posées, oserais-je enfin partager?

La force n'est pas où vous pensez, fragile, je veux rester.

merci à BernardO!

Claire, 15 juin 2006

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Être deux

  

Être deux
Rêve comme le monde vieux

Survie de l'espèce,
peur de la vieillesse,
unir contre l' adversité
deux différentes fragilités

Depuis que Terre est ronde
Depuis que Femme est féconde
Depuis qu' Homme est fort

Depuis qu'il fait froid dehors
Depuis que s'unissent les corps
Depuis qu'ils font pleurer, les sentiments

Être deux
Ton rêve et le mien
Aussi vieux que le monde

Tant que brilleront les rêves le soir
Tant que tomberont des larmes d'espoir
Nous l'attendrons, Prince ou Amant

Tant que s'ouvriront des bras chaleureux
Tant que s'offriront des gestes amoureux
Nous y croirons, de temps en temps

Être deux
Mon rêve et le tien
Aussi vieux que le monde

Ton rêve, ton possible à venir
Futur qui cristallise tous tes désirs
Voeu sous le gui d'année en année déposé

Mon rêve, raisonnablement enterré
A l'abri  de la réalité
Mais que rien n'empêchera de fleurir

Être deux
Son rêve et le mien
Aussi vieux que le monde

 
Claire, 29 avril 2006



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