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La
planète se révolte : la terre tremble pour l’avenir, les volcans se réveillent
de leur torpeur millénaire, les glaces fondent sur les villes, le climat
tempête. Pourtant, les humains semblent ignorer que c’est de façon
souterraine qu’ont lieu les affrontements les plus violents : les
confrontations, les répulsions, le choc de deux mondes qui coexistent, en
cherchant chacun à imposer leur logique à tous.
Je travaille là pour gagner mon pain. Je nettoie et repasse le linge délicat que les riches nous confient. Un vêtement peut valoir mon salaire mensuel, l'abîmer serait une catastrophe, je dois faire très attention, mais une partie de mon esprit vole et s'évade. Dehors, il fait froid, les passants frigorifiés marchent vite. Dans la rue, au delà de ma frontière de verre, il y a la vie, le marché de décembre. Un gars paumé distribue des prospectus publicitaires, gaspillage et incitation à la consommation, mais il faut bien qu'il vive. Un mendiant, à genoux sur un coussin au milieu du trottoir, un panneau autour du cou: « pour manger », par l'abandon de toute dignité provoque plus de rejet que de compassion. J'entends un orgue de barbarie, musique humaine et joyeuse mise en scène, mais peut être est ce encore un chômeur qui se bricole un petit revenu? Moi je travaille dans une éternelle moiteur estivale en regardant un village enneigé, un arbre avec du houx, le clocher d'une église, un traîneau attelé... que tu as peint ce matin sur la vitrine, pour donner à la ville un air de fête. En regardant ta fresque, embrumée par la chaleur des machines à repasser, je rêve d' une vie à dimension humaine, avec un travail pour chacun, adapté à ses aspirations, des repas dans les maisons, des fêtes simples , conviviales et joyeuses, autour de ce que chacun donne de soi, des enfants qui jouent sans consommer... Un couple passe, main dans la main, je ne vois que leurs silhouettes, la femme regarde le village et dit: « c'est beau! », une seconde, j'ai cru qu'elle répondait à mes pensées. Puis, vers midi, toujours la rue se réchauffe et la brume s'efface de la vitre. La vie dehors devient plus nette. Les enfants rentrent de l'école, jouent, chahutent, ne nous regardent pas , ni moi, ni ta peinture. Ils ne voient que la vie de la rue, leur avenir. Et je me demande: pour qui as tu peint ce paysage de rêve? De quel coté de la vitre espérais tu faire rêver? 25-26 novembre
Claire La porte du jardin était restée ouverte. Retard sur
l'horaire? Erreur, oubli? Grève des gardiens? Pour la première fois il put le traverser de nuit. Il ne
prit pas les grandes allées latérales, celles qu'il parcourait en
courant lorsque le temps le pressait, le matin. Malgré le risque de se
faire enfermer si un gardien se ravisait, il passa par le jardin japonais. Il aimait admirer le pavillon de thé, se replonger
quelques secondes dans ses racines. L'illusion était d'autant plus grande
que l'obscurité masquait les immeubles voisins. La clarté de la lune, se
reflétant dans le lac, un soupçon de brouillard, accentuaient la poésie
du lieu. Il resta là longtemps, pensif,méditant son destin de déraciné,
sur le pont de bois rouge, avant de quitter le jardin et de retrouver le
XXI ème siècle occidental. Contraste absolu, son immeuble, structure d'acier, façade
de verre, résultat des recherches architecturales qui avaient rebâties
Rotterdam, longeait un canal. Son
adresse: Rhijnauwensingel 15. N'ayant jamais réussi à maitriser
la langue ardue de son pays d'adoption, il en avait ignoré la
signification durant des années, jusqu'à ce qu'un copain, bilingue et
taquin, le lui traduisit par “ rue des amants”. Les murs de son appartement, aussi fins que les cloisons
de la maison japonaise, lui permettaient d'entendre ses voisins, ceux du
numéro 13. Pas les mots, que d'ailleurs il n'aurait pas compris, mais les
intonations, les humeurs, les éclats. Légèrement superstitieux ,il
avait pensé que cette adresse leur porterait surement chance, à les
entendre quotidiennement vivre de l'autre coté du mur-cloison, ils
avaient l'air heureux. Il ne les avait pourtant jamais vu, il ignorait jusqu'à
leurs silhouettes, leurs âges. Escalier A, escalier B, le couloir de la
barre d 'immeuble scindé entre le 13 et le 15, de sorte que leurs portes
d'entrée ne se jouxtaient pas. Si par hasard, ils s'étaient croisés
dans la cour, comment , parmi tous les couples rencontrés, reconnaître
ses voisins? Alors, ne sachant rien d'eux, il s'amusait à leur
inventer une vie, changeant de scénario au gré de ses humeurs. Influence
du nom de leur rue? il aimait parfois à les imaginer amants clandestins,
mais ils pouvaient aussi bien être un jeune couple d'étudiants, ou de
retraités tranquilles et fidèles. Loin d'être dérangé par leur bruit, il s'y était au
contraire habitué comme à un ronronnement familier l'accueillant à son
retour. Cela mettait une peu de vie dans la sienne. Exilé solitaire, une
fois retiré dans ses murs, il gardait ainsi auditivement un lien avec le
monde extérieur. Alors, ce soir là, leur silence l'étonna. Le lendemain, en retraversant le parc, devant la
“Buvette du Lac”, il déchiffra et traduisit péniblement le gros
titre, lapidaire et irrespectueux, sur le panneau publicitaire du journal
local : “ Suicide en duo , 13 rue des Amants “ 11 décembre 2003
Des pavés dans la mare 14 décembre 2003
Paroles de chanson:
Petite
pousse fragile, abritée au sein d'une haie farouchement préservée, je
n'ai qu'une saison, et pourtant. Pourtant je suis douée d'audition et de
raison. Jamais je n'aurai la parole, comme ces promeneurs qui me frôlent
de leurs chaussures boueuses, mais me croirez vous, je les entends et je
les comprends. Ceux là
sont sympathiques, ils parlent en ma faveur, oh!, mais aïe! Les voilà
qui arrachent l'une de mes
soeur! Pas d'importance, chez nous , ce n'est pas l'individu qui compte,
c'est l'espèce, et nous sommes si nombreuses. Alors , pourquoi en moi,
cette violente volonté de croître? Un peu moins
fragile, j'ai un peu grandi, mais quel est cet obstacle minéral et
artificiel sur ma gauche? J'ai entendu les Humains en parler pour
justifier la décapitation de mes aînés, ils appellent ça « poteau
électrique ». Ça me gène, je ne peux me déployer que sur ma
droite. Pourtant le vent me souffle des idées qui me donnent l'envie
d'aller voir de cet autre côté. J'ai encore
grandi, grossi. J'ai échappé à mille périls. Plusieurs fois j'ai été
sur le point de périr: goudronnée lors de l 'élargissement de la
route, brûlée lors du remembrement... sans l'intervention d'une âme
entière et révoltée, je ne serai plus là. Un jour, mes
racines furent assoiffées. Je ne recevais plus l'eau millénaire chargée
d'histoire que m'offrait jadis les nuages et que la prairie conservait
pour moi. Pour ne pas me laisser mourir desséchée, une mission
humanitaire m'offrit une eau entuyautée, pouah!
Les humains boivent ils cela? Ou nous traitent-ils comme une
sous-espèce ne méritant pas mieux? Jusqu'à
maintenant, seules mes branches se heurtaient au poteau électrique. Mais
maintenant que ma tête atteint le sommet de la haie qui me servit de
berceau, mon tronc se trouve gêné à son tour. J'ai bien essayé
d'embrasser l'intrus, pour l'assimiler, mais les Humains sont venus couper
mes branches gauchistes. Pourtant, le vent fou de l'utopie continue à me
souffler ses encouragements. J'entre dans
l'âge adulte, et pour ma majorité, les Hommes m'ont fait un cadeau. Ils
ont enlevé le poteau qui m'empêchait de m'épanouir. Le vent triomphant
souffle sa victoire dans les pales des éoliennes voisines. Je peux enfin
déployer mes branches sans entrave, selon ma sensibilité. Même ma tête
n'est plus menacée par la ligne électrique. J'ai cent
ans, la force de l'âge. Les Humains ont fait des progrès, mais certains
sont restés intéressés par l'argent. Ils ont voulu me vendre, pour
faire des planches, des meubles. Moi, la seule survivante de cette
haie-pouponnière surpeuplée! A nouveau, je ne dois ma survie qu'à la
vigilance militante d'une amie sincère. Je sais
maintenant de qui venaient ces paroles encourageantes que m'envoyait le
vent. Que ce messager fidèle lui porte en retour mes pensées, mes voeux
de paix et de courage, pour toutes ses luttes à venir. ...Solange
wie der Wind in meinen Zweigen blasen wird. 22
décembre 2003
J'étais
jadis très religieux. De mes branches qui s'élançaient vers le ciel, je
recevais une sève spirituelle qui nourrissait mes racines, profondément
ancrées en terre. Je résistais aux pires tempêtes. Le vent , me
traversant, repartait chargé de mes pensées, à Dieu adressées.
Monologue incessant, j'avais l'impression d'un dialogue, la vie
m'apportant les réponses
attendues, un sens à mes ressentis, une validation de mes idées. Je
vivais de la terre, tendu vers le ciel, inaccessible mais source d'espoir. Vous
auriez vu ma ramure à cette époque lointaine! Mes branches déployées
en toutes directions, l'abondance de mes bourgeons au printemps, la générosité
de mes nouvelles ramilles. Fertile, expansif, vivant de contacts,
d'expression, de liens, mes messages portés par les oiseaux de frères en
frères. J'étais heureux, sociable, ami fidèle, amoureux éperdu,
camarade sincère. J'offrais mes feuilles à tous, sans compter, sans
crainte de l'automne. Puis
vinrent des hommes qui voulurent élaguer,
trier, juger mes sentiments. Déterminant ce qui était acceptable ou pas,
conforme ou non à la Parole, ils ont condamnés mes meilleures branches,
les plus entières, les plus révoltés, les plus sensibles. Ils les ont
marquées au fer rouge du péché. Meurtries, privées de leur sève, de
leur élan vers l' Essentielle lumière, elles ont fini par tomber. Les
hommes les ont brûlées au
feu, dit purifiant, de leur inquisition. A
partir de ce temps, mes pensées perdirent
foi en leur destinataire, et tournèrent sans fin, sans échappatoire,
cauchemars. Le vertige des cimes m'atteignit, la moindre tempête
m'affaiblit, cris d'angoisse dans la nuit. Mon écorce s'épaissit, devint
carapace, muraille, mes branches s' étiolèrent, mes feuilles tombèrent
en vain. Désormais, plus aucun vers ne les recouvrait. Arbre solitaire au
milieu de la plaine, lorsque les oiseaux , à leur tour , me délaissèrent,
je fus prisonnier de ma
terrible solitude, mort morale. Mais
depuis ce printemps, Renouveau, mes racines reçoivent l'eau fertile de
l'amitié, mes branches recommencent à pousser tous azimuts. D'autres
arbres ont poussés dans mon désert affectif et m'entourent de leurs branches chaleureuses. Je reprends enfin confiance, en
moi, en mes frères, et peut être, bientôt, ferais-je à nouveau
confiance à l' Esprit qui
nous dépasse, nous guide, et pour lequel on se surpasse.
25 décembre 2003
Il remontait la rue, lentement, en prise avec des pensées presque
palpables. Son regard fut attiré par la couverture d'un livre, en
devanture de la librairie: « secrets d'hier, d'aujourd'hui, de
demain ». Se penchant pour mieux lire le sous-titre, « recueil
collectif », il se cogna le front à la paroi de verre.
Douloureusement découragé, il reprit sa marche sans but. Des secrets, il
en avait, même qu'ils l'étouffaient. Pas vraiment des secrets, plutôt
des non-dits, qu'il aurait pu
dire, mais tant qu'il ne le faisait pas, ça restait des secrets. Suivant
le trottoir, ses pas se dirigèrent vers une autre rue, au hasard. Au
hasard? Pourquoi passait il justement devant la maison de Stanislas, son
collègue? Depuis son embauche, il admirait Stan, son énergie, sa façon d'agir
sans se poser de question, lui qui s'en posait tant et trop. Il appréciait
le caractère carré de son chef, mais se heurtait souvent aux angles. Il
restait conscient de sa part de responsabilité. Sortant d'une longue période
solitaire, il avait perdu les clés des comportements amicaux. Taraudé
par l'urgence de vivre à nouveau dans un monde de liens et de sentiments,
doutant être lui même digne d'amitié, ses réactions étaient
malhabiles, rares et brutales. Débordements d'émotions non maîtrisées,
écrêtement des crues d'un flot de sentiments trop longtemps endigués,
lorsqu'il sortait de sa réserve, il semblait agressif. Ses tentatives
pour communiquer paraissaient autant de coups de poings
rageurs sur des portes auxquelles il n'aurait dû frapper que
quelques petits coups discrets en attendant qu'on
lui ouvre. Au fil de ces pensées, il arriva devant la porte de Stan, et... y
sonna. Panique, qu'allait il lui dire?
Stan ouvrit, surpris. « Y'a un problème au boulot? Une
urgence? » . Non, il venait juste amicalement, par besoin de parler,
de confier son malaise, sa farouche volonté d' amitié , malgré ce que,
dans le langage de l'entreprise ,on nommait incompatibilité d'humeur. Stan, qui ne l'avait pas invité à rentrer, lui lança un regard
d'incompréhension. En bon chef du personnel, pardon, Directeur des
Ressources Humaines -ressources anonymes à gérer comme n'importe quelle
marchandise- il n'avait qu'un but, la bonne marche de l'entreprise, et les
employés n'étaient que des outils, malheureusement moins fiables que des
machines, car parasités d'encombrants sentiments.
Echange de regards, silence, puis: « j'ai pas que ça
à faire, te complique pas la vie », Stan referma brusquement la
porte, comme sur un démarcheur importun. Sur le chemin du retour, il rentra dans la librairie et acheta le livre.
Il passa sa nuit à le lire,
découvrant, au fil des pages, au coeur des mots, les secrets des liens
humains: amitié, amour, secrets, confiance, trahison, incompréhensions
... Il comprit enfin que s' il souffrait ainsi, c'est qu'il était un être
humain. Au travers de sa propre souffrance, il comprit aussi que Stan ne
l'était pas moins: simplement, il avait besoin de temps, de distance
entre ses émotions et celles des autres, pour s'en protéger. Il prit
conscience de la fragilité de Stan, de sa grande et sincère humanité,
dissimulée derrière son apparente rudesse. Il se sentit soudain plein
d'énergie, fort de ses nouveaux secrets. Convaincu qu'il avait eu raison
d'avoir choisi Stan pour ami,
il ne regretta pas d'avoir maladroitement frappé à sa porte et décida
de laisser la sienne ouverte, dans l' attente du jour prochain, où celle
de Stan s'ouvrira sur l'amitié.
Quitte
à mourir et à finir mâché
dans cette usine, j'aurais aimé que quelqu'un se serve de mes feuilles
pour CRIER. Crier
sa révolte, contre la guerre
, règlement archaïque des
conflits, digne de l'âge pré-langagier. . Crier sa volonté d' une paix
équitable, respectueuse des cultures, des religions, des enracinements
millénaires. Crier
son ras le bol contre le travail-torture, l'exploitation de l' Humain au
profit des marchés financiers. Crier
son envie d' un travail-épanouissement, créatif,
formateur, expression de la personnalité de chacun, librement
choisi, utile à soi et à
tous. Crier
contre la violence faite aux faibles, aux femmes, leur soumission, leur
exploitation, leur exposition comme viande du boucher. Crier comme un
appel au respect mutuel, à la compréhension, au partage harmonieux des
idées et des actes. Hurler
la folie des humains, mes frères noyés, la nature saccagée, bouleversée
jusque dans ses équilibres intimes, poussée à la révolte climatique.
Hurler l'urgence de prendre conscience, les processus irréversibles engagés,
l'imminence de la catastrophe ,à l'échelle d'une vie humaine ! à défaut
d'engagement vers une nécessaire décroissance. J'aurai
apprécié aussi , que quelqu'un de plus doux, plus désespéré peut être,
se serve de moi pour chanter. Chanter
plus de convivialité, la chaleur de l 'amitié, le besoin d'amour et de
sensibilité. Chanter
pour le respect des différences, l'authenticité
des valeurs humaines retrouvées
. Chanter
la poésie du monde, pour qui sait le regarder, l'espoir irraisonné pour
qui ose rêver. Chanter
des chants de lutte qui soutiennent les pas des marcheurs, sur le pavé. Chanter,
quand à force, on n'a plus celle de crier. Je
me suis rêvé tract, affiche, partition, manuscrit de rêveur ou de révolté,
consolation à mon involontaire sacrifice. Mais
voilà, je suis devenu publicité, au service des marchands de superflus,
de produits à bas prix de l'exploitation humaine. Inutile,
nuisible même, encourageant à privilégier l'argent, pour
pouvoir consommer toujours plus
d'objets de bonheur illusoire. Incitation à l'individualisme, à
la peur de se faire voler le bien si durement acquis, au repli sur soi,
sur ses intérêts premiers. Et
je finirai, sans être lu, dans l'incinérateur tout proche de cette usine
de pâte à papier où je fus en feuille mué. 8
janvier 2004
« C'est arrivé insidieusement, au fil des jours, des nuits, des ans... ma main qu'il ne cherche plus, des petits riens accumulés... j'ai lutté, bien sûr, sans trop savoir que faire, maladroitement, entre larmes et colères... »
Attablée devant sa tasse, ces premières lignes tracées, elle s'était arrêtée d'écrire pour réfléchir. De ses divagations dans les rayons bondés du supermarché, elle gardait peu de souvenirs visuels. Mais des mots, rien que des mots qui dansaient dans son esprit et l'empêchaient de se concentrer sur sa tâche, pourtant si simple: remplir le chariot de ravitaillement pour sa famille. Ses yeux allaient de la liste aux étalages, des mots tracés aux marchandises, sans qu'elle puisse faire le lien, choisir, décider, tendre le bras et mettre dans le chariot. Dinde... pourquoi dinde? Tradition-standardisation, elle rêvait d'un Noël frugal et végétarien, solidarité avec les pauvres pour lesquels cet enfant dont on célébrait la naissance disait être venu. Pommes de terre... certains n'en ont même pas, la douleur de la faim, la plus répandue des tortures. Chair à saucisse... chair à canon des enfants soldats, ses pas l'avaient menée au rayon des jouets, devant les armes en plastiques , fabriquées par des enfants esclaves. Penser au régécolor, s'il n'a pas son régécolor, il va râler, habitude de l'abondance, rien ne doit jamais manquer. Lait... vache folle, dioxine, excédents gaspillés, son amie agricultrice ruinée par Parmalat. Sapin... acheter un sapin! Chaque année le dilemne, plastique qui pollue ou « naturel » sacrifié? Les enfants y tiennent, ne pas les marginaliser, ne pas leur imposer des idées qu'ils n'ont pas eux mêmes choisies. Les mots tournaient, virevoltaient, les pensées s'imposaient, rendant tout acte d'achat impossible. Besoin de cohérence, d'exprimer son dégoût, sa révolte, de crier la vérité, la réalité du monde à tous ces passants, honnêtes consommateurs préparant les fêtes. Fêtes obligatoires, à dates imposées, peu importent les sentiments ressentis ces jours là, la joie, l'euphorie sont la règle. Les mots tournaient jusqu'au vertige, les lumières des néons dansaient devant ses yeux, envie de hurler « non! », de dire à quelqu'un, de partager ses idées, sa rage. C' était arrivé insidieusement, au fil des jours , des nuits , des ans, de moins en moins de mots, des paroles sans écho, l'impression de parler dans le vide, puis le silence, celui de l'absence, de l'indifférence. Elle eut un vertige et s'appuya sur un présentoir : de gros cahiers aux couleurs vives tournoyaient devant ses yeux. Besoin de dire... écrire? Elle retrouva son calme , retira un cahier bleu de la pile, le déposa au fond du caddy vide et se dirigea vers la caisse.
Assise devant sa tasse, ces quelques lignes tracées, elle repensa enfin au régécolor qu'elle avait oublié, aux enfants qui attendaient son retour, à la fête qu'ils attendaient depuis des mois. Elle régla l'addition, cacha le gros cahier bleu dans son sac, reprit sa voiture au parking, démarra.
Elle dirait que c'était bondé, qu'il y avait trop de queue aux caisses, et elle irait demain matin, avec les enfants, faire le ravitaillement.
Claire, en écho, le 18 février 2004 Elle
passe le porche, pousse la lourde porte de bois, et entre dans l'église,
sombre et silencieuse. Elle cherchait
un abri pour ses émotions, ses sentiments, un endroit où réfléchir
tranquillement sans risquer d'être interrompue. Elle aurait pu, comme à
son habitude, partir faire le tour de la ville d'un pas rapide, réfléchir
au rythme de la marche, mais aujourd'hui, non, elle avait besoin de se
poser, pour faire le point, et elle n'avait trouvé que ce lieu là. La
dernière fois qu'elle était entrée dans l'église, c'était pour s 'associer
à la peine de sa famille, allumer
une bougie, confier à la flamme sa tristesse, son désarroi de n 'être
pas avec eux, croire désespérément à la force de la pensée, à défaut
de prières. Comme elle aimerait posséder encore ce précieux recours,
pouvoir venir ici, déposer joies et chagrins, confier à Quelqu'un les
pensées trop fortes, trop intimes pour être dites.
Avec un soupçon d'amertume,
elle cache ses yeux dans ses mains. Une
chanson prend le relais de ses pensées troublées, la force des paroles
rebelles couvrant la nostalgie du refuge perdu: « je ne veux pas de
ces dieux tristes qui ont embués mon enfance, je ne veux plus de ces
martyrs qui font gémir les cathédrales, je ne veux pas de ces dieux là...
je ne veux pas de ces dieux là... » Soudain,
la sortant de sa rêverie, la sensation d' une présence, à quelques mètres
d'elle. Pourtant il n'y avait personne
avant, et elle n'a entendu personne arriver, elle se croyait seule ! Trop
absorbée sans doute... Elle
risque un regard vers la silhouette assise très droite dans la pénombre,
digne, recueillie. Puis...
l'impression que quelqu'un pénètre au coeur de ses pensées, lit en elle
les mots qu'elle prononce intérieurement, lui répond, quelqu'un qui la
comprend intimement et qui lui souffle à l'oreille la suite oubliée de
la chanson: « Je veux le feu, je veux le vent, je veux le retour du
printemps, une source, la mer qui gronde, je veux des forêts et des
champs, c'est de ces dieux là que je veux... » Elle
se redresse, relève la tête, « Je veux le coeur, je veux les yeux,
je veux l'amour d'une femme, je veux les mains de mes amis, je veux les
rires des enfants, c'est de ces dieux là que je veux...», échange
de regards, intenses. Surprise,
incrédule, elle ferme à nouveau brièvement les yeux, respire profondément
pour prendre la mesure de l' émotion ressentie. Quand elle les rouvre,
quelques secondes plus tard, l'église est à nouveau déserte. - J'ai
dû rêver, de telles histoires n'arrivent que dans les contes, pense t'
elle. Déboussolée, elle reste encore quelques minutes, prend le
temps d'allumer une bougie, et se surprend à murmurer, malgré elle,
l'amorce d'une prière: l'espoir de ne faire souffrir personne en laissant
vivre ses sentiments. Elle
sort, aveuglée par le soleil. Elle a juste le temps de voir, là-bas,
quittant la place et se dirigeant vers la ville, la silhouette
bienveillante, trop rapidement aperçue dans l'église. Elle
n'a pas rêvé. Elle part alors elle aussi, vers
la ville, vers la vie... 28
février 2004
Paroles
de la chanson: Gabriel Yacoub
Elle
monte sur son VTT tout déglingué, vieux, rouillé, sans frein, qui n'arrête
pas de dérailler. En elle, une somme d'énergie à évacuer, une violence
contenue à libérer. Petite, déjà, elle alternait ces périodes très
actives, avec celles où l'abattement l'accablait, lui enlevait toute
envie vitale, toute force. Elle emprunte le chemin creux, nervure profonde dans la terre de la colline, parsemé de branches mortes, de cailloux, d'affleurement de racines. Un vrai parcours du combattant pour vélo tout terrain. Le début du sentier est chaotique, laborieux, la progression est lente, presque douloureuse. Mais, à mi-chemin, à partir de l'arbre qui pousse là, solitaire, à flanc de coteau, à partir de cet arbre, le terrain est de plus en plus dégagé, le sentier plus large, moins encombré. L'effort physique cède alors la place à la griserie de la vitesse. C'est là, à cet instant précis, en passant à l'aplomb de l'arbre, qu'elle a vu le camion. Il roulait, en contrebas, sur la route sur laquelle débouche le chemin. Rapide estimation de la distance, de la vitesse du véhicule, et des paramètres de sa propre célérité: ça devrait coïncider. Surtout, ne plus penser. Rouler. Se laisser glisser sur la pente, de plus en plus vite, de plus en plus inéluctablement. Cette fois, elle n'aura pas eu peur pour rien... claire,
14
Assise sur la plage blanche de soleil, elle écoute les vagues. Le sable est chaud, doux. Avec ses doigts, elle y a gravé des mots tendres, des mots désespérés aussi, mais tous sont voués à l'effacement. Les dernières vagues étaient chaudes, leur écume comme une caresse. Fermant les yeux, elle fait le vide dans ses pensées, elle oublie les mots, les idées, les doutes, elle se laisse bercer par des images, des sensations: le sable sous ses doigts, l'écume sur ses pieds, la chaleur du soleil, la caresse du vent, le chant des oiseaux, tous ses sens comblés.
C'est son bruit qu'elle a perçu en premier, son grondement sourd et lointain, très grave, d'une fréquence presque inaudible. Sans avoir à ouvrir les yeux, elle comprend. En une seconde, pour l'avoir si souvent vécu déjà, elle voit tout ce qui va arriver. L'arrivée de la déferlante, cette gigantesque vague qui ramène la vase des profondeurs, qui va la submerger, puis l'emporter. Elle va boire la tasse comme chaque fois, l'eau salée qui brûle les yeux, le nez, la gorge. Maintenant, elle sait que sa vie n'est pas en danger, qu'il vaut mieux laisser passer, attendre, sans résister. Elle sait toute fuite inutile, l'eau s'immisce partout, la rattrape où qu'elle aille, quoiqu'elle vive.
Alors, elle ouvre les yeux, elle contemple cet immense mur d'eau, de sel, d'écume blanchâtre ternie par la vase, qui avance inexorablement vers elle. Elle lui fait face, debout, immobile, elle prend une grande inspiration pour rassembler son courage... Et, lorsque la vague est là, elle referme les yeux pour attendre, en retrait de sa vie, en retrait de sa conscience, que la déferlante passe, l'entraîne, l'emmène puis la repose enfin, meurtrie mais encore vivante, sur la plage, maintenant noire de vase.
Ensuite, lentement elle se recroquevillera, pour reconstituer son corps épars, son esprit disloqué, elle s'adossera à un rocher sans aspérité, elle y cherchera la douceur. Celle du sable, celle du soleil rediffusée par le rocher, malgré la nuit qui est tombée, celle du vent sous le ciel étoilé, celle du silence, reposant après la déflagration de la vague. Elle restera là longtemps, patiemment, le temps de retrouver ses forces, sa cohésion, son envie de vivre. Puis elle reprendra le chemin qui mène vers les autres, ses amis, la vie...
jusqu'à la prochaine vague ...
Claire 15 avril 2004
J'ai passé dix ans,
dans un jardin de pierres, sur le banc, à l'abri de la maison japonaise
sans cloison. Un soir, j'ai payé le gardien pour qu'il me laisse ne pas
sortir, et je t'ai attendu. La nuit ne voulait pas tomber. Pourtant, je
l'attendais elle aussi , pour rêver, pour me souvenir. Toi, mon éveilleur
de mémoire, tu avais d'abord réveillé les souvenirs les plus durs, par
contraste avec ta douceur, puis , petit à petit, à mesure que la clarté
diminuait, que la nuit devenait bleue, que la lune, se levant, se reflétait
dans le lac, tout doucement, tu les as adoucit. Tu as embelli même mon
passé. Tu avais un peu de
retard. Un problème avec le gardien? J'avais essayé de l'attendrir, de
lui raconter que c'était notre nuit de noce, qu'on rêvait d'un voyage au
japon mais qu'on n'en avait pas les moyens, qu'on voulait juste rêver une
nuit dans le pavillon de thé... Rêver de voyages, d' évasion.
Oublier le verre-acier de Compans-Caffarelli. Oublier que le site était
construit à l'emplacement d'une ancienne caserne, comme en témoignait la
« place d'armes » toute proche, récemment rebaptisée
« place de l'Europe ». La nuit refusait
toujours de tomber. Peut être t'attendait elle, elle aussi. Le ciel
semblait figé, les nuages, immobiles, restaient rose-couchant, comme si
le soleil avait stoppé sa course. Sans coeur et vénal,
le gardien de la morale avait préféré de l'argent à mon histoire, on
ne le payait pas de mots m'a t'il dit, qu'est ce que cela signifiait? Mes
mots n'étaient pas à vendre! Je lui offrais une histoire, mi-réelle,
mi-rêvée, comme toutes les histoires, il préférait un billet pour
s'acheter à boire et y trouver ses rêves. Libre à lui. Enfin, tu es arrivé,
en même temps que la nuit. Le vent de tes voyages était resté accroché
à tes cheveux, tu étais là, tout en étant , en même temps, partout
ailleurs. Voyageur. Arrivé par le portail nord, tu as jeté un coup
d'oeil au Bouddha, un dieu, peut être un peu moins antipathique que les
autres? Je rêvais depuis quelques temps d'une autre lecture de la
spiritualité, d'une interprétation humaine, respectueuse des sentiments
sincères, qui mettrait même l'émotion au coeur de la morale, qui
reconnaîtrait enfin à l'amour le droit de vivre, de s'exprimer, en
liberté. En liberté, mais dans le respect de tous, des autres liens, des
autres amours, des autres sentiments, présents ou passés. Sans rupture,
sans heurts, ni conflits dévastateurs. Je rêvais, tu vois jusqu' où
vont mes rêves! Nous nous sommes
retrouvés, instant chaleurs, douceurs, réapprivoisement. Regards.
Ta douceur m'a lavée de ma honte. Nos gestes ont la sincérité et
le respect pour absolution, « l'amour excuse tout »! Puis tu m'as raconté
tes déboires avec le gardien. Monde marchand où tout s'achète, il avait
exigé le double pour te laisser entrer. Pourvu que ses rêves alcoolisées
l'empêchent de se raviser et de nous envoyer la police municipale dans
une heure! Nous avons ri ensemble de la duplicité des biens-pensants, des
garants de toutes les morales. Nous avons fait le tour du jardin japonais.
Sur les chemins, entre les arbres miniatures, sur le pont de bois rouge,
non, il n'y a pas de saule dans ce type de jardin. Des lanternes de fer,
éteintes, dommage, ou peut être pas, la clarté de la lune suffisait,
jalonnaient les sentiers. Nous avons respecté les lois, n'avons pas piétiné
le gazon, ni le lac de cailloux, nous n'avons pas cherché à tuer les
tortues et les poissons à coups de ricochets ( sois logique, gardien, si
ça ricoche, ça ne tue personne), nous n'avons cueillis aucune fleur,
taggué aucun mur, tu ne trouveras nulle trace de notre passage demain,
lors de ta tournée d'inspection. Les seules traces, les
rêves, le vent des pays lointains, les mots, les histoires, nos gestes
purs, te sont pour toujours invisibles, à toi et à tous les
moralisateurs. Mais oublions ce
gardien, laissons le cuver dans sa cabane à l'entrée du parc, près du
manège, là où les enfants égarés cherchent refuge, là où les mères
affolées débarquent, à la recherche de leur petit, ou d'un seau, d'un
écharpe, d'un doudou perdu. Joli spectacle, joli exemple que vos
beuveries. Revenons à toi,
voyageur du temps. Tu m'as dit « je dois dormir, tu sais ».
Oui, moi aussi, sinon le rêve se changera en cauchemar, la honte, la
peur, la vase, se frayeront un chemin et me rejoindront. Alors, petite
transgression, nous avons choisi de nous installer sous la dune d'herbe, là
où le terrain forme un creux, presque un nid, en plein air, pour pouvoir
voir les étoiles. « Qu'as tu dans ton sac », m'as tu demandé.
Non, je ne vais pas aux champignons, j'ai juste une couverture, et toi,
dans le tien?. « Moi? J'ai une cape, un plaid, comme tu veux, pour
nous protéger de l'herbe humide, et des bestioles de la prairie ». Serrés l'un contre
l'autre, nous avons alors levé les yeux vers le ciel: sous la lune ,
demie-pleine, deux étoiles scintillaient; « ciel rare ce soir »,
avait dit le journaliste. La nuit était bleue. Le reste nous appartient. 8
mai 2004
Elle, elle était employée aux cuisines et à l'entretien de la maison. De l'aube au crépuscule, elle ne quittait pas son tablier blanc, contraste sur sa robe d'office et sa peau noires. Des fenêtres de la maison, elle le voyait, lui, dans les champs du propriétaire voisin, tout le jour courbé sous le soleil.
De leur premier regard en rencontres furtives au bord du ruisseau qui séparait les propriétés, chacun sur sa rive; de leurs premiers échanges en rendez-vous hasards, au marché de la ville; de bonjours anodins en frôlements presque inintentionnels dans la foule des fêtes; un sentiment entre eux était né, avait germé, grandi, jusqu'à devenir appel, cris des coeurs et des corps, désir, manque.
Un soir, sur le sentier commun du retour chez leurs maîtres, occasion rare d'échanger quelques mots, il lui cria son rêve, en un discret murmure. La fièvre illuminait ses yeux d'un reflet ensoleillé, malgré la nuit tombée: -Partons, sauvons nous, vivons ensemble notre liberté, viens... Elle ne répondit rien, elle laissa cet appel vibrer dans son corps, tendre une à une toutes les cordes de ces désirs qu'elle aurait eu honte d 'éprouver, si elle n'avait eu la conviction qu'ils étaient partagés.
Le lendemain, toute à son labeur, elle laissa échapper une douce mélodie, des sons dans la langue presque perdue de ses ancêtres africains, mêlés des mots de cet anglais nouveau de Louisiane . Il écouta, sans relever le dos de la terre qu'il travaillait, improvisa le refrain de leur hymne commun. Leur chant mêlait leurs souffles, les notes caressaient leur peau , leurs voix rythmaient ces étreintes qu'ils ne vivraient pas. « Ils ont vraiment le rythme dans la peau », dit la maîtresse des lieux, émue, levant les yeux de sa pieuse lecture dominicale.
Claire 20 juin 2004
Quand tout s'emmêle et se démêle, que du tissage et de l' effilochage des liens vient la compréhension de leur nature, de leurs effets surtout, apprendre la vie, comme on apprend les noeuds marins.
Il est là, sur la plage, spectateur. Endormi, ou caché derrière ses verres teintés. Depuis longtemps, il refuse de voir les vagues, pour s'en protéger sans doute, elles sont trop changeantes, c'est trop fatigant. Quand elles sont grises, il est désemparé, il préfère les ignorer, simuler la cécité, attendre que ça passe, car ça passe toujours, il suffit d'être patient. Parfois, elles redeviennent bleues d'un seul coup, sans transition, imprévisible météo, il n'a jamais rien compris à ce climat changeant, il y a trop de paramètres en jeu, le vent, sa direction, son intensité, vent de terre, vent de mer, les phases de la lune, les éruptions solaires, la température, l'ensoleillement. Tous ces éléments croisés, font et défont une météo capricieuse, inconstante. Il regarde l'océan, il croit pouvoir sortir son bateau, il prépare tout, mais d'affreux nuages noirs barrent soudain l'horizon, des éclairs menacent. Il n'a jamais compris les phases de la mer, il n'est pas un marin, cela ne s'improvise pas. Parfois, il croise le long de la plage, ce marin retraité, qui observe le large en silence, il lui dit: quel sale temps ! Le marin le regarde , étonné, Non, répond-il, regardez, le vol des mouettes, la forme de la vague, la couleur de l'étoile sous le croissant de lune... non, bientôt la mer sera calme, sereine, belle, ma barque est prête dans le port, ce soir, cette nuit, je naviguerai... Naviguer la nuit? S' étonne t' il, puis il stoppe sa phrase, n'osant pas le traiter de fou, par respect, dû à un inconnu, à son âge aussi. Le marin répond, Mais qu'est ce que vous croyez! Que c'est à lui, son geste ample dessine l'océan, l'arc de l'horizon, de s'adapter à nos humeurs humaines! Ce n'est pas parce qu'il est toujours disponible, là, sous nos yeux, qu'on peut naviguer quand on veut, non, sa voix se fait murmure, prend le ton de la confidence, pour prendre la mer, il faut la comprendre, épouser ses phases, ses vagues. Regardez, cette vague noire, elle n'attend qu'un peu de patience, des mots doux, des silences affectueux, des gestes tendres, il se penche et recueille au creux de sa main , un peu d'écume mêlée de sable. Alors la vague se pose doucement sur la grève, elle repart chargée de tendresse et la suivante est plus calme, ainsi jusqu' au reflux de la marée, jusqu'à ce que l'écume ait la légèreté d'une plume d'océan. Il faut bien que la marée se fasse! C'est la nature, sinon, vous n'avez qu'à sortir votre voilier sur un lac! Il se fâche presque, le marin, il aime tant l'océan qu'il ne comprend pas qu'on ne l'aime pas autant que lui, comme lui. Il se calme et ajoute, savez vous ce que disent les anciens? Ils disent que si l'on prend la mer sans l'aimer vraiment, sans l'aimer jusque dans ses vagues noires, comme font maintenant ces riches en Yacht, maudissant le mauvais temps, contre-temps sur le planning de leurs loisirs, alors... alors elle crie ses vagues en tempêtes, son besoin de tendresse déferle sur nos plages avec violence, et le vent se change en tornade, brusquement, tentant de faire chavirer les intrus. Sur ces mots, le marin tourne les talons et s'éloigne, sans un regard, sans un au revoir.
Le vacancier oisif quitte la plage, il passe les dunes derrière lesquelles on n'entend plus le bruit des vagues, pour ne plus les voir, ne plus les entendre. Il emprunte le chemin qui s'enfonce dans les terres, là où le climat est stable, prévisible, là où il fait toujours beau, dans ces terres qui jouissent de la réputation d'un « agréable micro-climat ». Son bateau restera au port.
27 juin 2004
Et si vraiment
tout n'était que marchandise...?
Dans la galerie marchande Lorsque les
urgentistes eurent en vain tentés tous les gestes de premiers secours, ils
fouillèrent ses vêtements pour chercher une explication. Ils trouvèrent
ces quelques mots, griffonnés sur un papier plié:
« Vous m'avez donné la vie, elle
ne me convient pas, j'ai cherché partout le ticket de retour pour échange,
ne l'ayant pas trouvé, je vous la rend. »
jeudi 23 septembre 2004 Me voilà debout, face à toi, hésitante, irrésolue, je te connais si
peu. Comme l'a si bien
compris le conteur, je veux conduire ma vie. Mais es tu toute liberté?
Suis je libre de choisir, jusqu'à la couleur de mon horizon, celle du
ciel, de la mer? Ai-je vraiment le choix, responsable et redevable de
chacun de mes gestes, de mes mots? Ta liberté extrême m'angoisse, face
à l'abîme insondable des possibles, le vertige m'étreint. Peut-être n'es tu qu' option dérisoire d'un projet ferme et précis
qui m'attend à l'horizon, pas si loin qu'on le pense, tout au plus à
quelques kilomètres? Es tu bénin, anodin, outil mineur d'un destin vers
lequel je me sens happée, instrument d'un but que je vis
comme une nécessité? Suis-je poussée, portée, par d'autres
forces que les miennes, résultante sans responsabilité de ce que la vie
a fait de moi? Dans ce cas, qu'importent les détails de la route qui m'y
mènera, la direction n'est pas bloquée, les pauses-arrêts autorisées,
tourner sans but, recommandé; j'ai toute liberté de parcours, puisque la
destination est déterminée. Et si le brouillard m'angoisse, il masque
aussi les difficultés qui
pourraient m'effrayer, me laissant, heureusement, imaginer l'aube d'un
chemin lumineux, dégagé. Ne me resterai
alors plus qu'à démarrer, à avancer, sûre, confiante de l'arrivée.
Je me tiendrais debout, face à toi, nue, dépouillée de mes exigences,
des crispations et des attentes, désarmée et apaisée. Mais dis moi, qui es tu? Jamais tu ne réponds à mes questions. Peut-être
parce que tu n'as aucune réelle existence? Peut-être n'es tu qu' espérance,
leurre pour nous donner du courage? Chacun de nos gestes, contraints,
fruits d'obscures contingences ou de concrètes exigences, nous étant
dicté, imposé. Et si tu n'existes pas, l'horizon peut aussi bien être
sombre, régression destructrice, plongée dans l'arbitraire de la loi des
plus forts, et toute vie soumission. Je serais alors humiliée, perdant
toute humanité, courbée, à genoux devant toi, et ton nom ne serait qu'
usurpation, masque trompeur de la contrainte. Mais me
restera toujours une marge de manoeuvre, dans ce domaine des mots où
je me suis donné tous pouvoirs, celle de choisir, parmi tes définitions,
celle qui préside à nos
vies.
une pensée pour J.A.
amie coincée dans la
tourmente
des
choix et des contraintes
« Non,
Nathan, rien, rien, surtout pas en vain... » Il se répétait
ces mots comme une injonction, comme s'ils suffisaient à faire rempart
aux faits, à la réalité, comme si les mots étaient doués de pouvoir,
de volonté. Nathan était là, assis parfois, errant à d'autres moments.
Au début, il était entré par effraction, aux heures de fermeture, puis
aux heures de présence de l'ouvreuse, mais en se cachant. Maintenant,
elle s'était habituée à sa présence discrète mais quotidienne, elle
faisait semblant de ne pas le voir entrer et se cacher derrière les
tombes, se blottir, assis, genoux pliés contre la poitrine, dans une éternelle
méditation. Elle avait bien essayé de lier conversation, de lui poser
des questions, mais elle n'avait pas pu déterminer s'il l'entendait ou
pas, elle n'avait même pas réussi à accrocher son regard. Il ne faisait
rien de mal, alors elle avait renoncé à sa première idée de prévenir
la police, les pompiers, s'il était fou, il ne paressait pas
dangereusement. Chaque jour il venait, à des heures aléatoires, parfois
même la nuit, il restait , un temps indéfini, parfois très peu, parfois
des heures, puis il finissait par choisir une tombe, toujours différente,
semblait s'y recueillir, y dire une prière, et partait sans se faire
remarquer, avec un flot de visiteurs sortants. Il sortait: dans sa tête
les mots résonnaient: « Non Nathan, rien, rien, ou rien
n'arrivera, sors...». Aujourd'hui,
il avait fait quelque chose de nouveau: il avait déposé sur une tombe un
bouquet de fleurs des champs, des fleurs sauvages, comme lui, et les mots
cognaient en lui, plus forts que son coeur, pour une lutte vitale elle
aussi : « Non Nathan, pas
là, ne reste pas là, sors d'ici, sors, je te le demande... ». Par
curiosité, l'ouvreuse gardienne de l'église de Valcabrère est allé
voir, après son départ, la tombe qu'il avait fleurie. Rien. Aucun nom
gravé, aucun indice ne permettait d'expliquer son geste, il s'agissait
d'un très vieux tombeau, dont ne subsistait que la pierre nue. Elle passa
le reste de la journée, intriguée par cette énigme, à vendre des
billets d'entrée aux visiteurs de ce lieu sacré mais payant. Ce n'est
que le soir, en branchant son ordinateur pour consulter ses courriels,
qu'elle comprit lorsqu'elle lu le message publicitaire que son serveur
affichait automatiquement, sans tenir
compte du caractère désuet de certains prénoms :
« 14/10/04: saint Just, offrez lui des fleurs ». 14
octobre 2004
j'ai froid, j'suis trempé, j'suis pressé, pas qu' ça à faire moi!
Choses
plus importantes que les arbres dans la vie.. le foot.. vais rater le foot,
si
elle continue à m' causer comme ça.. vite.. Qu'est ce qu'elle veut qu'
je dise
à qui déjà Rien compris! Tant pis.. pas important.. vais être en
retard.. 13
novembre 2004
Chaque
printemps, depuis l'enfance, nous guettons, mon frère et moi, les
bourgeons sur l'arbre que notre père a planté pour notre naissance. Un
vainqueur par an: celui qui voit l'éclosion de la première feuille. Nos
amis se moquent gentiment de ce rite enfantin perpétué, qui nécessite
un pèlerinage quotidien au verger de nos parents, à l'autre bout du
village. Interdiction de tricher, d'aller repérer à l'avance, les
voisins, complices, veillent et arbitrent. L'enjeu: un droit antique sans
grandes conséquences, le gagnant devient l'aîné de l'année. La
précipitation confuse qui a accompagné notre naissance gémellaire,
ajoutée à notre très forte ressemblance, n' ont
pas permis de retrouver qui de nous deux était né le premier, et
nous jouons ainsi le titre chaque année au printemps, comme on tire le
roi d'une galette. Cette année, c'est mon frère qui a hérité de la
couronne. L'été s'est passé sans encombre, petits conflits familiaux
anodins, petits privilèges mesquins: -Tu peux aller chercher le vin?
-Pourquoi moi? -Je suis l'aîné, ne l'oublie pas! Mais,
peu avant l'automne, alors que plus personne ne s'intéressait à l'arbre,
c'est moi qui l'ai vue: la dernière feuille. Née de l'étonnement d'un
bourgeon tardif, son vert tendre paraissait anachronique. Pauvre feuille,
ai-je pensé, tu n'auras pas connu le printemps de l'arbre! Mais la
feuille, dans le murmure du
vent tiède, m'a confié son intense bonheur d'être vie inespérée de
cette sève automnale. Et avant de tomber, à l'heure où tombent toutes
les feuilles, après sa trop courte vie, elle m'a appris qu'il n'y avait
pas plus de fierté à être la première plutôt que la dernière. Puis
elle a ajouté, que si pour l'arbre, chacune était singulière, ce n' était
qu' ensemble qu'elles formaient la feuillaison. Depuis,
chaque printemps, je laisse mon frère gagner au jeu de l'aîné, et moi,
je guette, en secret, la leçon de sagesse de la dernière feuille.
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